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Incertitudes concernant le début de saison 2022 : un drame humain à venir ?

2 mai 2022

Jean-Michel Giraud, le président du MTC, a essayé tant bien que de mal de rassurer les employés inquiets par la tournure des récents évènements.

De mémoire de turfiste, l’industrie n’a jamais été aussi secouée, au point où d’aucuns se demandent quand, et non si, la barque va chavirer. Car si le tandem MTC-MTCSL tente, tant bien que mal de faire contre mauvaise fortune bon cœur, il arrivera bien un point de non retour si une solution durable n’est pas trouvée au plus vite entre le régulateur, la Gambling Regulatory Authority (GRA), et l’organisateur des courses qu’est le MTCSL. Les images qui ont déferlé sur les réseaux sociaux depuis vendredi traduisent la situation précaire et toute la détresse que vivent les employés du  MTCSL en ce moment.

 

Il faut dire que la pilule est dure à avaler pour ces centaines d’hommes et de femmes, qui se lèvent pratiquement aux aurores, dès fois tous les jours que dieu fait, pour s’acquitter de leur tâche pour qu’une journée de courses se passe dans les meilleures conditions. Si le gazon du Champ de Mars est comme un billard le jour de courses, c’est grâce à eux. Si les chevaux sont bichonnés pour donner le meilleur d’eux-mêmes sur la piste, c’est encore en grande partie grâce à eux.

 

Comprenez toute leur détresse, leur souffrance voire leur colère d’apprendre du MTCSL ce jeudi que leur salaire du mois d’avril ne sera pas versé dans l’immédiat. A ce titre, il serait bon de rappeler que ces employés sont pour la plupart passionnés par leur métier, mais leur rémunération n’est bien trop souvent pas à la hauteur de leur commitment. Car, tenez-vous bien, un palefrenier avec une dizaine d’années d’expérience, et qui cumule des heures de travail, du lundi au dimanche, peut toucher la modique somme de Rs 15 000 pour le prix de ses efforts. Et là encore, s’il a de la chance.

 

Du coup, pas étonnant de les voir dans tous leurs états depuis ces derniers jours. Qu’adviendra-t-il d’eux si la situation ne se décante pas pour le MTCSL ? Car à l’heure actuelle, l’organisateur est incapable d’honorer ses engagements contractuels vis-à -vis de ses employés. Du moins pas tant que les caisses seront vides. Une situation qui ne pourra s’améliorer qu’avec l’émission de la licence d’opération du MTCSL. Et là encore, la partie est loin d’être gagnée (voir plus loin).

 

MTCSL : dépouillé et acculé

 

Quel sera le plan B pour ces pères et mères de famille, qui bien des fois malheureusement sont les seuls à faire bouillir la marmite chez eux ? Si un nouvel organisateur prend le relais au MTCSL, cela garantit-il pour autant la sauvegarde de leurs emplois ? Certes, leur expérience demeure un aspect non-négligeable, mais entreront-ils tous dans les plans d’un éventuel nouveau horse racing organiser ? Par les temps qui courent, avec les vagues d’augmentations de prix qui font trembler le porte-monnaie des ménages, posséder un job relève pratiquement d’un luxe.

 

Pourtant, tout aurait pu être si différent pour les quelque 350 employés du MTCSL si celui-ci avait décroché sa licence d’opération. Le processus a été chronophage, après la demande initiale de l’organisation en date du 8 février dernier. S’en sont alors suivis de nombreux échanges de correspondances entre la GRA et le MTCSL. Dans le giron, on se félicitait d’ailleurs d’une sortie d’impasse quand Wayne Wood, le patron de la Horse Racing Division (HRD), annonçait lors du lancement officiel de cette nouvelle instance hippique le 15 avril dernier, le feu vert de la GRA pour l’émission de la licence d’opération du MTCSL sous certaines conditions.

 

Il n’en fallait pas plus pour que la situation reparte en sucette. Entre un Jean-Michel Giraud, président du MTC, qui estime que la GRA a tenté de piéger l’organisateur en ajoutant des conditions inadmissibles comme les droits pour la race card et les facilités devant être mises à la disposition de la HRD gratuitement le jour de courses, et la GRA qui maintient qu’elle ne fait que se plier aux provisions de la loi sous la GRA Act, le dialogue de sourds est reparti de plus belle.

 

Face à la pression montante de ses salariés cette semaine, le MTCSL a accepté (à contrecœur ?) de se plier aux conditions de la GRA. Mais c’était sans compter sur un ultime rebondissement de la part de la Municipalité de Port-Louis, qui informait au MTC sa décision de révoquer, avec effet immédiat, sa «Concession de Privilège» pour l’exploitation du Champ de Mars, qui demeure sous la responsabilité du ministère des Terres et du Logement. La raison étant que le MTCSL, qui ne dispose toujours pas d’un horse racing organiser license, la privait, de même que l’Etat, de revenus associés aux bookmakers, totalisators et autres sweepstakes. Sans compter une somme avoisinant les Rs 100 000 comptant pour les frais d’exploitation par journée de courses.

 

C’est, donc, dans la stupeur que les habitués du training ont découvert un Champ de Mars dépourvu d’âme jeudi matin, avec toutes les lumières éteintes sur l’hippodrome, les chevaux cantonnés à leurs boxes. Fort heureusement, la HRD est parvenue à  décanter la situation, dans l’immédiat du moins, puisqu’elle a obtenu le soutien de la force policière, ainsi que celui du ministère des Terres et du Logement, pour la réouverture de la piste d’entraînement hier matin, et ce dans l’intérêt des chevaux.

 

Et maintenant ? Aux dernières nouvelles, le MTCSL compterait contester la décision de la Municipalité de révoquer sa «Concession de Privilège», d’autant plus qu’il s’avère que certains conseillers de la capitale n’auraient pas été consultés avant l’arrêt de cette décision. Pour aspirer à organiser les courses cette année, le MTCSL devra impérativement retrouver ses droits d’exploitation de l’hippodrome du Champ de Mars. La Municipalité reviendra-t-elle à de meilleurs sentiments ? Selon nos derniers recoupements, cet épineux dossier a été transféré au ministère des Terres et du Logement. Affaire à suivre.

 


 

Un nouvel hippodrome en gestation à Balaclava ?

 

Une alternative au Champ de Mars sera-t-elle bientôt une réalité ? Souvent au coeur des discussions de la communauté hippique, le centre privé de l’homme d’affaires et propriétaire de chevaux, Jean-Michel Lee Shim, pourrait bientôt connaître des développements majeurs. Ainsi, la piste longue d’environ 1 700m risque de faire peau neuve avec des équipements déjà acquis selon nos recoupements pour transformer ce centre en un véritable lieu de compétition. Info ou intox ? Nous avons essayé d’avoir une réaction du principal concerné, en vain.

 

Didier Simanarain

 


 

Réactions...

 

Mukesh Daby, chauffeur

 

«Je compte 35 ans comme chauffeur au MTC. C’est triste ce qui se passe.  Jamais je n’aurais pensé qu’on arriverait à une telle situation et que l’avenir des courses hippiques serait très sombre. Je lance un appel à l’Etat qui contrôle la Horse Racing Division (HRD) et le MTC de s’asseoir autour d’une table et de discuter. Car, actuellement, avec cette impasse, les employés sont dans l’expectative.  Dans deux ans je prendrais ma retraite  et je ne sais pas ce que réserve l’avenir. Et même je ne sais pas si je recevrai mes salaires pour les mois à venir. Sans course, il n’y a pas de revenus et les poches des employés resteront vides.»



Rye Joorawon, jockey

 

«La situation n’est pas simple. Surtout pour les jeunes apprentis qui viennent tout juste de commencer à travailler. Ils se donnent corps et âme. On ne sait pas quand les courses vont commencer et l’entraînement est à l’arrêt. Combien d’argent vont-ils percevoir à la fin du mois ? Ils touchent environ Rs 6 000 à Rs 7 000 pour les montes à l’entraînement et ils doivent payer environ Rs 6 000 pour une couverture d’assurance. C’est impossible pour eux de joindre les deux bouts. Je vous laisse tirer votre propre conclusion.»

 


 

Les employés reçoivent une partie de leur salaire

 

Les employés du MTCSL peuvent souffler. Si, jusqu’au jeudi 28 avril, date du payday pour le mois écoulé, les salaires de quelque 350 employés n’avaient pas encore été versés en raison d’un depleted cash flow, il nous revient que les salariés de la compagnie ont obtenu une partie du montant de leur paie. Si des négociations jusqu’à fort tard dans l’après-midi de mercredi n’avaient pas abouti dans un premier temps, il nous revient que les officiels ont pu trouver une solution pour régler, dans un premier temps, une partie de leur salaire. On se souvient que la tension était palpable dans l’enceinte du MTCSL, jeudi, lors d’une rencontre convoquée par la société entre le département des Ressources humaines, le président Giraud et les employés, pour leur faire part qu’elle ne pourra assurer leur salaire à cette date. Reste qu’heureusement la situation se décante graduellement au soulagement des employés de la compagnie.

 

Naseeb Koreeawa

 


 

Enter l’écurie Ramanah

 

Alors que le Champ de Mars est dans l’œil du cyclone et qu’on n’a aucune certitude sur le début de la saison avec le bras de fer entre la GRA et le MTC/MTCSL, une deuxième nouvelle écurie, après celle de Ruhee, a fait son apparition dans le paysage hippique cette semaine. Il s’agit de  l’établissement Ramanah, qui aura comme entraîneur Vishal Ramanah.

 

Ce dernier est une figure connue au Champ de Mars car en tant que propriétaire, il a fait le tour de plusieurs écuries dont Rameshwar Gujadhur, Mahess Ramdin, Vincent Allet, Patrick Merven, Praveen  Nagadoo, Sewdyal et dernièrement Shirish Narang.

 

Il avait exercé comme assistant de l’écurie Narang avant de prendre ses distances temporairement du giron hippique à la fin de la saison dernière.

 

Il est revenu à la charge cette année et après avoir passé avec succès l’examen d’entraîneur organisé par la HRD (Horse Racing Division) en mars dernier, il a obtenu récemment une licence pour opérer une nouvelle écurie.

 

L’écurie Ramanah misera sur un effectif de 15 chevaux pour débuter la saison. En sus de quelques chevaux qui lui appartenaient déjà en tant que propriétaire chez l’écurie Narang, il a accueilli six chevaux de l’écurie Nagadoo, quatre chevaux de l’écurie Perdrau et deux autres chevaux en provenance de l’écurie Hurchund.

 

Voici un aperçu de son effectif : The Dazzler, El Patron, Perfect Persuit, Captains Fort, Supreme Elevation, Kingsman, Almost Winter, Ladder Man, Masterofallisurvey, The Time is Now, Trackbuster, Sergeant York, Crack On, Domino Ruler et Puget Sound.

 

Nitin Leckraj

 


 

Billet par Ally Mohedeen

 

Situation chaotique

 

Cette situation catastrophique pour les courses de chevaux au Champ de Mars, on la sentait venir depuis quelques années. Surtout depuis l’institution d’une commission d’enquête sur le sport hippique, devenu, le temps d’une campagne électorale, un sujet pouvant faire basculer des votes. Navin Ramgoolam, alors Premier ministre, disait avant même la publication du rapport Parry que les experts britanniques avaient trouvé des preuves irréfutables d’ «activités criminelles» au MTC et que l’argent de la «mafia du turf» servait à financer des partis politiques. Et lorsque le rapport fut rendu public, feu sir Anerood Jugnauth, entre-temps reconduit au pouvoir, disait que «Government is determined to combat the mafia in the gambling industry that has brought so much suffering to punters and the public at large. We are committed to do away with all the evils that have destroyed the good name of horse racing in Mauritius and to bring back absolute sports integrity into the industry.» Si les intentions semblaient bonnes pour redonner aux courses leurs lettres de noblesse, la suite des évènements a rendu la situation chaotique au Champ de Mars.

 

Aux quelques directives émises par la GRA au MTC avant le changement de régime de 2014 sont venues s’ajouter d’autres, beaucoup plus lourdes et contraignantes. A partir de là, les relations devaient se détériorer entre l’organisateur des courses et le régulateur d’autant que ce dernier se permettait même, de temps à autres, d’exiger des explications en matière de «stewarding», ce que n’appréciait guère le MTC.

 

Mais c’est la création de la Horse Racing Division, une entité engendrée par la nouvelle GRA Act en 2021, qui est venue bouleverser le monde hippique, car cette unité, selon la loi, a désormais la responsabilité de «regulate, control and monitor the organisation of horseracing activities.» Tout en s’appropriant les «fixtures» et «race cards» du MTCSL et c’est cette section de la loi qui est à l’origine d’une action du MTC/MTCSL en Cour où il réclame des dommages de l’ordre de Rs 7 milliards à la GRA et à l’Etat.

 

C’est une des raisons pour laquelle l’organisateur des courses a refusé de signer les conditions de sa licence car il dit craindre que cette section de la loi ne lui garantisse aucune rentrée d’argent, alors que les «fixtures» et les «race cards» avant l’avènement de la GRA, étaient ses propriétés intellectuelles. D’où le refus du MTC/MTCSL d’accepter la condition 4 de la licence, condition qui se lit ainsi : «The licensee shall at all times during the duration of the licence, organise horse race meetings as per the fixture list and raced cards prepared and issued by the Horse Racing Division and the licensee shall, in no circumtances whatsoever, delay, hinder or refuse to organize the holding of such horse race meetings during the horse racing season 2022.»

 

Le MTC/MTCSL et la GRA s’affrontent également sur l’interprétation à donner à la section 31(n) de la GRA Act où il est stipulé que l’organisateur des courses doit «provide proper infrastructure, including interview rooms, facilities for viewing of race videos from different angles and any other ancillary infrastructure to assist the stipendiary stewards in their duties.» La loi ne dit pas si ce service est free of charge ou pas alors que le MTC/MTCSL, lui, réclame Rs 1m à la HRD pour que toutes ces facilités soient mises à sa disposition. Or, la condition 10 de la licence impose à l’organisateur des courses de respecter cette section de la loi «free of charge.»

 

En refusant systématiquement d’accepter ces deux conditions, le MTCSL a refusé de payer pour sa licence, ce qui lui a valu une expulsion du Champ de Mars sur une décision inattendue, mercredi soir, de la Municipalité de Port-Louis, laquelle a pris tout le monde de court. Du coup, au MTC/MTCSL, on a tenté de désamorcer la bombe dès le lendemain en acceptant toutes les conditions de la licence, dont les sections 4 et 10. Mais trop tard ! La GRA ne pouvait lui accorder une licence de «racing organiser», faute…d’hippodrome !  

 

Ce qui se passe dans le monde hippique depuis quelque temps dépasse le simple cadre sportif. Le problème est purement politique. C’est une guerre de pouvoir entre le MTC, qui, fort de ses 210 ans d’existence, ne veut pas céder les rênes hippiques, et l’Etat qui veut non seulement contrôler, mais dicter chaque foulée des chevaux au Champ de Mars. Aucun compromis n’est encore trouvé entre les deux entités alors que c’est la grogne chez les employés du MTC/MTCSL, privés d'une partie de leurs salaires d’avril. Si les courses ne reprennent pas, un drame humain se profile à l’horizon. Ce qui paraissait encore possible il y a une semaine ne l’est plus depuis la résiliation de la «Concession de Privilège» accordée au MTC en 2008.

 

Nouvelle bataille légale en perspective, ce qui renforce davantage le sentiment d’incertitude qui plane sur la saison des courses 2022. A moins d’un rebondissement spectaculaire, ce qui, valeur du jour, relèverait de l’utopie.
 

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