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1 juillet 2014 00:52
Ces maisonnettes en tôle, situées non loin de la passerelle de Roche-Bois, ne passent pas inaperçues lorsqu’on emprunte l’autoroute du Nord. Souvent, on y voit même des enfants en bas âge, vêtus du strict minimum, jouant pieds nus sur un terrain poussiéreux où traînent des ordures. En marge de la Journée mondiale du bandeau blanc contre la pauvreté, qui sera observée le mardi 1er juillet, nous avons rencontré les locataires de ces maisons sur lesquelles plane le spectre de la pauvreté. Mais avant, il nous a fallu emprunter un petit sentier longeant l’autoroute et traverser un canal rempli de détritus.
Lorsque nous arrivons sur place en ce samedi 28 juillet 2014, nous ne pouvons rester insensibles devant ce petit groupe d’enfants, tous mal vêtus, les pieds très sales. Deux d’entre eux dégustent un morceau de fruit de la passion avec appétit alors qu’une autre tient entre ses mains un gobelet en plastique. «Je bois du thé sans lait», nous confie la petite fille, d’une voix douce. Un peu plus loin, nous croisons quelques femmes, assises à l’ombre d’un grand arbre. Après leur avoir expliqué le but de notre visite, nous entamons avec elles une conversation où l’aisance se mêle à la révolte. Fanny Armand, 36 ans, n’hésite pas à parler de son quotidien. Si elle ne paie pas de loyer, sa vie, dit-elle, n’est pas pour autant un fleuve tranquille. Depuis six ans, elle n’a ni eau ni électricité.
«Je suis maman de cinq enfants, dont quatre sont mineurs et scolarisés. Après la mort de mes parents, ma vie est devenue un enfer. Mon mari m’a quittée sans la moindre raison et a refait sa vie avec une Réunionnaise et vit désormais à La Réunion. Je reçois une aide financière de Rs 3 400 de l’État. Cet argent me permet à peine de vivre. Depuis six ans, je n’arrive plus à payer mon électricité, encore moins mes factures d’eau. Chaque jour, je vais chercher de l’eau chez une personne qui me vient en aide. Cela dure depuis six ans et maintenant, je suis à bout. Mes bras sont constamment enflés», raconte Fanny Armand.
Pour se faire un peu d’argent en plus, elle se rend presque quotidiennement au dépotoir de Roche-Bois où elle fouille les ordures en vue de trouver quelques bouteilles pour récupérer les consignes. «À la fin de la journée, je peux toucher entre Rs 100 et Rs 150. Cet argent sert à faire bouillir la marmite. On ne prend qu’un repas par jour, le dîner uniquement. Les enfants ne prennent pas de petit déjeuner le matin avant d’aller à l’école car je n’ai pas les moyens. Par chance, ils ont de quoi manger à l’école», dit-elle. Chez Fanny, il n’y a pas de toilettes, encore moins de salle de bains. «On se douche chez des voisins, on va aux toilettes chez des voisins. Heureusement que le Trust Fund nous a offert des tôles neuves il n’y a pas longtemps. J’ai pu reconstruire ma maison.»
Sa voisine Marie-Mée Bégué, 44 ans, ne mène pas non plus une vie de tout repos. Les deux pièces qui la protègent des caprices de Dame Nature menacent de céder à tout moment. Le toit et le sol sont craquelés de partout. Pourtant, elle doit payer un loyer de Rs 1 000 par mois. «J’ai trois enfants. L’aîné est en prison et les deux derniers, âgés de 9 et 14 ans, vont à l’école. Je touche une pension de Rs 3 025 et je dois me débrouiller avec. La mizer la pa fasil», lance-t-elle découragée. Elle s’estime toutefois chanceuse. «Je n’ai pas d’électricité chez moi. Par contre, j’ai de l’eau, ce qui est plus important pour moi», précise Marie-Mée Bégué qui, comme Fanny Armand, se rend au dépotoir de Roche-Bois trois fois par semaine pour «tras enn ti lavi dan vann boutey».
Le quotidien des habitants de la localité n’est pas seulement fait de maisons en mauvais état et de tas d’ordures entassés un peu partout. Il y a aussi les problèmes de santé. Et pas des moindres. Antoinette Colfire ne dira pas le contraire. Âgée de 39 ans, elle ne jouit plus d’une bonne santé depuis quelque temps. «Je suis diabétique. Récemment, j’ai eu des problèmes respiratoires et j’ai dû être admise à l’hôpital de Poudre-d’Or», soutient-elle. Est-ce l’environnement où elle vit qui en est la cause ? «Peut-être », avance Antoinette Colfire qui croule également sous les dettes.
«J’ai une facture d’électricité de Rs 30 000. Je ne suis plus branchée au réseau électrique depuis un bon moment. Ce sont mes fils de 18 et 24 ans, aides camionneurs, qui font bouillir la marmite. Contrairement à mes amis, je ne perçois aucune aide de l’État. Ma pension a été coupée. Je ne sais pas pourquoi.» Et Florinnette Rama, 26 ans, a déjà quatre enfants à sa charge. Son dernier-né n’a que 26 jours. Elle rit pour un oui pour un non, au point d’énerver ses amies qui ne comprennent pas vraiment son attitude. «On parle d’un sujet sérieux : la pauvreté. Tu es aussi concernée», lui lance Marie-Mée Begué qui l’encourage à raconter son calvaire. Très timide, elle se dévoile petit à petit et nous emmène dans sa bicoque en tôle où elle vit avec son compagnon et ses quatre enfants.
«Il n’y a qu’une seule pièce. Les enfants dorment sur un matelas à même le sol. La maison est complètement trouée. Quand il pleut, on ne sait plus quoi faire. D’ailleurs, cette région est inondée à chaque grosse averse et on doit se rendre dans un centre situé dans la localité. Je loue cette bicoque à Rs 800 par mois. Mon mari travaille également au dépotoir de Roche-Bois comme la plupart des gens d’ici», relate-t-elle. Ecrasés sous le poids de la misère, ces habitants de l’autoroute de Roche-Bois essaient tant bien que mal de rester dignes et luttent pour leur survie. Un peu grâce au dépotoir de Roche-Bois qui leur permet d’avoir de quoi manger chaque soir… ou presque.
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