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Force policière : ils craquent

Ils ont à peine la trentaine et ont rejoint la force policière à l’aube de leurs vingt ans. Or, qu’est-ce qui explique que leurs dépressions aigues n’aient pas été repérées et prises en charge à temps ? La force policière mauricienne s’est considérablement rajeunie depuis ces dernières années, mais les méthodes ont-elles évolué pour permettre une meilleure prise en charge de cette nouvelle génération, confrontée à des maux de société plus accentués mais aussi aux premiers déboires de la vie familiale ? Ces deux actes de désespoir mettent en lumière le mal-être vécu par les jeunes constables.

Le constable Colas se donne la mort avec son arme de service  : sa mère et son ex-épouse blâment les responsables de la police
 

 

Il a commis l’irréparable alors qu’il était en poste devant l’entrée des Casernes centrales, en début de soirée du lundi 23 septembre. Jean Luck Colas, 26 ans, s’est donné la mort avec son arme de service, laissant derrière lui une famille inconsolable et une force policière sous le choc, d’autant qu’un peu plus tard ce jour-là, une autre policière a tenté de se jeter dans le vide à Gris-Gris. Ce suicide, causé selon ses proches par des problèmes personnels mais aussi par des soucis qu’il vivait au travail, met en lumière une situation pénible vécue par plusieurs policiers (voir plus loin).

 

Jean Luck Colas, qui comptait cinq ans au sein de la police, était dépressif depuis un moment, à en croire sa mère, son ex-épouse ainsi qu’un médecin qu’il avait consulté il y a quelque temps. Le médecin a confié à Radio Plus, cette semaine, que le policier présentait des signes de dépression, qu’il avait peur, notamment, d’être victime d’un «fancy-fair», une forme de bizutage, lorsqu’il réintégrerait la Special Supporting Unit,  qu’il avait déjà connue dans le passé et où il venait d’être transféré. Le médecin a confié à cette radio privée qu’un collègue et lui avaient essayé d’alerter les responsables de la police de cet état de choses, sans succès. Ce qui aurait pu éviter ce drame, selon lui. 

 

La mère du jeune policier est également convaincue que si les responsables de la police étaient intervenus d’une façon ou d’une autre, son fils serait encore en vie. Elle affirme que sa hiérarchie était déjà au courant. «Pourquoi lui a-t-on confié une arme alors qu’il avait des problèmes ?» n’arrête de se demander Tella Colas, le coeur complètement brisé par la perte tragique de son fils cadet.

 

Même si elle ne connaissait pas, dit-elle, la nature de ses problèmes au boulot, elle savait qu’ils existaient. «J’étais sa confidente. Je savais qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond depuis quelques temps car il était perturbé. Je savais que cela avait un lien avec son travail. Il évitait toutefois d’en parler. Je ne voulais pas non plus le stresser davantage avec des questions», confie la quinquagénaire. Le jour fatidique, elle a fait un rêve troublant dans lequel son fils avait des problèmes très graves. «Mo disan ti pe averti mwa ki pou ena enn zafer grav. Monn rakont mo mari Michael sa zistwar la trwa fwa sa zour la. Monn pans tou kalite me zame monn panse mo pou perdi mo garson dan sa fason la», lâche Tella, la voix brisée.

 

Son «bébé» n’est plus et elle ne sait pas comment vivre sans lui : «Li ti ankor enn tibaba pou mwa. Pena zour, pena ler ki nou pa ti koze lor telefonn. Sak fwa nou zwen mo ti bizin fer gate ek li mem si li ena 26 an. Li ti mari kontan kalin. Li pou mari mank nou. Mo gran garson ki en Australie extra afekte li osi.» Cette employée d’hôtel n’a que des qualificatifs élogieux pour décrire son fils décédé: «Il était un fils exemplaire, il était doux, gentil, jovial, populaire, un bon vivant qui aimait faire des blagues. Il a toutefois été très malchanceux en amour. Il a très mal vécu sa séparation d’avec son épouse.»

 

Le policier Colas vivait aussi, dit-elle, très mal le fait de ne pouvoir voir sa fille de 2 ans qui habite avec son ex-femme. «Mon fils était devenu dépressif. Il avait déjà tenté de mettre fin à sa vie. Son ex-épouse a déposé plusieurs plaintes contre lui. Ce qu’il a toujours nié. Il avait alors été transféré du poste de police de Mahébourg à la SSU. Il n’arrêtait pas de nous dire que “so latet fatigue” et qu’il n’en pouvait plus de subir des pressions au travail. Il avait toutefois retrouvé une joie de vivre après avoir rencontré sa nouvelle copine. Cette dernière faisait tout pour son bonheur car il a beaucoup souffert sur le plan sentimental», confie Tella Colas.

 

Selon cette habitante de Vieux-Grand-Port, son fils voulait divorcer de son épouse pour pouvoir officialiser sa relation avec sa nouvelle copine qu’il fréquente depuis 2018. Il voulait également commencer la construction de sa maison au premier étage de la demeure familiale en janvier prochain avant de se remarier, en 2021. Le couple vivait déjà ensemble à Bambous-Virieux. Tous les jours Jean Luck Colas parlait à sa mère au téléphone mais le jour fatidique, il ne l’a pas fait. «Zis bondie ki kone kinn pass dan so latet sa ler la», souligne Tella, la voix cassée par le deuil.

 

Anouchka, l’ex-épouse du policier Colas, avance, elle, que la direction de la police était parfaitement au courant de sa dépression. «Le commissaire Nobin savait qu’il était dépressif depuis 2017. Je lui avais adressé une lettre à ce sujet dans laquelle je lui disais d’intervenir car Jean Luck était devenu violent et agressif avec moi. À l’époque,  la hiérarchie policière avait seulement alerté la Police Family Protection Unit et la Child Development Unit. On lui avait alors interdit de voir notre fille», explique la jeune femme qui se dit très peinée que son ex-mari et père de son enfant se soit suicidé.

 

Elle raconte avoir fait la connaissance du policier en 2015 et qu’ils se sont mariés civilement peu après. «Il faisait des cauchemars la nuit en revenant du travail. Il a, par la suite, commencé à devenir agressif. J’ai dû mettre fin à notre mariage. J’ai déjà porté plainte contre lui pour violences conjugales. Il était malade depuis longtemps. La lettre adressée à Mario Nobin n’a servi à rien. Aujourd’hui, j’exige une réponse car légalement, nous sommes toujours mariés», martèle Anouchka. Une explication que tous les proches de Jean Luck attendent avec impatience pour mieux comprendre…

 


 

 

Après trois transferts en quatre mois, elle tente de se suicider : la triste histoire d’une policière «harcelée»

 

Avec ses yeux voilés de tristesse, sa voix cassée, ses gestes fébriles, sa détresse est palpable, mais il est difficile d’en sonder la profondeur. Entourée de ses parents, qui sont ses boucliers, ses protecteurs dans ce moment de désespoir, elle essaie de mettre des mots sur le chaos qui bouillonne en elle. L’exercice n’est pas facile mais elle y tient. Elle tient à dire son désespoir de policière qui n’en peut plus, tellement qu’elle a failli y rester. Oui, quand nous rencontrons cette jeune femme de 33 ans, mère d’une petite fille de 7 ans, séparée de son époux et comptant neuf ans dans la force policière, elle vient d’échapper à son propre suicide. Trois jours plus tôt, dans la soirée du lundi 23 septembre, elle a été stoppée de justesse, alors qu’elle allait commettre l’irréparable sur la falaise de Gris-Gris, par ses collègues policiers arrivés sur les lieux à temps. Elle ne se doutait pas qu’un de ses collègues, le constable Jean Luck Colas, s’était tiré une balle dans la tête avec son arme de service le même jour, devant les Casernes centrales (voir hors-texte).

 

Plus tôt ce jour-là, la Woman Police Constable (WPC) était sortie en disant à sa petite fille dont elle avait attendue le retour de l’école, qu’elle s’en allait pour ne plus jamais revenir. En apprenant cela un peu plus tard, sa mère s’est affolée et a essayé de l’appeler, mais elle n’a pas répondu. Dans son désespoir, la constable avait pris la route de chez elle, dans le Sud, à pied, laissant sa voiture à la maison, pour se diriger vers Gris-Gris qui se trouve à plusieurs kilomètres. Sa mère a alors alerté la police qui s’est mise à sa recherche, avec l’issue qu’on connaît. Sa famille est totalement soulagée mais elle, elle est encore sous le choc de ce qu’elle a failli commettre et de ce qui l’y a menée. Elle n’a pas encore repris le travail et a commencé un suivi psychologique mais il lui reste du chemin à faire.

 

La cause de son acte de désespoir, tout comme pour le constable Colas, sont les problèmes rencontrés dans le cadre de son travail. «Lundi, j’ai appris que j’allais être transférée pour la troisième fois en quatre mois cette année. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase car je ne comprends pas le pourquoi de ces transferts, à part qu’ils constituent des actions de représailles à mon encontre», lâche-elle avec amertume.

 

Le vendredi 27 septembre, la WPC a d’ailleurs écrit une lettre au commissaire de police pour lui réclamer des explications concernant le «traitement injuste» dont elle se dit victime dans l’exercice de sa profession. «Je veux savoir la raison de mon dernier transfert ainsi que de ceux qui l’ont précédé ces quatre derniers mois.» Elle a sa petite idée mais veut quand même connaître la version officielle. Pour elle, il s’agit d’une «vengeance» parce qu’à l’époque où elle travaillait à l’Anti-Robbery Squad (ARS) de Blue-Bay, où elle avait été mutée le 30 avril 2018, elle avait rencontré un haut gradé pour lui faire part de certains comportements «inadmissibles» de la part de ses collègues. Auparavant, précise-t-elle, elle n’avait jamais rencontré de problèmes dans le cadre de son travail.

 

«Lors de cette rencontre avec le haut gradé, je lui ai dit que je ne trouvais pas normal d’être à chaque fois la dernière à apprendre quelque chose au sein de l’équipe. Je ne comprenais pas non plus pourquoi les membres de cette équipe faisaient toujours appel à une policière d’une autre équipe alors que j’étais là. De plus, mes collègues me soupçonnent d’être à l’origine de fuites d’informations et d’être l’auteure d’une lettre anonyme contre un ancien collègue. Ce qui est faux», s’insurge la jeune policière. Tout cela la révolte. «Kouma zot kapav dir mo ti pe vann linformasion kan zame mo ti kone ki zot ti pe fer. Mo ti pe pass plis letan dan biro. Sa ti afekte mwa boukou.»

 

Un an plus tard, le 2 mai 2019, elle est transférée au poste de police de Camp-Diable pour des raisons qu’elle ignore toujours. «Li ti difisil pou mwa ek mo tifi parski dan Camp-Diable mo ti travay lor shift. Lerla mo ti fer enn demand pou CID.» Le 14 juin, elle reçoit un autre ordre de transfert pour la CID de Mahébourg. «Laba mo ti korek. Bann koleg ti korek.» Et puis est arrivé le dernier ordre de mutation, le 23 septembre, pour aller rejoindre le poste de police d’Eau-Coulée qui se trouve très loin de son domicile. «Pa kone kinn arive pou zot transfer mwa ankor. Lindi la mo pann kapav tini. Mo ti pou zet mo lekor vremem si mo bann koleg pa ti vinn a tan», confie la jeune femme, la voix tremblante, en repensant à tout ce qu’elle a vécu ces derniers temps.

 

Elle a également alerté l’Ombudsperson et le ministère de l’Egalité des genres sur sa situation. Elle espère y voir un peu plus clair à l’avenir et s’en sortir avec la compréhension des uns et des autres. La policière affirme : «J’aime mon travail et j’aimerais continuer à exercer comme policière mais ces derniers mois étaient devenus un cauchemar à cause de toutes ces mutations inexpliquées. Ma vie était devenue un enfer.» Un enfer qu’elle ne veut jamais revivre…

 


 

 

Inspecteur Shiva Coothen du service de presse de la police : «Des enquêtes sont en cours sur le suicide et la tentative de suicide»

 

Les Casernes centrales prennent les deux affaires très au sérieux. C’est du moins ce qu’avance le responsable du service de presse de la police. «Une enquête est en cours sur le suicide et une autre sur la tentative de suicide. Rien ne sera laissé au hasard pour tirer ces deux affaires au clair. C’est pour cette raison que le commissaire de police se refuse à tout commentaire pour l’instant», explique l’inspecteur Shiva Coothen. Il refuse également de commenter les cas de hazing. Il tient toutefois à souligner que la police a déjà mis sur pied une structure qui ne date pas d’hier pour assister les policiers qui ont des problèmes. Cette équipe, placée sous la responsabilité du Chief Police Medical Officer, le Dr Gungadin, compte d’autres Police Medical Officers, quatre psychologues et deux aspirants psychologues. Dorénavant, chaque nouvelle recrue doit remplir une fiche médicale qui servira quand elle connaîtra des ennuis de santé. Ceux qui sont suivis par des psychologues sont ceux qui ont fait l’objet d’un rapport de leur chef hiérarchique ou qui en ont fait la demande. Cela n’a, semble-t-il, pas été fait ni dans le cas du constable Colas, ni dans celui de la policière qui a tenté de mettre fin à ses jours.

 

Inspecteur Boojhawon, président Police Officers Solidarity Union (PoSU) : «Il faut revoir le système d’encadrement des policiers»

 

Le président de la Police Officers Solidarity Union cache difficilement sa colère après le décès du constable Colas et la tentative de suicide d’une policière. «Le harcèlement existe partout. Ce sont les policières qui sont les plus touchées. Notre syndicat a d’ailleurs déjà dénoncé un haut gradé qui a dû, par la suite, soumettre sa démission. Il faut revoir le système d’encadrement des policiers. Envoyer le constable Colas à la SSU a été une très mauvaise décision de la hiérarchie car il avait des problèmes personnels. Nous dénonçons aussi le manque de psychologues. Il n’y a que quatre dames pour 14 000 policiers, dont 90 % sont des hommes. Plusieurs policiers souffrent de Post Traumatic Syndrome Disorder après avoir vu des cadavres à la suite d’un meurtre ou d’un accident. Certains deviennent alcooliques, d’autres toxicomanes, voire très violents avec leur entourage car ils n’arrivent pas à s’exprimer. Le constable Colas avait des problèmes personnels que la hiérarchie a ignorés. C’est une grosse négligence.»

 

Inspecteur Maudarbocus, porte-parole All Police Officers Unity (APOU) : «Il faut faire des examens psychologiques au moment du recrutement»

 

Le porte-parole de la All Police Officers Unity est catégorique. «Il faut faire des examens psychologiques au moment du recrutement.» Cela est important, dit-il, car cet exercice va permettre à déceler d’éventuels troubles chez une nouvelle recrue. L’APOU pense également qu’il faut plus de psychologues pour suivre les policiers en poste. «Le harcèlement existe aussi bien dans la police que partout ailleurs. Mais il est très minime. Nous constatons toutefois que la police manque de psychologues. On en a déjà parlé avec le commissaire de police. Nous lui avions conseillé d’en avoir au moins un par division et pour les différentes unités. Il faut au moins 15 psychologues et ils devraient visiter les postes/unités pour savoir ce qui s’y passe et comment aider les policiers.»

 


 

 

Quand bizutage et harcèlement minent le moral des troupes

 

Le suicide du policier Colas et la tentative de suicide d’une policière le même jour mettent en lumière un mal-être qui existe visiblement dans la police. On parle de harcèlement, de transferts punitifs qui minent le moral de certains faisant partie de la troupe sur le long terme. On parle aussi de bizutage (hazing), de fancy fair, des formes de torture qui seraient couramment utilisées pour «endurcir», «renforcer» le caractère des nouvelles recrues de la police ou de ceux qui viennent de rejoindre telle ou telle unité, sauf que ces méthodes ont souvent pour résultat de briser ceux qui les subissent.

 

En 2009, après le suicide de deux policiers, le constable Devendra Joganah et le caporal Swaley Mandharry, qui avait mis les Casernes centrales en émoi, le commissaire de police de l’époque, Dhun Iswur Rampersad, avait promis de prendre des dispositions pour éviter que de tels drames se reproduisent. Des psychologues ont ainsi été recrutés pour suivre les policiers rencontrant des difficultés. À ce jour, ils sont quatre psychologues ainsi que deux stagiaires. Les Police Medical Officers, menés par le Chief Police Medical Officer Sudesh Kumar Gungadin, ont aussi pour tâche d’examiner les policiers «malades». Malgré ces mesures, il y a eu plusieurs autres cas de suicide dans la force policière depuis, dont beaucoup avec l’arme de service. Et le harcèlement, le bizutage et d’autres formes de persécution semblent contribuer à l’état dépressif des policiers, pouvant mener au suicide. Certains de ceux qui ont subi ces horribles pratiques ont accepté de témoigner pour nous sous le couvert de l’anonymat.

 

Prem (*), 19 ans à l’époque, en connait quelque chose. D’ailleurs, celui qui était entré dans la police en 2010 n’a pas poursuivi sa route dans ce domaine à cause des tortures qu’il a subies, notamment lors d’une séance d’entraînement au pied de la montagne Piton-de-la-Petite-Rivière-Noire alors qu’il était en formation à la SMF. «Nous venions de faire descente la montagne en courant lorsque l’inspecteur responsable de notre formation nous a dit qu’il fallait faire encore quatre kilomètres de course. J’avais du mal à continuer. J’étais fatigué et épuisé. Je me suis retrouvé à la fin du peloton. Mon formateur, qui courait avec nous, s’est alors énervé.»

 

Le jeune homme allègue que l’inspecteur a commencé à l’insulter, à le bousculer et  à le pousser avant de lui donner des gifles dans le dos : «Il m’a tiré par le bras pour me forcer à courir. Il m’a donné des coups de pied au postérieur avant d’aller kas enn baton pour me donner des coups à l’épaule. J’avais terriblement mal.» Son calvaire était loin d’être terminé, dit-il : «Il a jeté le bâton pour me tirer par le col de ma tenue de camouflage. Je n’arrivais pas à respirer ; il m’étranglait. Il y avait une montée. Il m’a brutalement poussé de dos. Puis, il m’a devancé pour m’attendre un peu plus loin. J’étais complètement exténué. Je courais à peine.»

 

Ce qui a, selon lui, mis son formateur davantage en colère : «Il m’a lancé des pierres qui ne m’ont pas atteintes. Ce qui l’a encore plus énervé. Il a kas enn lot baton et m’a donné cinq à six coups à la tête après m’avoir insulté et bousculé jusqu’à ce que je puisse rejoindre les autres qui m’attendaient.» En le voyant, ses camarades se sont remis à courir les 200 mètres restants. Prem, lui, a fait cinq pas avant de s’effondrer : «J’avais perdu connaissance pendant quelques secondes. À mon réveil, l’inspecteur m’a pris par le col pour me traîner sur l’asphalte et m’a laissé sur place. Deux constables m’ont ensuite fait boire de l’eau.» Après cette douloureuse mésaventure, il a dénoncé le «traitement humiliant» qu’il avait subi de la part de ce chef de la police, puis s’est rendu à la police, dûment muni d’un Form 58, pour se faire soigner. Il a ensuite démissionné de la force policière. À l’époque, une enquête avait été initiée mais jusqu’ici Prem n’a jamais eu connaissance de ses conclusions.

 

Kevin (*), lui, n’a pas quitté la police mais lui aussi garde des souvenirs amers du bizutage qu’il a subi au début de sa carrière. «Bann la ti fer mwa met enn string ek enn soutien gorz ek 2 zoranz ladan pou galoupe en plenn nwit divan barracks dan SMF pendan mo training ki pa ti fasil ditou, me mo finn manz ar li selma. Mo finn pass par boukou imiliasion avan mo passing out. Tousala finn ed mwa selma. Pou sorti dan lavi civil pou rant dan lapo enn polisie pa evidan. Akoz sa mem ena rekri kite ale parski pa fasil pou tini sa presion la. Pena ler, pena minit ou gagn zoure, maltrete, lerla ou poz ou mem kestion kifer ou finn anvi rant la polis», explique ce jeune homme.

 

Un autre jeune policier, Pritam (*), garde également un très mauvais souvenir des six mois de formation avant son passing out : «Nous avions toujours une journée bien remplie. On se réveillait très tôt pour faire des exercices physiques. On était nombreux à subir les foudres du Physical Training Instructor, surtout lorsqu’on sortait dernier dans les épreuves. Les punitions courantes étaient les pompes. On rentrait ensuite pour faire la toilette du matin et pour prendre le petit déjeuner. C’était les rares moments de répit. On avait ensuite des lectures avant de retourner aux affaires : les exercices physiques. Les moments les plus durs étaient de se faire maltraiter lors des outdoor trainings.»

 

Le fancy-fair est également une pratique courante au sein de la SSU et de la SMF pour ceux qui reviennent de congé et qui doivent faire le shift de 24 heures. «Fancy-fair la se kan bann koleg pran plezir ek ou. Ena dimounn pa kapav siporte sa. Ena gagn bate ek serviet tranpe pendan ki li pe pran so dous. Ena ki gagn kout dilo fre pandan ki li pe dormi. Ou swa ou linz inn disparet dan barracks letan ou sorti fer lexersis. Fode fort dan latet mem pou kapav tini sa bann zafer la», précise Manoj (*), membre de la SSU. Le constable Jean Luck Colas craignait d’être victime d’un «fancy-fair» dans la soirée du lundi 23 septembre. Car il venait de reprendre du service après quelques jours de congé. Ça a peut-être été la goutte d’eau de trop…

 

(*) Prénoms fictifs