Publicité

Jacques Pereira : «Je connais beaucoup de professionnels aujourd'hui qui n'ont pas eu 5 credits au School Certificate ...»

4 février 2024

Vous avez une longue carrière dans le domaine de l'éducation. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

 

J'ai débuté dans l'enseignement au collège Bhujoharry à l'âge de 18 ans et c'est par vocation que j'ai opté pour cette profession. J'ai enseigné au début, alors que je n'étais pas encore gradué, presque toutes les matières : anglais, français, littérature française, littérature anglaise, l'Histoire de France, l'Histoire de l'Angleterre, le latin... J'ai enseigné tout cela, sauf les mathématiques. J'ai travaillé 26 ans au collège Bhujoharry, et pendant que j'étais enseignant là-bas, Rama Sithanen était élève là-bas, Armoogum Parsuramen y étudiait également, Raj Dayal aussi. Ils n'étaient pas mes élèves, mais j'ai connu tout ce beau monde. Puis, j'ai bougé au collège Saint-Mary's où j'ai travaillé pendant 10 ans. En même temps, j'ai fait mes études et j'ai obtenu mon Bachelor in education honors en anglais. J'ai alors commencé à enseigner le GP (General Paper) et la littérature anglaise en Form VI. Puis, j'ai été nommé recteur au collège Père Laval. J'ai aussi travaillé à temps partiel à l'UTM comme chargé de cours pour l'anglais et enseigné au DCDM, maintenant Institut Charles Telfair, comme prof d’anglais. J'ai donc eu une longue carrière dans l'enseignement. Je connais très bien le secteur de l'éducation. J'ai formé deux générations de Mauriciens : le père et le fils étaient mes élèves. Aujourd'hui, parmi mes élèves, et je suis fier de le dire, il y a des journalistes, des députés, des magistrats, des avocats, des banquiers, des architectes, des docteurs... Ce sont des professionnels et quand je les rencontre, ils ont toujours le même respect pour moi et ils reconnaissent tout le bien que je leur ai fait et ce que je leur ai partagé comme connaissance. I'm fairly knowledgeable dans l'éducation.

 

Fort de votre expérience dans le domaine, vous vous sentez très concerné par tout le débat autour de la question des trois et quatre credits pour avoir accès au HSC. Pourquoi ce sujet vous interpelle tant ?

 

Je connais beaucoup de cas. Je connais des élèves, à l'époque, qui n'avaient que trois et quatre credits qui sont aujourd’hui des professionnels dans différents domaines. Ils ont eu deux ou trois Advance Level, certains ont réussi leur Form VI. Même avec quatre credits, ils ont réussi leur Form VI et ils ont, par la suite, été à l'université. Ils n'ont pas à rougir de cela. Je connais beaucoup de professionnels aujourd'hui qui n'ont pas eu cinq credits au School Certificate et qui ont pu très bien faire après. Ne pas permettre à des élèves qui n'ont que quatre credits d'accéder au HSC est une mesure injuste. Je crois que les Mauriciens ont perdu leur capacité d'indignation. Ce n'est pas normal qu'on empêche un élève d'avoir accès au Grade 12, la Form VI, parce qu'il n'a pas cinq credits. Qui demande les cinq credits ? Certainement pas Cambridge ! Cambridge ne demande pas d'avoir cinq credits. Cambridge dit qu'il faut avoir un credit dans les matières qui seront présentées à l’Advance Level. Si tu as trois credits dans trois matières, tu présentes les trois sujets au A Level, plus deux sujets subsidiaires, tu passes ton HSC. Ce n'est pas Cambridge qui impose l'obligation des cinq credits. C'est le ministère de l'Éducation, ici, qui impose cela. Quel est le but derrière cela ? On cherche l'élite ? On a parlé de la démocratisation de l'éducation, c'est ça la démocratisation de l'éducation ? L'éducation est gratuite, je suis d'accord, mais les candidats ne sont pas tous alignés sur la même ligne de départ.

 

C'est-à-dire ?

 

Je prends un langage imagé... Tu as des candidats qui habitent dans des châteaux et tu en as d'autres qui habitent dans des étables. C'est comme ça ! Ceux qui sont mieux lotis, qui peuvent prendre des leçons, ils ont cinq ou six leçons particulières, leurs parents ont les moyens. Mais je ne les blâme pas ; ils sont nés avec une cuillère dorée dans la bouche. Mais qu'en est-il des autres enfants qui n'ont peut-être même pas une table pour écrire et qui font leurs devoirs sur une caisse, qui n'ont même pas l’électricité et ne sont pas connectés à Internet. J'ai récemment écouté une émission sur une radio privée. Avec raison, les participants à ce débat ont évoqué que de nombreux étudiants, aujourd'hui, n'ont pas accès à Internet. Ils n'ont pas de tablettes, ils n'ont pas de téléphones, pas de laptops et ne peuvent, par exemple, pas suivre les cours quand ceux-ci sont dispensés en ligne. Donc, au départ même, il y a une grande disparité et une grande injustice envers nos enfants.

 

Pouvez-vous approfondir ?

 

Je crois que c'est anticonstitutionnel d'empêcher un enfant d'avoir accès à un grade alors qu'il a passé ses examens. Cambridge, c'est un examen, pa enn konkour sa ! Vous passez votre examen, vous montez, vous allez faire votre HSC. Quelle garantie avons-nous, qu'un enfant avec cinq credits va réussir son HSC ? Il n'y a aucune garantie. Je connais un cas. C'est une success story. C'est un jeune homme qui était mon élève dans les années 70. Il passe sa Form V. Et avec sa Form V, il part pour l'Angleterre pour devenir infirmier. Il commence par faire Nursing, et il continue à étudier. Il décroche son Diploma in Nursing. Il continue à étudier, il décroche son BSC in Nursing. Pena HSC la ! Il continue à étudier, il décroche son Masters in Nursing. Il continue à étudier, il a son doctorat. Aujourd'hui, c'est un Lecturer à la London University et il n'a pas de HSC. C'est une sommité dans le domaine du nursing. Quelle est cette connerie de dire qu'il faut avoir cinq credits pour aller en HSC ? Maurice est le seul pays au monde qui ne regarde pas la dernière qualification que tu as, mais ce que tu as eu avant ! Un exemple : quelqu'un a un BA Honors. Je connais le cas. C'était un prof au primaire que j'avais rencontré. Il m'a raconté son calvaire et je pèse mes mots. Il n'avait pas de credit en anglais, mais il avait son HSC, il avait son BA Honors. Et parce qu'il n'avait pas de credit en anglais, il n'a jamais traversé le qualification bar. Cette personne est décédée de frustration. C'est révoltant. Alors, la dernière qualification n'est pas importante ? Je suis révolté en tant que pédagogue. Mes enfants sont grands. Je n'ai pas d'enfant en Form V ou en Form VI mais je ne peux pas rester insensible face à ce qui se passe. Il y a 7 000 candidats qui n'ont pas eu cinq credits. Parmi, il y a peut-être des candidats qui ont eu deux credits, deux distinctions ou trois credits, une distinction. Pourquoi ne pas les laisser monter pour faire leur HSC ? On peut les laisser monter et repasser l'examen en juin. Puis, il faut arrêter avec cette affaire : same and one sitting. Il faut que la Public Service Commission revoie ces requirements. Un candidat a son HSC, kifer bizin ale gete si li ena credit en anglais ?

 

Certaines voix parlent de nivellement par le bas si les critères d'accès au HSC sont revus. Qu'en dites-vous ?

 

Jamais. Il faut donner la chance à ces enfants. Il y a des late developpers, non ? Si un enfant décroche trois credits en Form V, pour moi, c'est un achievement. Nous ne savons pas dans quelle condition il a pris part aux examens. Qui nous dit que cet enfant ne va pas bien faire après si on lui donne la chance de faire son HSC ! Nous n'avons aucune garantie. Moi je dis qu'avec cette mesure, on est en train de voler les droits des enfants. On est en train de priver toute une génération de leurs droits. L'examen de Form V n'est pas un concours. La ministre pa pe kompran ki pe arive. Pourtant, c'est une ancienne éducatrice.

 

Il y a quelques années encore, le nombre de candidats qui arrivaient à décrocher cinq, voire six credits, était conséquent. Pourquoi cela semble-t-il plus difficile maintenant de passer cette étape ?

 

J'ai vu les résultats détaillés et dans toutes les matières, il y a une baisse de performances. C'est général. Je ne peux pas porter un jugement sur l'éducation, sur les enfants, sur l'enseignement... Je ne blâme personne, mais on a toujours dit, quand un élève échoue, il y a trois questions que l'enseignant doit se poser : est-ce que j'ai enseigné comme il faut ? Est-ce que j'ai deliver comme il faut ? La deuxième question est : what is wrong with the material ? Est-ce que les livres, les textes ne sont pas appropriés ? Est-ce qu'il faut tout changer ? Et la troisième question est : what is wrong with the pupil ?

 

Qu'est-ce qui se passe pour ces étudiants qui n'ont pas accès au HSC parce qu'ils n'ont pas obtenu le nombre de credits demandés ?

 

Certains élèves ont la possibilité de refaire une année, mais si après deux tentatives, un enfant n'a pas réussi à avoir les cinq misérables credits, qu'il n'a eu que quatre, il doit quitter l'école. C'est terrible. Qu'est-ce qu'il va faire de sa vie ? Il n'est pas intéressé à suivre la filière technique. Et personne ne peut opter pour lui. Si lui veut poursuivre dans la filière académique, on ne peut pas le pousser vers la filière technique.

 

Quelle solution proposez-vous autour de ce sujet qui fait beaucoup de bruit ?

 

Je fais appel au bon sens de la ministre. Qu'on donne une chance à ses élèves qui ont eu quatre credits ! Mais les autorités restent insensibles et il n'y a pas qu'une seule autorité.

Publicité