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La pub et les jeux de hasard en question

23 juin 2014

Kevin Boodhoo et Jean Maurice Labour

D’un côté, la baisse du pouvoir d’achat est décriée, et de l’autre, on parle des jeux de hasard qui gagnent du terrain à Maurice. Quelle analyse faites-vous de cela ?

Jean-Maurice Labour : Malheureusement, les statistiques le démontrent : ceux qui ont le moins de pouvoir d’achat sont ceux qui jouent le plus, en espérant améliorer leurs conditions de vie. Depuis que le loto existe ici, les Mauriciens ont joué Rs 11,52 milliards au jeu et aux cartes à gratter dans les 217 semaines, au 31 décembre 2013, – ce qui fait une moyenne de Rs 53 millions par semaine. Les chiffres montrent clairement le lien entre la baisse du pouvoir d’achat et la séduction des jeux de hasard. Les jeux d’argent et de hasard ne peuvent être envisagés par les joueurs comme une solution économique, car le nombre de gagnants et les gains obtenus sont marginaux alors que les mises sont conséquentes, perpétuant ainsi le clivage entre riches et pauvres.

Kevin Boodhoo : La baisse du pouvoir d’achat fait que de plus en plus de gens se tournent vers les jeux de hasard pour faire fortune ou encore pour colmater les fins de mois.

Croyez-vous que la publicité autour des jeux de hasard influence les Mauriciens ?

Jean-Maurice Labour : La population, y compris les mineurs et les non joueurs, est exposée à une diversité de publicités qui influence, consciemment et inconsciemment, les attitudes et les comportements. Diverses études entreprises à l’étranger soulignent que «la publicité massive concernant les jeux de hasard constitue, à l’évidence, un facteur incitatif à la consommation des jeux.  Et que désormais, toutes les catégories sociales sont concernées». À Maurice, nous constatons chaque jour une disproportion énorme entre le matraquage publicitaire, qui invite à jouer, et le petit alinéa à la fin de chaque publicité qui interdit le jeu aux mineurs.

Kevin Boodhoo : La pub sur les jeux de hasard fait rêver les Mauriciens. Les panneaux d’affichage et autres moyens de communication mettent en exergue des jackpots qui font office de fascination psychologique chez les joueurs invétérés, mais aussi chez les non joueurs. Et ceux-là se laissent séduire par les sommes en jeu. C’est la raison pour laquelle un contrôle rigoureux doit être mis en place pour que l’addiction aux jeux ne soit pas prônée. Toutefois, je ne pense pas qu’interdire les jeux de hasard empêchera les gens de jouer.

C’est un débat qui divise. Comment arriver à un consensus sur le sujet ?

Jean-Maurice Labour : Est-il moralement acceptable de faire des profits en manipulant l’opinion publique, notamment les mineurs et les personnes vulnérables, par un matraquage publicitaire qui vend de l’illusion ? La réalité brutale est que 96,3 % des tickets joués sont perdants. Les études ont amplement démontré que les plus pauvres sont les plus vulnérables. C’est le fond du problème qu’a voulu soulever la Commission justice et paix. C’est pourquoi elle réitère la suggestion faite au Premier ministre le 30 mai 2011 d’instituer une étude sur le phénomène du jeu à Maurice, en vue d’interdire ou d’encadrer, au moyen d’une législation très sévère, la publicité sur les jeux de hasard, comme cela a été le cas pour d’autres formes de paris.

Kevin Boodhoo : Le gouvernement et les prestataires des jeux de hasard doivent prôner le «responsible gambling» et mettre en place un service d’écoute et d’accompagnement pour les joueurs qui sont «addicted» aux jeux.

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