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2 août 2022 12:56
Plusieurs sentiments les animent. La colère d’abord. L’inquiétude ensuite. Depuis que les travaux sur son île ont commencé en 2018, Arnaud Poulay, fervent militant, et Franco Poulay, président de Lavwa Rezistans Agalega, se posent toutes sortes de questions sur l’avenir de leur île natale et celle de leur peuple. Leur plus grande crainte ? Qu’ils soient offerts à l’Inde et vivent le même scénario que les Chagossiens, chassés de leur terre natale au profit des Anglais. Le débat est revenu sur le tapis avec un scandale de sniffing allégué qui secoue le pays depuis quelques semaines. Parmi les thèses qui circulent, celle d’une tentative d’espionnage pour le compte de l’Inde qui se retrouve au cœur d’une bagarre géopolitique avec la Chine, les deux superpuissances cherchant à contrôler l’océan Indien.
Pour Franco Poulay, ce ne serait pas étonnant que ce qui se passe chez eux soit lié à cette affaire de sniffing allégué. «Nous qui sommes ici voyons bien que ces grosses infrastructures ne sont pas pour les Agaléens. La presse internationale et l’Inde même ont, plusieurs fois, parlé de base militaire. Pour moi, les explications du Premier ministre ne sont pas convaincantes. Qu’ils viennent sur place nous parler, nous dire clairement ce qui se passe. Nous avons le droit de savoir. Venez nous rassurer.»
En effet, dans la presse étrangère, l’intention de l’Inde d’installer une base militaire sur Agalega a été relatée à plusieurs reprises, des images satellites à l’appui, montrant la construction d’infrastructures démesurées par rapport à la taille de l’archipel. Théorie démentie à plusieurs reprises par Pravind Jugnauth qui a expliqué que ce qui se construit à Agalega est une piste d’atterrissage, une jetée, un hangar et un tunnel. Sauf que ces travaux, qui ont coûté Rs 8,8 milliards jusqu’ici, sont entièrement financés par l’Inde. Xavier-Luc Duval, réclamant des réponses claires et précises de la part du Premier ministre, a axé sa PNQ du mardi 26 juillet sur ce dossier brûlant. Il a voulu savoir le coût total des projets en cours et a demandé des détails sur la maintenance et la prise en charge de ces infrastructures. Le leader de l’opposition avait précédemment publié une vidéo sur sa page Facebook, intitulée La vérité lor Agaléga, dans laquelle on peut voir des images des constructions en cours.
Pravind Jugnauth a expliqué qu’un Memorandum of Understanding (MoU) a été signé entre l’Inde et Maurice pour le financement des travaux à Agalega. Projet, a-t-il précisé, approuvé en 2014 par le gouvernement travailliste mais signé par son gouvernement en 2015. Le PM a aussi dévoilé que les hangars abriteront des Boeing 737 et des A321, bien qu’Air Mauritius n’en possède pas. À la question de Xavier-Luc Duval de savoir s’il ne s’agirait pas plutôt de Boeing P-81 Poseidon, chasseurs de sous-marins et qui transportent des missiles, il a répliqué ne pas être au courant.
Le leader de l’opposition est encore une fois revenu à la charge dans une nouvelle PNQ le jeudi 28 juillet, voulant savoir notamment si Pravind Jugnauth compte dévoiler le contenu de l’accord bilatéral entre nos deux gouvernements, mais ce dernier a une fois de plus invoqué la clause de la confidentialité en affirmant qu’il n’est aucunement question de base militaire sur Agalega et que ce qui s’y prépare est dans l’intérêt des habitants. Une explication qui ne tient pas la route, estime Arnaud Poulay, qui assiste au quotidien à la valse des travailleurs étrangers et des machines. «Cette affaire de sniffing allégué ne m’étonne pas du tout. Je ne suis pas surpris non plus en écoutant tout ce qui se dit actuellement. Je vois les ingénieurs tous les jours avec mes yeux. Ils ont des drones qui circulent pendant la nuit et des caméras partout. Ce qui se passe ici n’est pas dans l’intérêt des Agaléens et du développement de notre île. J’ai déjà demandé à deux officiers indiens s’il y aura des vols commerciaux permettant la visite de touristes après l’achèvement des travaux, ils étaient incapables de répondre. J’ai déjà entendu un officier indien dire qu’une fois le projet fini, nous ne pourrons plus continuer à vivre ici.»
Pour Franco Poulay, tout cela est extrêmement révoltant, lui qui milite pour le bien-être et l’avancement d’Agalega depuis des années. «Nous sommes en train de nous battre pour qu’au moins on puisse devenir propriétaires de ce morceau de terrain et de la maison où nous vivons. On n’accède pas à nos demandes, alors que c’est notre droit constitutionnel.» Arnaud Poulay se dit, pour sa part, inquiet pour l’avenir de leur île natale et celle de ses habitants. «Aujourd’hui, il y a des Agaléens qui vivent dans l’inquiétude. Moi, je suis honnête mais il y a aussi une autre réalité. Certains Agaléens pensent qu’ils auront des millions pour quitter cette île. C’est ça qui crée de la division aujourd’hui. Le pire dans tout ça, c’est que l’État profite de ce manque de solidarité.» Perdre Agalega comme les Chagossiens ont perdu leur île serait, pour eux, l’une des pires choses qui puissent arriver.
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