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21 décembre 2020 11:44
C’est déjà une victoire pour l’entourage de Soopramanien Kistnen et ses avocats. Même si l’affaire n’est pas encore résolue complètement, ils se disent qu’ils ont eu raison depuis le début de se battre pour que la vérité éclate dans ce cas que la police traitait comme un suicide par immolation mais qui se révèle être vraisemblablement un meurtre, comme les proches de la victime n’ont cessé de le clamer. «I confirm that foul play cannot be excluded.» Cette phrase prononcée par le Police Medical Officer Dr Sunassee au tribunal de Moka le vendredi 18 décembre, dans le cadre de la dernière séance de l’enquête judiciaire instituée pour faire la lumière sur les circonstances troublantes entourant le décès de Soopramanien Kistnen, a définitivement donné une nouvelle tournure à l’affaire. Confirmant les soupçons de la famille qui parle de meurtre depuis le début et donnant de la substances aux doutes et questions qui n’ont cessé de surgir au fil des différents témoignages et interrogatoires depuis le début de l’enquête judiciaire.
La veille, le médecin légiste de la police avait déclaré que l’homme était mort d’une overdose provoquée par une importante quantité de péthidine et qu’il n’aurait pu s’administrer lui-même ce puissant tranquillisant disponible uniquement dans les hôpitaux publics et cliniques privées. Les éclaircissements donnés par le Dr Sunassee en cour ces derniers jours surviennent deux mois après la découverte macabre du corps calciné de cet agent du MSM, âgé de 52 ans, dans un champ de cannes, à Cité Telfair, Moka. Sa famille a toujours cru à un acte malveillant et n’a eu de cesse de se battre pour faire éclater la vérité avec l’aide de ses avocats. Ce qui a finalement amené à l’institution d’une enquête judiciaire où les témoignages parfois bien troubles ne font que confirmer la thèse avancée dès le départ par les proches de Kistnen.
«Le temps révèle toute chose», avait dit Quintus Septimius Florens Tertullianus, plus connu comme Tertullien, un célèbre écrivain. Ce n’est pas Simla, l’épouse de Soopramanien Kistnen, qui dira le contraire. «Mon époux ne s’est pas suicidé. Je n’arrête pas de le dire depuis le début et j’avais raison. Quelqu’un a dû l’assassiner. Nous sommes tous confiants que la vérité finira par éclater», nous confie cette habitante de Montagne-Ory, qui dit n’être aucunement surprise de la révélation du Dr Sunassee. Parsuramen Arian, le meilleur ami de son époux, avance lui aussi que ce dernier «pa ti ena okenn rezon pou swiside». Selon lui, Soopramanien Kistnen était «enn bon traser kinn pas par boukou moman difisil» mais qui a toujours su s’en sortir parce qu’il était «enn vinker terib».
Cet homme de 56 ans a lui aussi fait une troublante révélation en cour le vendredi 18 décembre, juste avant l’ajournement des travaux de l’enquête judiciaire pour cette année ; elle reprendra le 15 janvier 2021. Parsuramen Arian a déclaré que des officiers de la Major Crime Investigation Team (MCIT) sont venus le chercher chez lui le lundi 14 décembre pour l’emmener aux Casernes centrales où il a subi un interrogatoire assez musclé. Il a raconté que des limiers de cette unité ont lu la déposition qu’il avait donnée à la CID de Moka dans le cadre de l’affaire Kistnen. Ces derniers auraient ensuite essayé de le forcer à faire des aveux. «Zot dir mwa ena boukou manti dan mo version. Zot dir mwa dir ki Kistnen inn mor kot mwa ek ki mo frer ek mwa inn al depoz so lekor dan karo kann apre.» Parsuramen Arian dit avoir refusé de faire une telle déclaration.
Il allègue aussi que les policiers l’ont, par la suite, forcé à apposer sa signature sur trois documents dont il ignore le contenu, ne sachant pas lire. Il avance que la MCIT a également effectué une descente à son domicile mais n’a rien trouvé de compromettant. Son frère Sachunanda Narainsamy a également été interrogé, dit-il, par les hommes de la MCIT. «Li osi li per aster. Zot inn dir li “to frer ek twa pou tase dan sa zafer la”», confie Parsuramen Arian. Après cette déclaration fracassante en cour, la magistrate Vidya Mungroo-Jagurnath, qui préside les travaux de l’enquête judiciaire, a ordonné à l’Independent Police Complaints Commission d’initier une enquête sur la MCIT, même si l’enquête policière suit toujours son cours.
Il n’est un secret pour personne que Parsuramen et Soopramanien sont des amis très proches depuis plusieurs années. Les deux anciens activistes du MMM se connaissent depuis plus de 25 ans. Parsuramen explique que leur relation a pris une autre tournure après les élections partielles au no 8 où ils se sont davantage liés d’amitié par leur passion pour la politique après avoir changé de camp et travaillé pour le MSM. «Nou ti kouma de frer. Nou ti pas boukou letan ansam. Mo konn li bien. Pena lide swisid dan li», nous déclare Parsuramen Arian. Il est d’ailleurs l’une des dernières personnes à avoir vu vivant Soopramanien le jour de sa disparition.
«Nou ti zwenn midi parla. Nou ti sipoze zwenn so tanto pou al manze ansam. Monn sonn li me mo pann gagn li. So madam ti telefonn mwa so landemin gramatin pou dir mwa ki li pann rant lakaz. Mo pa ti al gete kan ti gagn nouvel kinn gagn enn kadav dan kann, ki li paret enn swisid, parski zame mo pann panse kapav kadav Kistnen sa, li pa ti ena okenn lide swisid dan li. Apre sa, so madam ti vinn get mwa lakaz ek dimann mwa si ti ena bag dan so ledwa. Monn dir li wi. Ti osi ena bandaz lor so vant. Li ti fek oper pier», nous raconte Parsuramen Arian d’une voix cassée. Il nous avoue aussi vivre dans la frayeur depuis sa mésaventure avec la MCIT.
Et s’il dit être convaincu que son ami a été victime d’un acte criminel, il concède toutefois qu’il en ignore, pour le moment, les raisons. L’épouse de la victime, Simla, dit ne pas savoir non plus pourquoi quelqu’un aurait voulu tuer son mari et à ce stade, elle ne veut lancer des accusations contre personne, y compris les frères Sawmynaden – le ministre Yogida et son frère Koomadha – qui ont, à plusieurs reprises, été montrés du doigt dans le cadre de cette affaire à cause de leur proximité avec son époux. Le fait que Koomadha Sawmynaden a fait plusieurs révélations en cour l’amène à penser que ce dernier n’est pas impliqué dans cette affaire. Elle n’accuse pas non plus le ministre qui n’a pas encore été appelé à la barre pour donner sa version. En revanche, elle n’écarte pas la possibilité qu’un ancien collaborateur de son époux puisse avoir un lien avec sa mort.
Simla explique que ce dernier est souvent venu lui réclamer de l’argent après le confinement. La veuve de Soopramanien Kistnen avance aussi que cet ancien partenaire en affaire a toujours été menaçant et agressif. «Mon époux était très personnel en ce qu’il s’agit de la gestion de ses affaires. Il ne me disait rien. Il n’arrêtait pas de me dire de ne jamais me soucier car il allait résoudre ses problèmes lui-même. Il répétait à chaque fois que je devais uniquement m’occuper de la maison et de notre fils», nous explique Simla. Selon ses dires toujours, son époux a toujours été «enn fighter» et «enn bon vivan» qui a tout le temps su s’en sortir lorsqu’il avait des ennuis. Le seul truc qui lui faisait peur, c’était «fer pikir», dit-elle : «Pa ti fasil pou fer li fer test diabet. Akoz sa mem mo dir ki se inposib linn inzekte péthidine ar li mem. Kikenn inn bizin fer sa ek li. Dokter la polis inn dir ki li imposib linn marse ek sa kantite péthidine ti ena dan li la. Toulezour pe tann kitsoz. Nou pou bizin trouv la verite. Mo misie pa merit sa lamor-la. Nou ena enn garson 16 an. Mo mari ti ena enn rev pou li. Akoz sa mo pe dir depi premie zour ki imposib linn swisid li.»
La veuve de Soopramanien Kistnen ne peut pas encore faire son deuil car les circonstances de la mort de son mari demeurent troubles. Mais elle est convaincue que la vérité est proche avec les nouveaux éléments accablants qui ont surgi et qui tendent à confirmer un acte criminel, notamment avec la disparition de certaines images des caméras de Safe City du jour de la disparition de Soopramanien Kistnen. Ses relevés téléphoniques ont aussi démontré qu’il a échangé plusieurs appels importants, dont certains avec des proches du pouvoir. Alors que le neveu de l’activiste politique, Nishay Boodooam, a lui témoigné en cour que ce dernier lui avait confié qu’il attendait de recevoir la somme de Rs 14 millions qui lui aurait été remise en trois tranches. Il a toutefois admis ne pas connaître la source de cet argent. Nishay Boodooam a aussi expliqué que son oncle participait souvent à des appels d’offres du gouvernement et qu’il allait lui-même quitter des documents pour ce dernier avec un certain Iven à Ébène. Mais, dit-il, Kistnen n’a jamais obtenu aucun contrat sauf celui relatif au conseil de district de Moka/Quartier-Militaire et que son rôle avait été juste de «fer bokou» jusqu’à ce qu’il en ait assez et menace de tout dénoncer.
Avec tout ça et plus encore, l’épouse de Kistnen ne peut qu’espérer que la lumière se fera bientôt sur toute cette terrible affaire. «Mo res konfian ki nou pou konn la verite biento. Sa lekip avoka ki pe travay gratwi pou mwa-la pe fer enn travay formidab», souligne Simla qui doit aussi se battre désormais pour assurer l’avenir de son fils.
La déposition de Simla Kistnen au quartier général de la commission anti-corruption le 8 décembre ne restera pas sans suite. Une source à l’Independent Commission Against Corruption affirme que cet organisme a déjà démarré une enquête sur les emplois fictifs après que la veuve de Soopramanien Kistnen a allégué que le ministre Sawmynaden touche Rs 15 000 par mois sur sa tête en prétendant qu’elle est son Constituency Clerk. Le ministre du Commerce bénéficie toutefois du soutien du Premier ministre dans cette affaire. «Monn fer mo lanket ek mo fer konfians Yogida», avait déclaré Pravind Jugnauth lors de la dernière réunion du comité régional de Quartier-Militaire, quelques jours plus tard. Le chef du gouvernement s’était aussi dit peiné par la mort de son agent Soopramanien Kistnen et a reconnu «travay ki linn fer lor terin».
Ravi Rutnah, l’avocat de la State Trading Corporation, a déposé devant la magistrate Vidya Mungroo-Jagurnath le vendredi 18 décembre dans le cadre de l’enquête judiciaire sur la mort troublante de Soopramanien Kistnen. L’organisme, qui a retenu ses services, doit bientôt soumettre la liste de tous les appels d’offres depuis octobre 2019 ainsi que tous les contrats passés sous l’Emergency Procurement Procedures durant le lockdown pour savoir si le décès de l’agent du MSM aurait un lien avec un important contrat de plusieurs millions de roupies.
La séance du vendredi 18 décembre a marqué la fin des travaux de l’enquête judiciaire pour 2020. La magistrate Vidya Mungroo-Jagurnath a fixé la date de la reprise au 15 janvier 2021. Le Dr Sunassee, qui a procédé à l’autopsie, devra être en mesure de produire le rapport de toxicologie de la victime ce jour-là. Le but est de savoir quelle quantité de péthidine exactement Soopramanien Kistnen avait dans l’urine et dans le sang. Un expert du Forensic Scientific Laboratory sera probablement appelé à la barre à ce sujet. D’autres témoins importants seront, par la suite, entendus. La convocation du ministre Sawmynaden dépendra de la magistrate Vidya Mungroo-Jagurnath à la lumière des éléments produits en cour.
Les avocats qui assurent les intérêts de la veuve de Soopramanien Kistnen réclament la démission du ministre Yogida Sawmynaden. Ces derniers, qui se font appeler les «Avengers», sont même disposés, disent-ils, à participer à une grève de la faim si les partis de l’opposition décident d’en organiser une. «So nom inn site plizir fwa dan sa zafer-la. Nou pa konpran kifer li ankor touzour minis», s’insurge Rama Valayden. L’homme de loi martèle que l’affaire Kistnen est définitivement liée à «enn krim disan». Il a animé une conférence samedi matin en compagnie de ses confrères Anoup Goodary, Sanjeev Teeluckdharry, Rouben Mooroogpapillay et Roshi Badhain. Ce dernier a également été très virulent contre le ministre et le pouvoir en place.
Lors de cette rencontre avec la presse, les avocats ont soulevé plusieurs faits troublants depuis l’institution de l’enquête judiciaire. Le premier élément qui joue en leur faveur est, avancent-ils, le fait que le Dr Sunassee a affirmé en cour que «foul play cannot be excluded» alors que la police, elle, privilégiait le suicide. Les hommes de loi ont d’ailleurs salué la décision du DPP d’instituer une enquête judiciaire. Ils disent également apprécier le travail formidable effectué par le représentant du State Law Office.
L’un des autres faits troublants dans cette affaire, disent les avocats de l’épouse de Soopramanien Kistnen, est l’absence des images des caméras de Safe City à La Louise le jour de la disparition de l’activiste politique alors que les images des caméras de Rose-Hill comportent également des irrégularités. Les «Avengers» crient à la manipulation car les images en question sont stockées par le National Computer Board dont le président est nommé par le ministre Sawmynaden. Les avocats ont également relevé des manquements dans l’enquête policière. Ils avancent que la police ne s’est pas penchée comme il le faut sur des pistes sérieuses.
L’une d’elles concerne une information fournie par un neveu du défunt, qui avait signalé la présence de débris provenant d’une voiture rouge. Le responsable de l’enquête n’aurait pas, avancent les avocats, fouillé cette piste. La police n’aurait pas non plus entendu plusieurs personnes importantes dans cette affaire. Le panel d’avocats représentant dit également ne pas comprendre pourquoi la doctoresse Jankiparsad, Police Medical Officer, s’est rendue sur les lieux de la découverte macabre mais n’a pas pratiqué l’autopsie. Ils considèrent cela comme une irrégularité.
Ils veulent ainsi savoir qui a donné les instructions au Dr Sunassee pour pratiquer l’autopsie sur la dépouille de Soopramanien Kistnen. Les avocats de la veuve Kistnen ne comprennent pas non plus pourquoi l’ICAC n’a pas encore agi concernant l’affaire des emplois fictifs où le nom du ministre Sawmynaden est cité avec insistance. Rama Valayden et ses pairs tirent également à boulets rouges sur les ministres Lejongard et Gobin ainsi que sur le commissaire de police qui les accusent de créer une psychose dans le pays lorsqu’ils évoquent la possibilité de l’existence d’un escadron de la mort.
Rama Valayden avance que la famille Kistnen a retenu les services d’une équipe de détectives privés pour rechercher les images CCTV. Cette équipe serait d’ailleurs déjà en possession de disques durs. Les «Avengers» promettent de faire d’autres importantes révélations dans les jours à venir.
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