Publicité
Par Sabine Azémia
14 juillet 2014 13:45
«Vous êtes venus trop tard, nous ne pouvons plus rien faire pour votre œil.» Une phrase dure à entendre. C’est pourtant ce que des spécialistes de l’hôpital de Chennai, en Inde, ont affirmé à quatre Mauriciens. Ces derniers ont développé une grave infection à l’œil après avoir subi une injection d’Avastin à l’hôpital de Moka. Ce traitement vise à ralentir la détérioration de la vue essentiellement chez les personnes atteintes de diabète. Depuis son introduction à Maurice, une trentaine de patients se seraient fait administrer de l’Avastin directement dans l’œil. Bien que l’intervention se soit bien passée pour la majorité d’entre eux, quatre hommes se retrouvent aujourd’hui privés d’un œil.
Krishna Appadoo, 59 ans, fait partie de ceux-là. Il s’était rendu à l’hôpital de Moka en août 2013 pour une intervention au laser à l’œil gauche. Le médecin de service lui aurait alors conseillé d’avoir recours à une injection visant à améliorer sa vue de façon fiable. En acceptant, il était loin d’imaginer la suite des événements. «Le médecin m’a fait cette injection sous la varangue de l’hôpital. Cela m’a étonné, d’autant plus que des travaux se faisaient dans l’enceinte de l’établissement», raconte-t-il.
Deux jours après, Krishna Appadoo ressent des douleurs atroces dans l’œil gauche et se rend immédiatement à l’hôpital où il sera admis pour 19 jours. «Dokter inn dir mwa mo lizie inn afekte avek enn viris danzere», nous explique-t-il. Un «virus» qui aurait détruit sa rétine. Malgré les soins, la situation ne cesse de se détériorer, ce qui pousse le patient à se rendre en Inde, dès que possible, pour y recevoir un traitement adéquat. En vain. Le verdict du spécialiste de l’hôpital de Chennai est sans appel : « Your retina has already been damaged. We can’t do anything for you.»
Aujourd’hui, Krishna Appadoo vit un cauchemar. «Mo ena pou met gout 30 fwa par zour», confie-t-il. Mais surtout, ce handicap soudain a des conséquences sur sa vie professionnelle. «En tant qu’homme d’affaires, je suis vraiment embarrassé», dit-il. «J’ai l’intention d’engager des poursuites car mon existence est devenue un enfer.»
Autre cas, celui de Ranjit Jowahir, âgé de 66 ans. L’injection d’Avastin lui avait été conseillée au terme d’un check-up en mai dernier. Peu après l’intervention, «c’était le black-out total», lance-t-il. «Je ne comprenais pas ce qui s’était passé.» De retour à l’hôpital de Moka, il a été admis pour une durée de 23 jours. «Suite à cela, comme rien ne pouvait être fait ici pour remédier à cette situation, on m’a conseillé d’aller à Chennai et cela à mes propres frais», explique-t-il.
Plus d’espoir
Malheureusement, les médecins indiens réduiront à néant ses espoirs de guérison. Ranjit affirme se retrouver dans une situation très difficile, tant sur le plan moral que financier. «Ma fille doit se marier l’an prochain, je ne sais pas comment je vais faire», dit-il consterné. Son épouse, Prabha, ne cache pas son désarroi : «C’est un handicap pour nous. Je travaille et je ne sais plus où donner de la tête car je dois aussi m’occuper des pansements et des traitements de mon mari.» Celui-ci adore le foot mais, désormais, il regrette de ne plus pouvoir s’adonner à sa passion.
Le troisième cas est celui de Sylvestre Louis Antonio qui est rentré au pays ce mardi. Trois mois après une opération pour traiter une cataracte à l’œil droit, qui s’était pourtant bien passée, il s’est rendu en mai à l’hôpital de Moka où il a, lui aussi, reçu la fameuse injection d’Avastin. Le scénario est le même que pour les autres victimes : de violentes douleurs à l’œil puis une hospitalisation de deux semaines sans amélioration de son état. «Les médecins ont fini par m’annoncer que mon œil s’était gravement infecté et qu’il fallait que je me rende à Chennai», se souvient-il.
Les spécialistes indiens lui diront également qu’il est trop tard. «Étant chauffeur de taxi, je ne sais pas comment je vais pouvoir continuer mon métier dans cet état», s’inquiète-t-il. Son épouse, Marie Noëlle Antonio, explique que «c’est lui qui fait vivre la maison. Nous avons plusieurs dettes. On ne sait plus comment faire face à cette situation».
Ravinduth Kasee, âgé de 51 ans, vit le même calvaire depuis le 22 mai. Une situation que sa famille vit très mal. Ce soudeur de profession déplore le manque de considération pour les patients à l’hôpital de Moka. «Ils auraient dû nous prévenir dès le début que les soins ne sont pas disponibles à Maurice. On aurait fait le nécessaire pour nous rendre à Chennai au plus vite et pas après plus d’un mois.» Le ministère de la Santé a ouvert une enquête afin de déterminer les responsabilités dans cette affaire (voir hors-texte).
Le ministère de la Santé explique
Suite aux interrogations du public, le ministère de la Santé a émis un communiqué sur l’utilisation de l’Avastin à l’hôpital de Moka. En effet, ce médicament, précise-t-il, est utilisé à Maurice depuis 2008 suivant les conseils du Pr Tabatabay. Il est généralement destiné aux malades souffrant de graves problèmes oculaires. Depuis son introduction, plus de 4 000 patients ont reçu cette injection. Le centre hospitalier précise que les risques d’infection comme celle dont ont été victimes les quatre malades du 22 mai sont extrêmement rares. Au niveau international, le risque de contracter une endophtalmie (inflammation ou infection intraoculaire) après une injection d’Avastin est estimé à 0,1 %. Le ministère de la Santé a ouvert une enquête afin de faire la lumière sur cette affaire. L’expertise des Hôpitaux Universitaires a également été sollicitée afin de trouver une solution.
Une autre victime dès 2009 ?
Les quatre patients éborgnés à l’hôpital de Moka ne sont peut-être pas les seuls. Après avoir entendu leur récit, un autre homme est venu de l’avant pour dire qu’il a aussi perdu l’usage de son œil suite à une injection d’Avastin dans le même établissement, en 2009. Depuis, il n’a plus remis les pieds à l’hôpital de Moka. Il raconte qu’il a préféré prendre ses dispositions pour se rendre en Inde et y suivre un traitement de peur que son œil gauche ne soit également affecté.
Publicité