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Par Elodie Dalloo
28 août 2023 17:17
«Qu’est -ce que cela, soixante ans ? C’est la fleur de l’âge et vous entrez maintenant dans la belle saison de l’homme», citait Molière. Des paroles qui semblaient faites pour Garçon Muttowsing, plus connu dans son entourage sous le nom de Rajen. En novembre dernier, il avait célébré son 60e anniversaire et, depuis, la vie semblait lui sourire. Il y à peine un mois, raconte son entourage, «il a terminé le remboursement d’un emprunt contracté il y a plusieurs dizaines d’années» et il en était très heureux. Il comptait aussi prendre sa retraite dans deux semaines pour pouvoir se consacrer à son plus grand projet : terminer la rénovation de sa maison, qu’il a, d’ailleurs, construite de ses propres mains. Ses proches racontent que la joie de ne plus avoir de dettes sur le dos le poussait même à dire, en rigolant, que «aster mo kapav mor trankil». Des paroles paraissant insignifiantes sur le coup, qui ont, hélas, pris tout leur sens quelque temps plus tard dans des circonstances tragiques. Agressé par un voleur sur son lieu de travail, il a rendu l’âme après deux jours d’hospitalisation.
Avant de devenir gardien, Rajen a travaillé longtemps comme maçon. Dès son plus jeune âge, il s’est intéressé à ce domaine qui le passionnait et en a finalement fait son métier. Ce qui lui a également donné la possibilité de construire sa maison de ses propres mains et de participer à la construction de celle de sa soeur. Ce n’est qu’après une sévère blessure, l’an dernier, qu’il a dû changer de voie et trouver un autre travail qui lui permettrait de continuer à rembourser ses dettes et nourrir sa famille. Ainsi, il y a environ dix mois, il a décroché un poste en tant que handyman dans la même compagnie où est employé Sanjay, l’un de ses trois fils. Travaillant six jours par semaine, ce n’était pas un problème pour cet habitant de Beaux-Songes de quitter sa maison le week-end pour aller gagner sa vie. À l’instar du dimanche 20 août, où il a été amené à assurer le gardiennage du Black River Business Park, situé à La Preneuse, vu que «leur équipe de sécurité ne travaille pas durant la journée», explique Sanjay. Il se trouvait seul sur ce chantier.
Comme d’habitude, son supérieur s’est rendu sur place à la mi-journée pour lui apporter son déjeuner. Puis, trois heures plus tard, celui-ci a effectué sa ronde habituelle pour s’assurer que tous les employés étaient bel et bien à leur poste et qu’il n’y avait aucun problème à signaler. Néanmoins, lorsqu’il s’est rendu au Black River Business Park, il n’a pas trouvé Rajen à son poste. «So boss inn fer letour santie pou rod li, me li pa ti pe kone kot li ete. Se kan linn mont lor premye letaz ki li finn trouv li anba. Li pa ti ena konesans», raconte Sanjay. En effet, le sexagénaire a été retrouvé gisant inconscient sur le sol avec de graves blessures à la tête et saignant abondamment. Sans perdre de temps, son supérieur a alerté le directeur de la compagnie qui les a aussitôt rejoints. Après avoir placé Rajen dans un véhicule, ils l’ont conduit à l’hôpital Dr Yves Cantin, à Grande-Rivière-Noire, en pensant qu’il s’était blessé après une chute. Mais sur place, le médecin qui l’a examiné a constaté que ses blessures avaient été provoquées par de violents coups. La thèse de l’acte criminel a ainsi été établie.
Peu après, Rajen a dû être transféré à l’hôpital Victoria par le SAMU car celui de Grande-Rivière-Noire n’était pas suffisamment équipée pour lui apporter les soins nécessaires. Il a été admis au département des soins intensifs, sous respiration artificielle. «Après avoir été informé de l’incident par mes collègues, nous sommes allés le retrouver sur place», lâche Sanjay. Dès le premier jour d’hospitalisation, ajoute Tilmal, l’autre fils de la victime, «dokter ti dir nou ki so leta kritik. Linn dir nou ki mo papa ti ena enn presyon dan so latet ek ki tan ki sa pa diminie, pa pou kapav fer nanye apar atann».
Les membres de son entourage ont vu une lueur au bout du tunnel le lendemain en constatant une légère amélioration de son état. «Presion-la ti diminie. Kan nounn al get li so gramatin, li ti paret inpe pli korek. So latet ti nepli enfle», raconte Tilmal. Toutefois, l’état de Rajen s’est drastiquement détériorée les heures suivantes et ses blessures ont eu raison de lui dans l’après-midi du mardi 22 août. L’autopsie pratiquée par le Dr Maxwell Monvoisin, chef du département médicolégal de la police, a attribué son décès à une fracture du crâne.
La plus grande tristesse de Yougesh, le troisième fils de Rajen, est que ce dernier «ne pourra pas terminer la rénovation de sa maison, comme il le souhaitait». Il poursuit, bouleversé : «Zour ki bann zouvrie ti vinn met plak, samem zour linn mor. Ti res zis pou fini koul dal pou li kapav pran so retret ek okip lerest». Tilmal abonde dans le même sens. «C’est un projet de longue date de la famille. Malheureusement, il ne sera pas là pour nous voir réaliser son rêve.»
Pour la famille Muttowsing, les circonstances dans lesquelles Rajen a trouvé la mort sont terriblement «injustes et cruelles». D’après ses trois fils, «il aurait vécu encore de nombreuses années si on ne lui avait pas ôté la vie. Même s’il n’était plus tout jeune, notre père n’avait aucun problème de santé. Nous le faisions régulièrement faire des examens médicaux et celles-ci ont toujours démontré qu’il était en pleine forme. Avek so nouvo travay, li ti pe mem trouv li tro anplas. Li ti pe al fer lamars souvan pou li rest fit».
La police n’a pas tardé à résoudre cette affaire. Elle a interrogé plusieurs suspects avant de mettre la main sur l’auteur de ce crime. Le meurtrier de Rajen serait un dénommé Cédric Jordan Fineau, un maçon de 27 ans domicilié à St-Martin, Baie-du-Cap. La brigade criminelle de Rivière-Noire, aidée des enquêteurs de La Gaulette et de Bel-Ombre, ont monté une opération afin de mettre la main sur lui et le mercredi 23 août, le suspect a pu être localisé à Baie-du-Cap, en compagnie d’une femme. En voyant arriver la police, il a tenté de prendre la fuite en direction de la plage mais a été vite rattrapé et maîtrisé.
Conduit dans les locaux de la Criminal Investigation Division (CID) de Rivière-Noire, il a été soumis a un feu roulant de questions et est passé aux aveux. Il a raconté que le dimanche 20 août, il s’était rendu au Black River Business Park pour y commettre un vol mais qu’il a été surpris par le sexagénaire. Il a agressé ce dernier et a pris la fuite lorsqu’il s’est évanoui. Il a remis aux enquêteurs les vêtements qu’il portait le jour du drame pour les besoins de l’enquête. Le suspect a passé la nuit en détention avant d’être traduit devant le tribunal de Bambous le lendemain sous une accusation provisoire de meurtre. Il a ensuite été reconduit en cellule, la police ayant objecté à sa remise en liberté.
Yeswantee, l’épouse de Rajen, est, quant à elle, effondrée d’avoir perdu celui aux côtés de qui elle vivait depuis 37 ans. «Je ne garde que des bons souvenirs de lui. Zame nounn lager, zame nounn gagn kit problem, zame linn anpes mwa fer kitsoz. Nous nous sommes toujours très bien entendus», confie-t-elle avec émotion. Ouma, la soeur de la victime, abonde dans ce sens : «Nous avons perdu nos parents très jeunes et c’est lui qui, depuis, s’est occupé de ma soeur et moi. Il a été pour nous comme un deuxième père et voulait qu’on l’appelle Dada.» Elle poursuit, nostalgique : «Linn touzour bien gat nou. Mem nounn ariv sa laz-la, li ti ankor pe tret nou parey. Dan so latet nou ti ankor so bann ti ser. Sak fwa nou vini, li ti bizin donn nou kitsoz pou nou amenn lakaz.» Bouleversée, elle lâche : «Mo ena enn sel frer, linn ale ek pa pou regagn li, me mo espere okenn lot fami pa pass dan meme zafer. Mo espere li gagn so la zistis.»
Sanjay, Tilmal et Yougesh décrivent leur père comme un homme exemplaire qui a toujours été strict car il ne voulait pas que ses enfants prennent une mauvaise pente. «Il a toujours su nous guider et nous mettre sur le droit chemin. Il a toujours été là pour nous encourager, pour nous aider à réussir et à devenir indépendants.» Leur père les a toujours inspirés, souligne Yougesh : «J’ai toujours été témoin de sa débrouillardise. Monn get li travay lor esafodaz, kot mem kan li blese li pa arrete. Linn fer tou pou so fami pa mank nanye. Gras a li, zame nounn dormi ek vant vid. Mem li pena, li fer tou pou ki so fami pa dormi san manze.» Les fils de Rajen s’attristent, entre autres, de ne plus pouvoir l’accompagner désormais à ses parties de pêche à Albion et Le Morne durant son temps libre ; des moments dont ils n’ont pas suffisamment profité auparavant.
Les voleurs semblent, de plus en plus, s'en prendre aux personnes âgées. Cette semaine, Garçon Muttowsing, alias Rajen, ne s'en est pas sorti après avoir été agressé par le voleur qu'il a surpris sur son lieu de travail. Si une habitante d'Albion de 81 ans semble avoir eu plus de chance, sa mésaventure lui laissera certainement un goût très amer ainsi que des séquelles psychologiques.
Le mardi 22 août, l'octogénaire se trouvait à un arrêt d'autobus lorsqu'une voiture s'est arrêtée à son niveau. À bord se trouvaient trois individus – deux hommes et une femme –, qui ont proposé de lui donner un lift lorsqu'elle leur a indiqué qu'elle se rendait à Mont-Roches. Croyant en la bienveillance de ces inconnus, elle a pris place dans le véhicule sans se poser de question.
Une fois dans les parages de Mont-Roches, l’autre femme qui se trouvait dans la voiture l'a menacée et a exigé qu'elle lui remette son sac à main. Lorsqu'elle a refusé, les deux hommes ont brandi un sabre, la contraignant de le leur remettre. Ils lui ont alors pris la somme de Rs 2 200, qui se trouvait dans son porte-monnaie, ainsi que son téléphone portable. Ils lui ont ensuite rendu le reste de ses affaires avant de lui demander de descendre de la voiture.
L’habitante d'Albion a par la suite porté plainte au poste de police de Barkly et donné aux enquêteurs le numéro de la plaque d'immatriculation du véhicule. Les limiers ont ainsi pu savoir que la voiture est la propriété d'une compagnie sise à Port-Louis. L'enquête suit son cours afin de retrouver les trois suspects impliqués dans ce vol.
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