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Jewish Detainees Memorial Centre : Le devoir de mémoire

10 novembre 2014

Ida Jacobson et Isaac Borochwitz ont des membres de leur famille qui sont enterrés à Maurice.

Les larmes ne coulent pas toujours. La peine est silencieuse. Ou trop longtemps en soi. Alors, elle devient une vieille amie. Ida Jacobson et Isaac Borochwitz connaissent ce sentiment. Leur douleur, ils l’ont apprivoisée. Pour cela, il a fallu des années et des pèlerinages à Maurice. Là où sont enterrés les membres de leur famille. Si ce frère et cette sœur vivent en Afrique du Sud, leurs proches ont fait un long et douloureux périple depuis la Pologne. Le détour par notre île est une triste page de leur histoire familiale. Leurs grands-parents, leur mère et leur oncle ont été détenus à la prison de Beau-Bassin, pendant cinq ans.

 


Pourquoi ? En 1940, 1 600 juifs ont été déportés à Maurice. Avec la montée du nazisme en Europe, ils avaient fui leurs pays respectifs – Allemagne, Autriche, Pologne, entre autres – pour trouver refuge en Palestine. Là, ils avaient été arrêtés par les autorités anglaises car ils étaient des clandestins. Comme Maurice était une colonie britannique, ils avaient été envoyés chez nous. Ils ont été emprisonnés pendant cinq ans. 126 d’entre eux sont décédés et ont été enterrés au cimetière de Saint-Martin.

 


C’est là que le South African Jewish Board of Deputies et l’African Jewish Congress ont mis en place le Beau-Bassin Jewish Detainees Memorial & Information Centre, lancé le mardi 4 novembre. Là aussi qu’Ida et Isaac viennent se recueillir sur la tombe de leur grand-mère et de leur oncle, décédé à l’âge de 5 ans à Maurice : «Il est mort en premier. Malheureusement, il est enterré dans le mauvais sens. Ses pieds ne font pas face à l’entrée du cimetière. Puis, notre grand-mère est décédée. Notre grand-père est devenu aveugle», confie Ida.

 


Sans rancune

 


Hella Rypinski, la mère de ces deux Sud-Africains, n’avait que 17 ans quand elle a été libérée et a rejoint le continent africain. Là, elle s’est mariée et a, petit à petit, construit une famille loin de la guerre et de la peur. Son père, lui, s’est rendu en Israël. C’est la troisième fois qu’Ida et Isaac viennent à Maurice. Sans aucune rancune. «C’est le gouvernement britannique qui a pris cette décision. Pas le peuple mauricien. D’ailleurs, les Mauriciens ont beaucoup fait pour nos parents.» Ida et Isaac sont même allés à la prison de Beau-Bassin pour marcher dans les pas des membres de leur famille.

 


Naphtali Regev y est allé également. Un moment rempli d’émotions pour lui. Il est né à la prison de Beau-Bassin, le 5 juillet 1944. Là où ses parents, Regina et Aaron Zwergbaum, étaient détenus. Ils s’étaient connus sur le bateau Helios qui les menait à Bratislava juste avant leur déportation. Ils se sont mariés à la prison en 1942. Une réalité possible car, après avoir instauré la séparation des hommes et des femmes, les autorités locales ont construit des petites cases pour les couples et les familles. En tout, une soixantaine d’enfants juifs sont nés entre les murs de la Prison centrale.

 


Néanmoins, aucune de ces familles ne s’est installée à Maurice. Au moment de leur libération, elles ont été conduites en Palestine ou en Afrique du Sud : «Mes parents et moi-même sommes restés très attachés à l’île et avons maintenu des liens avec les Mauriciens même après notre retour en Terre promise», écrit Naphtali Regev dans la préface du livre de Geneviève Pitot, Le Shekel Mauricien, racontant l’histoire des détenus juifs à l’île Maurice, lancé également mardi. L’homme est Consul honoraire de la République de Maurice en Israël. Il n’a jamais oublié la petite île où il est né. D’ailleurs, il a toujours été, avec ses parents, un membre actif de l’Amicale Israël-Maurice.

 


Nombreuses anecdoctes

 


C’est donc avec joie qu’il est venu à Maurice pour cette inauguration. Il n’était pas le seul. Des représentants de l’African Jewish Board of Deputies et de l’African Jewish Congress étaient aussi présents. En maître de cérémonie, Owen Griffiths, juif établi à Maurice depuis plus de 30 ans, a chapeauté cette cérémonie du souvenir.

 


Il a rencontré de nombreux enfants de prisonniers juifs à Maurice et a de nombreuses anecdotes en tête. La plus triste, c’est celle qu’il nous raconte, debout devant le cimetière des juifs de Saint-Martin, là où est enterré le protagoniste de son histoire : «Une femme est prise de nausées. Elle est en prison et est ausculté par le médecin. Elle est enceinte ! Le docteur lui propose d’annoncer la nouvelle à son époux. Elle refuse : ils vont se voir vendredi, elle lui fera la surprise. Le jeudi, son mari se suicide. Leur fils me racontait que sa maman s’en est toujours voulue. D’ailleurs, elle ne s’est jamais remariée et elle s’est toujours demandée si son époux serait encore en vie si elle avait accepté que le médecin lui annonce la nouvelle.»

 


Une vie brisée. Et de nombreuses vies le seront aussi de 1940 à 1945. À Maurice, mais aussi en Europe. Alors pour survivre avec ce chagrin, il faut apprendre, parfois, à l’apprivoiser.  

 



Extraits de… «Le Shekel Mauricien»

 


Geneviève Pitot s’est solidement documenté pour ce livre-hommage. Des cartes, des photos, des dessins des réfugiés, entre autres, émaillent d’ailleurs Le Shekel Mauricien, paru aux Éditions VIZAVI. Il sera disponible au Musée juif de Saint-Martin, à La Vanille Crocodile Park, et dans les librairies et supermarchés.

 


● «À l’île Maurice, à 10 000 kilomètres d’une Europe déjà en grande partie occupée par les hordes nazies, ce ne fut d’abord qu’une rumeur. Au moment où commence cette histoire, les on-dit étaient plus courants que les faits avérés, parce qu’il était difficile et dangereux de rechercher l’information. L’ennemi pouvait toujours être à l’écoute.»

 


● «Lever vers 7 heures du matin. Avec le thé du petit-déjeuner, les réfugiés recevaient leur ration de pain, de margarine et de sucre pour la journée. Puis commençaient les diverses activités. De 12h30 à 13 heures, déjeuner ; à 19 heures repas du soir qui ne comportait en fait qu’une soupe et de la confiture.»

 


● «Les rencontres devenues possibles entre jeunes gens et jeunes filles, la conséquence en fut tout naturellement, rien que dans la deuxième moitié de 1942, une trentaine de mariages. Ils furent célébrés devant le rabbin, selon les rites israélites. Bien qu’ils fussent reconnus comme valides aux yeux des autorités pour ce qui est de la “vie de famille”, au camp, ils n’avaient aucune valeur légale.»

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