Publicité

Jean Bruneau : «Nous devons récupérer les détenus, les réhabiliter et leur pardonner»

23 décembre 2015

Après cinq ans passés à la tête des services pénitentiaires, Jean Bruneau, dont le contrat en tant que Commissaire du Mauritius Prison Service arrive à expiration, fait le bilan de son mandat. Il a récemment lancé son nouveau livre, intitulé Fenêtres sur les prisons mauriciennes, dans lequel il revient sur les temps forts des 300 ans d’histoire des prisons mauriciennes depuis l’ère française.

Quel bilan faites-vous de ces cinq années passées à la tête des services pénitentiaires ?

 

Le bilan est positif, mais la route vers la réhabilitation des détenus est longue et parsemée d’embûches, d’où la nécessité de travailler dur et en collaboration avec toutes les parties concernées.

 

Il y a certainement des choses dont vous êtes fiers. Lesquelles ?

 

L’équipe au chevet des prisons mauriciennes a un bilan très riche. L’ordre et le calme sont revenus. Les officiers des prisons sont conscients de leurs responsabilités et sont mieux formés. L’environnement dans toutes les prisons au niveau des bâtiments, des cours, de la cuisine, s’est amélioré. L’entente entre les gardes-chiourmes et les internes est meilleure. Le climat favorise la création de la richesse dans nos ateliers, nos fermes. Tout cela favorise le processus de réhabilitation qui est en marche.

 

Et d’autres un peu moins…

 

Il est toujours possible de faire mieux. Il y a certes des sujets un peu plus épineux comme changer la loi sur les prisons, qui date du siècle dernier, la réintroduction de la rémission et l’accès de certains détenus libérés à un certificat de moralité, qui attendent tous d’être finalisés.

 

Vous êtes apparu au cours de ces dernières années comme un Commissaire ouvert sur le monde extérieur. Quelle est l’importance de la communication dans le monde pénitentiaire ?

 

En dépit des barreaux, ceux qui se retrouvent à l’intérieur d’une prison, tels que les officiers, mais aussi les détenus ne peuvent vivre en isolation. Le contact avec l’extérieur est essentiel pour la survie. Les bons soldats ou les armes les plus sophistiquées ne suffisent pas pour remporter une guerre, les armées doivent mettre au point une stratégie de communication, cette logique s’applique autant à une campagne électorale que pour faire fructifier un commerce. De nos jours, dans les secteurs public et privé, la communication est un outil incontournable.  L’homme à tous les niveaux de la vie, que ce soit sur les plans local, régional ou international, est interdépendant, d’où l’importance  d’informer et d’être informé.  

 

Est-ce un moyen de redorer l’image de la prison ?

 

La perception que l’opinion publique a développée dans un passé assez récent du département de la prison, a été influencée par l’indiscipline qui y prévalait, le manque de contrôle des autorités comme souvent répertoriés dans les médias. L’absence d’une politique de communication des dirigeants pour confirmer, infirmer ou rétablir les faits rapportés a entaché davantage son image. Notre priorité au début de mon mandat fut de projeter une image des efforts entrepris pour redresser la barre, d’expliquer nos contraintes et de montrer nos réalisations. 

 

La prison et les détenus subissent encore les préjugés de la société. Pensez-vous que le regard des Mauriciens a changé ?

 

Hélas, ici comme ailleurs, l’opinion publique vis-à-vis des détenus et de la prison en général a toujours été négative. Cela s’explique par la montée en puissance du crime,  l’enfer dans lequel sont plongées les victimes de la drogue, le traumatisme et la souffrance endurés par les enfants abusés sexuellement. Les gens doivent comprendre que ceux qui ont fauté ne peuvent croupir éternellement en prison. En tant qu’êtres humains, la société se doit de récupérer les détenus, de les réhabiliter et de leur pardonner. Notre politique qui œuvre dans cette direction commence à porter ses fruits, mais c’est un combat de longue haleine qui requiert que la société à tous les niveaux s’investisse.

 

Quelle est votre plus grande satisfaction pendant votre mandat ?

 

Les joies sont multiples pour tous ceux qui défendent cette noble cause, les volontaires, ceux qui sont au chevet des démunis. Ce sont ces petites choses simples telles le sourire d’un enfant d’une détenue qui s’épanouit dans la garderie introduite dans l’enceinte des prisons. Un interne de la prison ouverte de Richelieu qui, de son propre gré, met tout son cœur pour faire le portrait de la présidente de la République ou du Chef commissaire de Rodrigues. Josian, l’officier des prisons qui, après une semaine de dur labeur, trouve le temps un dimanche après-midi pour animer l’émission Baro pas aret lavi. Aurore, la jeune Française qui, à sa libération loin de son pays, dit regretter l’ambiance qui prévalait au pénitencier de Beau-Bassin après quatre années de captivité. Eshan et Jerry condamnés à plusieurs années pour trafic de drogue, aujourd’hui réhabilités, qui s’apprêtent à retrouver la liberté avec un degré universitaire forgé en prison. Des Mauriciens qui font la queue pour remplir le caddy d’Angel Treequi sert à mettre un peu de baume dans le cœur des proches des prisonniers.

 

Avez-vous bénéficié du soutien de vos adjoints dans votre mission ?

 

La collaboration de tous a été encouragée et nous a aidés à progresser. Dans un département essentiel comme le nôtre, l’esprit d’équipe est primordial. Ceux qui ne l’ont pas compris vont rater le train.

 

Il y a eu beaucoup de frictions parmi les officiers de la prison ces derniers temps, des règlements de compte, des frustrations. N’est-ce pas un frein au bon fonctionnement des services pénitentiaires ?

 

Il est difficile pour tous de regarder dans la même direction. Il est bon qu’il y ait des débats par rapport à nos idées, sans toutefois déraper. Nous organisons régulièrement des sorties entre collègues pour leteam building. Ce genre d’activité a une grande importance.

 

Les frustrations viennent aussi du Principal Prison Officer Industries and Works qui regrette notamment qu’il n’y ait pas eu de promotions depuis 2008. Qu’en pensez-vous ?

 

Je suis un des premiers à reconnaître la contribution et l’importance de ces deux unités d’élites. Je me suis battu pour cette cause. Des progrès ont été accomplis. Nous avons soumis nos recommandations aux autorités. Dans la vie, il faut être patient.

 

Après Lettres de mes Casernes, vous venez de lancer un nouveau livre intitulé Fenêtres sur les prisons mauriciennes. De quoi parle-t-il ?

 

Cet ouvrage se veut être un partage du monde mystérieux prévalant à l’intérieur des prisons. Un monde qui a toujours fasciné ceux qui sont en dehors. Il évoque les temps forts de 300 ans d’histoire depuis l’ère française. Il raconte les grands événements qui ont secoué nos pénitenciers tels les mutineries, les évasions. Il décrit le cheminement en milieu carcéral des politiciens, il parle de Roger de Boucherville, de Dr Miko, d’Eshan, de Jerry et d’Aurore. Je m’arrête ici et vous laisse poursuivre votre lecture. Je précise cependant qu’une partie des recettes est destinée aux ONG qui se dévouent à la cause de la réhabilitation. 

 

L’écriture, est-ce une passion ?

 

Oui. Quand vous y avez pris goût, vous ne pouvez plus vous en passer.

 

Peut-être une nouvelle voie une fois à la retraite ?

 

Si les lecteurs en redemandent. Pourquoi pas ? Never start something you can’t stop,dit l’adage.  

 


 

Bio express

 

Jean Bruneau est âgé de 66 ans. Il est né en 1949 à la rue Raoul Rivet dans le quartier résidentiel appelé Ward IV. Il a été étudiant au collège John Kennedy. Marié à Yolande, il est le père de quatre fils et le grand-père de sept petits-enfants. Après une longue carrière dans la force policière durant laquelle il a eu la possibilité de suivre plusieurs formations ici et à l’étranger, cet habitant de Pointe-aux-Sables a pris sa retraite en 2010 comme adjoint au commissaire de police. Alors qu’il s’apprête à passer une retraite paisible, Navin Ramgoolam lui propose de diriger les prisons. Au début, il hésite, mais finit par accepter de relever le défi.

 


 

Ma semaine d’actu

 

Quelle actualité locale a retenu votre attention ?

 

Sans conteste Jane Constance. J’ai suivi son parcours. Elle impressionne par la maîtrise de sa voix, son courage et son optimiste. En remportant The Voice Kids, elle nous a donné une belle leçon de vie. 

 

Et sur le plan international ?

 

Je pense que nous avons tous les yeux rivés sur la montée de l’extrémisme partout dans le monde. Les attentats de Paris ont retenu notre souffle. Je pense que le seul moyen d’arriver à éradiquer ce fléau se trouve dans le dialogue. Il ne faut pas exacerber les tensions. Bien au contraire. 

 

Que lisez-vous en ce moment ?

 

Avec la sortie de mon livre et tout le reste, je n’ai pas vraiment le temps de lire. Par contre, j’ai plusieurs livres qui attendent d’être lus. J’ai notamment récemment reçu celui de Dev Virahsawmy que j’ai hâte de lire. Je vais les dévorer pendant les vacances de Noël.

Publicité