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Indranee Boolell Bhoyrul : «Tout le monde devrait se sentir concerné par la traite des humains»

10 novembre 2015

Indranee Boolell Bhoyrul : «Tout le monde devrait se sentir concerné par la traite des humains»

Qu’est-ce que le trafic humain ?

 

L’article 3 du Protocole de Palerme, annexe à la Convention des Nations unies sur la criminalité transfrontalière de 2000, définit le trafic humain ou la traite des personnes comme «le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par le recours à la menace ou la force, ou d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité de situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acception de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation à la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes».

 

Et pourquoi une campagne autour de ce sujet à Maurice ?

 

Ayant été l’avocate de travailleurs bangladais exploités à Maurice, de filles et de jeunes femmes forcées par des proches à la prostitution, je me suis rendue compte de cette réalité macabre de notre pays. Il m’était clair qu’au XXIe siècle, il était impératif de braquer les projecteurs sur ce fléau. Ainsi, quand j’ai rencontré Florence Boivin-Roumestan, présidente de Justice and Equity du Canada, et Lindley Couronne, directeur de DIS-MOI, nous avons décidé de nous atteler à cette cause. Nous avons mis sur pied la commission Déracinons le Trafic Humain à Maurice, la dernière-née d’autres commissions de DIS-MOI, dans le but de lutter contre la traite des humains, de protéger les victimes et d’assurer le respect de leurs droits. 

 

Est-ce que ce fléau existe à Maurice ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples et nous avancer des chiffres ?

 

Maurice et Rodrigues ne sont pas épargnées par ce fléau. D’ailleurs, le rapport mondial 2015 du ministère américain des Affaires étrangères indique que Maurice a encore régressé dans la lutte contre le trafic humain. Notre pays figure aujourd’hui dans la catégorie Tier 2 Watch List. Je cite : «L’île Maurice est une source, une destination et un pays de transit pour les hommes, femmes et enfants soumis au travail forcé et au trafic sexuel.» Les filles mineures mauriciennes et rodriguaises, ainsi que des femmes mariées sont poussées à la prostitution ou vendues par des proches ou des membres de leur famille ou encore par des hommes d’affaires. Je tiens à préciser, en tant qu’avocate, que je traite encore des cas qui relèvent des instances de trafic humain.

 

La maltraitance de beaucoup de travailleurs migrants à Maurice n’est un secret pour personne. Les médias en parlent régulièrement. Pire encore, ils ne sont même pas en mesure de revendiquer leurs droits. Abus physiques, confiscation de passeports, séquestrations ne sont que quelques exemples du traitement inhumain que subissent des travailleurs étrangers qui n’étaient en fait qu’en quête de jours meilleurs. On pourrait également évoquer le trafic de nourrissons et d’enfants en bas âge, vendus à des étrangers. Or, il existe à Maurice le National Adoption Council qui, conformément aux prescriptions de la Convention de La Haye, s’occupe de l’adoption internationale selon des procédures établies. Puisque la majorité des cas ne sont pas rapportés aux autorités par crainte et méconnaissance, il n’existe aujourd’hui pas de statistiques fiables sur la traite des humains à Maurice.

 

Quel est le but de la campagne que vous lancez ?

 

Le but principal, comme son nom l’indique, est de déraciner le trafic humain à Maurice. Lindley Couronne l’a dit lors d’un atelier de travail sur le sujet à la mairie de Port-Louis le 5 novembre : «Personne, ni aucune organisation ou institution, ne peut arrêter le trafic humain.» Notre but est d’aboutir à un plan d’action national sur ce fléau, en étroite collaboration avec l’État, et de mettre fin aux violations des droits fondamentaux.

 

Comment faire pour combattre ce fléau ?

 

Nous demanderons à ce que les sanctions légales soient renforcées contre les proxénètes, les trafiquants sexuels et les agents recruteurs sans épargner les patrons bourreaux. La population dans son ensemble sera sensibilisée. DIS-MOI organisera des sessions de formation et d’information dans le cadre légal et social pour encourager ceux qui détiennent des informations à venir dénoncer. Toute information sera traitée dans le strict anonymat. Nous assurerons l’encadrement, le soutien et la représentation juridique des victimes. Dans ce contexte, un centre de refuge et le Human Trafficking Watch sont les priorités de DIS-MOI dès janvier 2016. Le directeur de DIS-MOI plaide aussi pour qu’une plateforme nationale contre le trafic humain soit instituée.

 

Pourquoi tout le monde devrait-il se sentir concerné par ce fait ?

 

Les affirmations successives de liberté et des droits fondamentaux sont de plus en plus nombreuses. Pourtant, comme l’a fait ressortir Kofi Annan, l’ancien Secrétaire général des Nations unies, au XXIe siècle, «le droit de vivre dans la dignité, à l’abri de la peur et du besoin est encore refusé à des millions de gens dans le monde. Il est refusé à l’enfant qui travaille sous contrat dans un atelier clandestin, au père qui doit offrir un pot-de-vin pour faire soigner son fils ou sa fille, à la femme qui est condamnée à une vie de prostitution forcée». Tout le monde devrait se sentir concerné par la traite des humains parce que le respect de la dignité humaine l’exige !

 


 

Bio express

 

Avocate, avec 20 ans d’expérience, Indranee Boolell Bhoyrul est mariée à Navin Bhoyrul, également avocat. Et mère de deux fils, Bevin, médecin en Grande-Bretagne, et Dustin, avocat d’affaires à Maurice, tous deux lauréats du HSC. Elle a, à son actif, une riche carrière de 15 ans dans le syndicalisme. «J’ai été présidente de la University of Mauritius Staff Union, coordinatrice des Femmes travailleurs de l’Afrique et de l’océan Indien. J’ai également mis sur pied l’Aile féminine de la Fédération des Syndicats des Corps Constitués, dont j’ai ensuite assuré la présidence.  J’ai aussi été conseillère municipale à la municipalité de Quatre-Bornes», confie-t-elle.

 


 

DIS-MOI, l’histoire d’une mission

 

Droits Humains Océan Indien (DIS-MOI), fondée en 2011, est une organisation régionale des Droits de l’homme, basée à Belle-Rose. C’est une organisation qui compte plus de 500 membres et supporters. La mission principale est d’inculquer des droits humains parmi les populations de la région, à savoir Maurice, Rodrigues, Madagascar, les Comores, Mayotte, La Réunion et les Seychelles. DIS-MOI a pour directeur Lindley Couronne, avec un secrétariat national et des commissions chargées de différentes causes, dont récemment la Commission Déracinons le Trafic Humain à Maurice.

 


 

Ma semaine d’actu

 

Quelle actualité locale a retenu votre attention ces derniers temps ?

 

Le succès de Jane Constance à The Voice Kids. Je tiens à la féliciter chaleureusement. Et, bien évidemment, le projet de loi sur l’enrichissement illicite (Good Governance Integrity Reporting Bill).

 

Et sur le plan international ?

 

La campagne électorale pour la présidentielle aux États-Unis, mais surtout les élections prochaines en Birmanie, ce pays qui a longtemps été l’une des pires dictatures au monde et qui organise pour la première fois depuis le début des années 60 un scrutin démocratique !

 

Que lisez-vous actuellement et pourquoi ?

 

J’éprouve un réel plaisir à lire les biographies de grands hommes et femmes ainsi que les oeuvres de philosophes comme Swami Vivekananda, Albert Camus et Khalil Gibran. En ce moment, je prends plaisir à lire I am Malala, de Malala Yousafzai et Christina Lamb.

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