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10 mars 2024 18:38
Impossible de passer à côté. Deux grandes photos encadrées et ornées de fleurs sont disposées sur un petit tabouret au cœur du salon de cette famille de 8e Mile, à Triolet. Les clichés montrent deux jeunes hommes respirant la vie : Abhay Boojedhun et son frère Keshav Dhumun. Ou plutôt son demi-frère. Tous deux âgés de 21 ans, ils sont nés de mères différentes, mais ont le même père : Vinay Bhoojedhun. Comme pour se donner du courage, ce dernier grille une cigarette avant de prendre la parole pour dire sa peine, sa peine infinie d’avoir perdu non pas un mais deux fils d’un seul coup et dans des circonstances terriblement tragiques.
La voix cassée par l’émotion, il lâche : «De frer-la ti de bon kamarad.» Les liens qui les unissaient étaient tellement forts qu’Abhay et Keshav ont quitté ce monde en même temps. Ils sont morts lorsque le kanwar qu’ils transportaient a pris feu non loin d’une jonction à Arsenal, après avoir heurté une ligne de haute tension du Central Electricity Board. La forte décharge électrique a fait exploser le kanwar et le feu a pris instantanément, réduisant la structure en cendres en quelques minutes et causant quatre autres décès. Cet horrible drame s’est produit dans la soirée du dimanche 3 mars alors que les membres du Trikal Sena Group de la New Market Road, à Triolet, se dirigeaient vers Grand-Bassin dans le cadre du pèlerinage du Maha Shivaratree. Les différents rapports d’autopsie indiquent que deux des victimes sont décédées par électrocution alors que les quatre autres ont rendu l’âme suite à un «shock due to extensive burns».
Les funérailles des victimes, âgées entre 18 et 20 ans, ont eu lieu le lendemain en présence de proches abasourdis de douleur de les voir partir si jeunes et dans de si terribles conditions. Chez les Boojedhun, la douleur était encore plus vive car ce n’est pas une dépouille qui a quitté les lieux pour être incinérée mais deux. Deux frères, deux jeunes qui semblaient avaient toute la vie devant eux pour réaliser leurs rêves et leurs projets. Très proches dans la vie, bien que l’un ait grandi dans le Nord et l’autre dans le Sud, c’est ensemble que les frères Abhay Boojedhun et Keshav Dhumun ont quitté le domicile de leur père à 8e Mile pour être incinérés au crématoire de la localité. «Enn bel soufrans sa. Li bien dir pou enn papa kinn perdi so de garson enn sel kout gagn kouraz koz lor la. Difisil aksepte sa kalite lamor-la», confie Vinay Bhoojedhun dont la voix traduit l’immense douleur.
Il explique que ses deux fils venaient d’avoir leurs résultats du Higher School Certificate. Abhay devait bientôt s’envoler pour la Malaisie où il comptait entamer des études en intelligence artificielle, explique son père. Keshav n’avait, pour sa part, pas encore décidé de ce qu’il allait faire de son avenir, souligne notre interlocuteur. Le jeune homme habitait à Rivière-des-Galets. Il s’était temporairement installé chez son père, à Triolet, pour aider son frère et les autres membres du Trikal Sena Group à fabriquer un kanwar à l’arrière de la maison familiale. Le groupe est dirigé par un autre membre de la famille.
«Bann zenes dan landrwa mem sa. Ena tou kominote ladan. Zot inn pran boukou patians pou ranz zot kanwar», précise Vinay. Cela faisait plus d’un mois que les travaux de fabrication avaient débuté. La grandeur du kanwar avait toutefois fait sourciller plus d’un. «Mo ti dir bann zenes-la ki zot kanwar tro gran me zot pann ekout mwa ditou. Bann zen aster tro teti. Zot pa kontan ekout bann gran dimoun. Mo ti dir zot ki zot pou fini par gagn problem ek sa oter zot kanwar me zot pann swiv nou bann konsey», affirme un oncle.
Le film de la soirée fatidique tourne en boucle dans la tête de Vinay. Il raconte la même histoire à tous ceux venus lui témoigner de la sympathie. Il explique qu’il était au lit lorsqu’un cousin lui a annoncé une terrible nouvelle au téléphone : «Linn dir mwa degaze vinn lakrwaze Arsenal parski kanwar bann zanfan-la inn pran dife.» Il s’est alors précipité vers sa voiture et a démarré. «Sime ti bloke. Monn bizin gar mo loto inpe lwin ek sa plas kot mo de garson ti gagn problem-la.»
Quelques minutes plus tard, Vinay découvre une véritable scène d’horreur. «Mo de garson ti fini karbonize», murmure avec douleur l’habitant de 8e Mile. Des photos et des vidéos du kanwar en feu ainsi que des dépouilles calcinées avaient d’ailleurs envahi les réseaux sociaux à peine quelques minutes après le drame. Outre Abhay Boojedhun et son frère Keshav Dhumun, Nilesh Mootiah, 20 ans, Luvesh Jugdhur, 18 ans, Luvalesh Soodoyal, 20 ans, et Avinen Soobrayen, 19 ans, ont également perdu la vie dans cette tragédie. Il y a également eu 17 blessés, dont un dans un état grave, qui ont été hospitalisés. Un jeune de 16 ans est toujours admis en Intensive Care Unit alors que les autres ont pu regagner leur domicile durant la semaine.
À en croire Vinay, ce drame aurait pu être évité. C’est du moins ce qu’il a expliqué à des proches venus lui rendre visite après le «servis de zour». Selon ses dires, les pèlerins s’étaient arrêtés non loin des feux à la jonction d’Arsenal pour faire une petite pause. «Zot ti poz zot kanwar lor sime. Enn loto ti pe res tronpe ale mem akoz sime ti inpe bloke sa moman-la. Zot tinn pas ek bann difil kouran san problem avan sa. Kanwar-la inn tous ek difil kouran kan bann zanfan-la inn bouz li enn kout brit akoz sa sofer-la ti pe tro klaksone. Sofer-la inn sove kan dife inn pran», confie péniblement Vinay.
Ce père n’a que des mots élogieux pour ses deux fils. Selon lui, ils étaient très proches malgré la distance qui les séparaient mais ils se voyaient aussi souvent que possible pour le plus grand plaisir de leur père. «Mo de garson ti de bon zanfan. Zame mo pann gagn gro problem ar zot. Abhay ti kontan manz paneer. Keshav ti kontan manz pwason. Enn zanfan lakot sa. Bel soufrans sa kan ou perdi de zanfan sa laz-la. Akoz sa mo pa tro oule koze. Mo pou bizin trouv kitsoz pou okip mwa sinon mo riske tonb malad.»
Le temps guérit certaines blessures. D’autres cicatrices restent béantes pour toujours. Vinay est conscient que les siennes risquent de ne pas guérir après ce terrible coup du sort qui est venu chambouler l’ordre des choses. Pour cause : il n’est pas commun pour un père de perdre tragiquement ses deux fils en même temps et d’organiser ensuite leurs funérailles. Les nombreuses personnes, dont plusieurs personnalités politiques, venues lui présenter leurs sympathies, arrivaient d’ailleurs difficilement à trouver les mots pour le soutenir, le consoler face à une telle tragédie. Car aucun mot ne peut amoindrir la peine de ce père qui a perdu deux fils d’un coup, de plus dans des circonstances aussi atroces.
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