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Par Yvonne Stephen
24 octobre 2016 23:27
Enn ti bout so leker. Enn ti morso so nam.Eh oui ! Il y a un peu – et même beaucoup – de Tenusha Jundoosing dans son recueil de poèmes Rekonfor dan letan dir.Ouvrage primé lors de la première édition de la compétitionlittéraire de la Creole Speaking Union (CSU). «C’est une invitation à prendre le temps de regarder autour de soi et d’apprécier les choses que l’on vit et que l’on voit. Aujourd’hui, ce n’est pas facile de le faire, les choses vont souvent beaucoup trop vite», confie la jeune femme de 26 ans. Demain, elle aura le bonheur de dédicacer sa compilation de mots et d’émotions lors des activités dans le cadre de la Journée internationale de la langue et de la culture créoles (observée le 28 octobre à travers le monde).
Tenusha participe à la Zourne Internasional Kreol qui aura lieu à l’Université de Maurice (un événement qui requiert une invitation en attendant un autre qui sera ouvert à tous dans le cadre du Festival Internasional Kreol). Cette journée, dédiée à cette belle langue, est organisée par la CSU, sous l’égide du ministère des Arts, l’Université de Maurice, le Mauritius Institute of Education (MIE), en collaboration avec le ministère de l’Éducation (voir hors-texte).
La jeune femme a hâte de faire cette rencontre avec son premier public, hors de la sphère virtuelle de son Facebook. Amoureusede poésie, son cœur l’a portée, tout naturellement, à participer à ce concours. «J’écrivais en français et en anglais. Et puis un jour, je me suis dit, pourquoi pas. Lekreol, c’est notre langue maternelle, notre premier moyen d’expression avant de transmettre nos pensées et cette aptitude dans une autre langue…»
Surtout qu’en plus d’être sa langue première de socialisation – ou maternelle –,le kreol,c’est la langue de son métier. En effet, elle est enseignante de kreol morisien au primaire. Une voie qu’elle n’a pas prise par hasard. «Depuis toujours, je me disais que l’abnégation du kreoldans notre système éducatif était un vrai manque. Je trouvais dommage qu’on n’exploite pas son côté littéraire. Alors, quand cette langue est devenue un sujet, je n’ai pas hésité», confie-t-elle.
Depuis 2012, le morisienest une matière optionnelle enseignée dans les écoles primaires (le gouvernement mauricien a agi, d’abord, sur la matérialité de la langue en l’équipant d’une graphie standard et d’une grammaire afin d’agir sur les fonctions du kreol morisien grâce à son introduction à l’école). Le kreolfait également l’objet d’études et de recherches par le MIE et l’Université de Maurice.
Tenusha confie qu’encore aujourd’hui, elle voit que cette langue n’est pas acceptée comme telle par tous (une langue qui connaît une naissance et une construction en contexte servile est souvent péjorée). Certains considèrent le kreolcomme un patois ou un dialecte ou, comme la plupart des créoles à base lexicale française, une forme pauvre du français (alors que de nombreux linguistes affirment, depuis des années, que les créoles sont des langues à part entière et ont une autonomie linguistique).
Néanmoins, cette enseignante voit au quotidien le bonheur des petits de pouvoir s’exprimer dans une langue qu’ils maîtrisent. «Les premiers mots pour un enfant sont souvent en kreol.C’est la langue qu’il utilise chez lui, pour décrire ses vacances ou sa chambre à un ami. Et quand il réalise qu’il peut écrire dans la langue dans laquelle il se sent le plus à l’aise, c’est quelque chose de merveilleux», souligne-t-elle.
Son souhait pour cette Journée internationale : que le kreol continue d’évoluer sur le chemin de la reconnaissance et qu’il sème de plus en plus d’œuvres littéraires. Que d’autres, comme elle, écrivent pour offrir enn ti bout zot leker.
Ki manier kreol ? Cette journée d’activités, qui a lieu aujourd’hui lundi 24 octobre, est l’occasion de prendre des nouvelles de cette langue qui a été au cœur de nombreux changements ces dernières années.
Désormais, le kreoldétient une graphie et une grammaire standardisées, une littérature riche, un dictionnaire dont l’orthographe est validée par l’Académie du kreol mauricien, instituée par le gouvernement. Cette langue a déjà beaucoup avancé dans le processus de la normalisation (revalorisation d’une langue longtemps considérée inférieure à une ou plusieurs langues). Elle est aujourd’hui institutionnalisée.
Alors, la question qui s’impose est : what next ? Il sera question d’offrir une updatesur le projet en ligne du spellcheckerpour le kreol morisien, des travaux sur l’orthographe venant de Maurice et de Rodrigues, mais aussi le travail lexicographique et sur la troisième édition du dictionnaire.
Menwar, Sébastien Margéot, Richard Beaugendre, Mélanie Pérès et Emmelyne Marimootoo discuteront de la démarche des artistes d’écrire des textes en kreol morisien. Une journée riche en partage est donc au programme !
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