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Par Yvonne Stephen
14 octobre 2015 16:46
Soyez des patriotes. Des héros de vos nuits de folie… et du pays, bien sûr ! Rois et reines des couches, des nuits interminables et des frais à vie (ou pour les 20 prochaines années, dans le meilleur des cas). La situation est grave selon la dernière projection de Statistics Mauritius, le Digest of Demographic Statistics. Pour faire simple, les Mauriciens ne font pas assez d’enfants (1,4 par famille au lieu de 2,1 au minimum), du coup, dans quelques années, Maurice sera comme Grand-Baie en pleine journée. Trop de personnes âgées et pas assez de jeunes actifs nécessaires, essentiels même, pour faire rouler l’économie et permettre les dépenses telles que les pensions de vieillesse, par exemple. Alors, pour cette bonne et vieille éco (son petit nom gâté, car il est question de gro gate, ici), les couples Mauriciens doivent faire des enfants. C’est une question d’État !
Alors le gouvernement encourage à la procréation, sans mots doux ni bouquets de fleurs, néanmoins. En clair : pas d’allocation quand on a plusieurs enfants, pas d’aide pour l’école et les études, pas d’avantages fiscaux plus intéressants, pas de crèche ni de garderie sur les lieux de travail, entre autres choses qui pourraient booster l’envie d’être parents (une sorte de Viagra du «Je veux être maman/papa»). Les Mauriciens, eux, ne comptent pas se laisser séduire au nom de la famille nombreuse. Et ils ont leurs raisons ! D’ailleurs, l’appel du pied du gouvernement a fait marrer et, parfois, s’énerver plusieurs d’entre eux. Pour booster la reproduction, il faudrait que le gouvernement donne un coup de pouce. Mais pour l’instant, ce n’est pas d’actualité.
Depuis quelques semaines, Carenne Mikale a des nuits un peu agitées. Depuis que sa petite dernière a vu le jour, sa troisième fille, son troisième rayon de soleil. Une princesse qui est arrivée un peu par hasard, mais qui la comble de joie : «Je n’avais pas prévu d’avoir un autre bébé. C’est arrivé ! Sinon, je ne l’aurais pas cherché.» Elle dépasse les 2,1 enfants que devraient avoir un couple mauricien, selon les statistiques. Néanmoins, elle se rend bien compte qu’aujourd’hui, il est difficile d’élever plusieurs enfants. Le coût de la vie serait le grand responsable : «Lait, couches, vêtements, pédiatre… Il faut prévoir. Et l’assurance pour pouvoir aller en clinique. Et quand on pense au long terme, c’est l’éducation qui entre en jeu.»
Avoir et élever un enfant, c’est, bien sûr, une question d’amour et d’attachement. D’un lien fort et magique. Mais aussi – et il ne faut pas l’oublier – de sous : «Quand on dit qu’un bébé vient avec de bwat dile, c’est un super mensonge.» Yannick Gobin, papa de deux enfants, en est bien conscient : «Avec le lait, les couches, les vêtements, c’est très compliqué. Alors, on s’est arrêtés à deux, ma femme et moi.» Les dépenses sont importantes, parfois prévisibles, mais pas toujours, ce qui rend encore plus compliqué la gestion d’un budget : «Quand ils tombent malade, le stress, le prix des soins… Ce n’est pas évident pour un parent.»
De plus, estime ce père de famille, c’est bien beau d’avoir beaucoup d’enfants, mais comment trouver le temps… de leur consacrer du temps ? Sudha Bagoo, maman d’une petite Shristi, le sait aussi : «Nous sommes tous préoccupés par notre carrière professionnelle. Il est très difficile de trouver du temps pour nos familles.» Une mission impossible avec la vie qui prend de la vitesse et qui s’est réinventée depuis quelque temps déjà, les heures au boulot pour se construire une carrière et pouvoir s’en sortir (avec le pouvoir d’achat qui dégringole), les couples qui ne font que se croiser (à cause des rythmes de travail différents), les femmes qui travaillent et qui ne veulent plus s’épanouir au sein de leur foyer et, uniquement, dans le rôle de maman et d’épouse.
La conception a changé. Aujourd’hui, on ne fait pas naître un enfant et on le confie au destin. On fait de son mieux pour l’élever, pour construire son futur et accompagner ses pas. On s’inquiète de son avenir, de savoir s’il va trouver un emploi, s’il va aller à l’université. La perception du rôle même de l’enfant a changé. La société imagine que c’est autour de lui que doit se construire la vie d’un parent. Quand il y en a un, cette exigence est gérable. Mais quand il y en a plusieurs ? Comment faire ? Carenne Mikale a mis sa vie entre parenthèses pour la venue de sa petite dernière : «J’ai tout arrêté pour mon bébé. Je suis heureuse d’être maman. Mais des fois, mes amies, la gym, ma liberté, tout ça me manque.»
Avec le changement de rythme, l’évolution du rôle et de l’image de la femme, Carenne Mikale estime que les plus jeunes ne souhaitent pas se contenter de faire des enfants : «Les femmes privilégient plus leur indépendance et leur carrière aujourd’hui.» Stéphanie Philippe est bien d’accord. Elle n’a pas encore d’enfant, mais quand le moment viendra, elle ne souhaite en avoir qu’un seul. Pourquoi ? Parce qu’on vit dans une ère «d’esclavage moderne», estime-t-elle. En plus des dépenses habituelles, parce que maintenant «tout se paye», il faut réfléchir en termes de nouveaux besoins : «Avec plusieurs enfants, ce sera difficile de tous leur faire plaisir. Acheter une tablette pour l’un et pas pour l’autre ? Ne pas en acheter du tout alors que ses camarades en ont une ?»
L’envie d’offrir le meilleur à son enfant. Trouver difficile de le faire dès qu’on parle de «ses enfants» : «La vie est trop chère.» Il est impossible de reproduire le modèle des grandes familles de l’époque, celles qui mangeaient du poulet que pour les grandes occasions et avaient des besoins et des envies différents. Luxmi Narayadu Danharry en est bien consciente. Elle a 12 ans de mariage au compteur mais n’a pas d’enfant : «On oublie souvent que les problèmes médicaux sont aussi plus récurrents. Je souffre d’infertilité. Je ne peux pas avoir d’enfants.» Mais si elle avait la chance d’en avoir, elle n’en aurait pas plus que deux : «On pense d’abord à notre carrière. Nous avons envie de profiter de la vie.»
Avant d’être patriote et de faire des enfants. Beaucoup d’enfants !
Il y aura moins de gens à Maurice à partir de 2030. Le nombre de décès dépassera le nombre de naissance.
Les personnes de plus de 60 ans représenteront 34 % de la population en 2050 (en 2015, elles représentent 14 %). En 2015, il existe huit actifs pour un retraité. Dans deux générations, il y en aura deux pour chaque retraité.
D’ici 2050, il y aura moins d’un million d’habitants à Maurice.
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