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Good Governance and Integrity Reporting Bill : Le projet de loi qui fait peur… un peu, beaucoup, pas du tout

2 novembre 2015

Des cris offusqués ont résonné. Et résonnent encore. Des messages d’horreur d’outre conférences de presse. Des signes du Mal (risques de persécution politique, de vendetta, d’expropriation et d’emprisonnement). Vague de terreur.  Le spectre du (dé)possedé a plané sur notre île. Normal, c’est la semaine d’Halloween. Nos politiciens de l’opposition ont donc lancé la semaine de la chasse aux sorcières (ou plutôt au projet de loi).

 

Le bill, qui veut combattre l’enrichissement illicite, à pendre haut et court (pour qu’il revienne, comme un mort-vivant, avec de sérieuses modifications) : le Good Governance and Integrity Reporting Bill (qui a besoin pour sa réalisation de deux amendements : le Constitution (Amendment) Bill et l’Asset Recovery (Amendment) Bill). Ce projet de loi du ministre de la Bonne gouvernance a été présenté en première lecture au Parlement cette semaine.

 

Le but : traquer ceux qui ne peuvent expliquer et justifier d’où viennent leurs biens. Pour ce faire, une Integrity Reporting Services Agency (IRSA) sera mise en place. Elle pourra enregistrer des dépositions (appelées «dénonciations» par les détracteurs de cette loi) et demander des explications sur la provenance de ses biens à un citoyen mauricien. Un Integrity Reporting Board (IRB), présidé par un juge de la Cour suprême mauricienne ou du Commonwealth, sera aussi institué afin d’enquêter sur les rapports remis par l’IRSA et décider de la marche à suivre. La possibilité de réquisitionner les biens que les propriétaires n’ont pu justifier est une des propositions de ce projet de loi.

 

Du coup, pour que ce bill soit effectif, des amendements à la Constitution sont nécessaires. Une étape délicate mais réalisable (l’Alliance Lepep possède une majorité de trois quarts à l’Assemblée). Néanmoins, les députés de l’opposition, certains observateurs politiques et des juristes ont, cette semaine, exprimé leurs doutes concernant ce projet de loi. Ils avancent plusieurs arguments pour démontrer que leurs craintes sont justifiées. Quels sont-ils ? Découvrez-les ici. De son côté, Roshi Badhain, le ministre derrière ce projet de loi, persiste et tente de rassurer les Mauriciens. Il a lancé une campagne d’explication qu’il veut nationale, cette semaine à la Cybertour I qui se trouve à Ebène. Quels points avance-t-il pour faire face à ses détracteurs ? On vous dit tout.

 


 

Roshi Badhain défend son projet de loi

 

■ Une lutte contre la fraude et la corruption. Elle est nécessaire, affirme Roshi Badhain, le ministre de la Bonne gouvernance, qui veut traquer les richesses et les avoirs suspects : «L’argent provenant de sources illicites n’aura plus aucune valeur». D’ailleurs, il ne comprend pas ses détracteurs. Son bill ? Une «loi très juste, équitable».

 

■ Une question d’équilibre. Le but de cette nouvelle loi est de construire une île Maurice plus propre et plus équitable, assure le ministre de la Bonne gouvernance. Que veut-il dire ? Qu’il y a deux types d’économies à Maurice, celle qui est officielle et celle qui est parallèle (marchands ambulants, revenus non taxés, deals non déclarés).

 

■ Pas motivé politiquement. Roshi Bhadain l’a dit et redit cette semaine. Il ne se lance pas dans une vendetta politique, ni dans une campagne de persécution. Ce projet de loi, a-t-il assuré, ne sera pas une arme politique contre les opposants du gouvernement : «Si une personne est propre, elle est propre. Rien ne peut lui arriver !»

 

■ Ils n’ont qu’à bien se tenir ! Pas les honnêtes gens, assure le ministre. Mais ceux qui ont des choses à cacher. «Si la personne concernée peut expliquer comment elle a financé son achat, alors elle n’aura aucun souci à se faire.» Et ceux qui sont victimes de dénonciation calomnieuse et qui peuvent prouver leur «richesse» ne feront face qu’à une petite enquête de rien du tout. Pas grave ! Ceux qui ne peuvent rien prouver, par contre, c’est une toute autre affaire. Peine de prison et expropriation sont au menu.

 

■ Un pas vers… une loi sur le financement des partis politiques. C’est ce qu’affirme Roshi Badhain. Certains observateurs politiques estiment que c’est le contraire qui devrait se passer.

 

■ Au niveau du gouvernement. Le Premier ministre par intérim Xavier-Luc Duval a exprimé son soutien à Roshi Badhain et à son projet de loi. Au niveau de l’Alliance Lepep, la consigne est claire. Tous les députés devront être présents le 4 décembre (si le jour de vote est maintenu). 

 

■ Le soutien d’Ameenah Gurib-Fakim. Selon la présidente de la République, les Mauriciens doivent soutenir des projets de lois qui rendent plus «accountable» : «Si le Premier ministre et son équipe ont décidé qu’un tel projet de loi rendra les gens un peu plus accountable, nous devons l’encourager.»

 


 

Les arguments des «contres»

 

■ Les droits fondamentaux bafoués. Selon Paul Bérenger(et il n’est pas le seul), cette loi ne respecterait pas la présomption d’innocence. Mais aussi la Constitution. Selon lui, l’amendement constitutionnel «touche à un droit fondamental», celui du droit à la propriété privée.

 

■ Un outil politique. Pour Reza Uteem, leader adjoint du MMM, il n’y a pas de doute. Cette loi serait un «outil politique qui sera utilisé pour enquêter sur les gens que le gouvernement veut harceler». Navin Ramgoolam, leader du PTr, est du même avis : «Des nominés politiques ne peuvent pas enquêter et saisir des biens.»

 

■ La dénonciation. Les veyer zafer pourront avoir un super pouvoir : la délation. Une personne s’offre une nouvelle voiture ultra-classe, ultra-chère (et, selon celle qui veut dénoncer, au-dessus de ses moyens) et elle peut se retrouver face à une dénonciation. Celui qui est à l’origine du palab peut même être récompensé financièrement pour sa croustillante information, souligne Parvez Dookhy, docteur en droit. Ce qui peut mener à «des abus et des dénonciations calomnieuses faciles».

 

■ Manque d’indépendance. Le directeur de l’Agence (IRSA) nommé par le ministre de la Bonne gouvernance en consultation avec le Premier ministre. Le président du Comité (IRB) : un ancien juge d’une cour mauricienne ou du Commonwealth nommé par le Premier ministre. Le manque d’indépendance de ces deux institutions nécessaires pour la réalisation de cette loi est décrié. Quelle solution pour que des personnes totalement indépendantes soient nommées ? Pour Parvez Dookhy, il suffirait que «l’autorité en charge de la nomination des juges» s’en charge. Alan Ganoo a une autre proposition : «Que ces personnes soient nommées par le président de la République, en consultation avec le Premier ministre et le leader de l’opposition». Paul Bérenger s’inquiète que l’Asset Recovery Unit soit placée sous la Financial Intelligence Unit (FIU) : «Le rôle de la FIU n’est pas d’enquêter. C’est extrêmement dangereux.»

 

■ Sept ans. L’amour durerait sept ans selon certains «experts» abonnés aux colonnes des magazines féminins étrangers. Le pouvoir de cette loi aussi, selon l’article 3-6 : «This Act shall apply to any property acquired at any time not more than 7 years before the commencement of this Act». Selon Roshi Badhain, ce serait parce que les données bancaires ne sont pas conservées plus longtemps. Une raison insuffisante selon ceux qui ne sont pas en faveur de cette législation dans sa forme actuelle. Certains vont jusqu’à affirmer qu’il s’agit simplement d’un moyen pour les personnes actuellement au pouvoir de ne pas être inquiétés par cette loi. Le président de la Mauritius Bar Association (MBA), Me Antoine Domingue, s’est exprimé à ce sujet et a dit être contre la rétroactivité des sept dernières années. D’ailleurs, il estime que ce projet de loi relève du «chantage constitutionnel».

 

■ Et les autres ? Cette loi n’est applicable qu’aux citoyens mauriciens (et non aux étrangers et aux structures telles que les associations ou les trusts). De quoi donner des idées à ceux qui veulent la contourner.

 

■ Renforcer et améliorer. Le bill controversé ? Pas du tout ! Mais les lois existantes et les organismes dont le but est actuellement de lutter contre la fraude et la corruption : l’Independent Commission against Corruption, la Mauritius Revenue Authority et le bureau du directeur des poursuites publiques.

 


 

À suivre…

 

 - Paul Bérenger l’a annoncé. Les députés du MMM ne voteront pas en faveur du Constitution (Amendment) Bill – pour l’amendement de la Constitution afin de permettre la saisie de biens mal acquis (selon le gouvernement). Il a également lancé un appel à sir Anerood Jugnauth pour que le Good Governance and Integrity Bill soit retiré afin de laisser la place à un débat approfondi avant la deuxième lecture au Parlement. Navin Ramgoolam est aussi de cet avis. Il estime qu’une discussion large est nécessaire. Par ailleurs, la solution serait pour lui de redonner des couleurs à une loi déjà existante : «Que le gouvernement appelle les partis politiques et la société civile pour voir comment on peut améliorer l’Asset Recovery Act.»

 

 - Le PTr présentera un position paper sur ce nouveau projet de loi dans les jours à venir.

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