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24 août 2021 22:51
C'est un sujet qui ne laisse pas insensible et qui intéresse le monde entier. Vingt ans après leur chute, les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan le dimanche 15 août. Cela, après une offensive fulgurante qui a causé l’effondrement des forces gouvernementales et la fuite à l’étranger du président Ashraf Ghani qui a reconnu leur victoire. Ce revirement de situation a provoqué un vent de panique à Kaboul, la capitale, et depuis, des milliers d’habitants essaient de fuir le pays, prenant d’assaut l’aéroport et créant des scènes de chaos qui ont interpellé l'opinion publique. Les images chocs mettent en avant des scènes effroyables et dramatiques car des milliers de personnes sont prêtes à tout pour quitter l’Afghanistan. On voit des Afghans tentant coûte que coûte de monter dans des avions qui décollent, montant même parfois sur les ailes, avec de terribles conséquences. Certains sont tombés dans le vide une fois l’avion dans l’air... Ce qui n'a pas manqué de choquer le monde entier.
La plupart des pays occidentaux, dont la France, ont évacué leurs représentants et les Afghans qui ont travaillé pour eux, et le président français Emmanuel Macron a annoncé une initiative franco-allemande pour empêcher une vague migratoire vers l'Europe. Le président américain Joe Biden s'est aussi retrouvé sous les projecteurs de cette actualité et a pris la parole pour justifier le départ des troupes américaines du pays, arguant que l'intervention militaire là-bas n’avait pas vocation à «construire une nation».
À Maurice également, la situation en Afghanistan intéresse. Lors d’une conférence de presse le samedi 21 août, le ministre des Affaires étrangères a abordé le sujet. «On va se joindre à tous les pays pour accorder notre soutien afin que la situation en Afghanistan évolue positivement. On n'a eu aucune demande de Mauriciens vivant là-bas pour nous demander de l'aide ou encore pour une évacuation. Nous sommes en contact avec une Mauricienne qui a épousé un Afghan et elle n'a demandé aucune aide. On a tous envie que la situation se calme. Les talibans ont dit qu'ils vont diriger dans la paix et le respect des droits des femmes. On va suivre l'évolution des choses», a-t-il déclaré.
La suite des événements par rapport à la sécurité et au respect des droits des habitants est au cœur des préoccupations. Comme le souligne Vijay Naraidoo, Deputy Director General pour les relations internationales au sein de l'ONG Dis-Moi (Droits humains océan Indien), organisme qui milite pour la protection et le respect des droits humains : «On suit les événements en Afghanistan comme on suit d'autres événements dans le monde. Quand les Américains ont annoncé leur départ, on sentait le retour imminent des talibans. Et les images qu'on avait en tête depuis 20 ans, c'est-à-dire, avec les talibans dans les rues de Kaboul avec leurs bâtons en main, persécutant les civils comme s'ils étaient les maîtres, sont revenues dans nos mémoires. Et là, après toutes ces années, je revois des images de talibans avec leurs bâtons. Ces dernières années, à travers des émissions à la télévision, j'ai pu voir des femmes afghanes épanouies évoluant dans plusieurs domaines : le cinéma, l'audiovisuel, le journalisme, entre autres. On a maintenant l'impression que tout cela sera anéanti. On doit laisser le temps au temps pour savoir si le pays aura un gouvernement taliban qui dirigera dans le respect des droits de toute la population. Il y a des signes que la liberté serait limitée mais attendons.»
Karim Jaufeerally, «curieux de géopolitique», nous donne aussi son avis sur le sujet : «L’implosion du régime afghan a été extraordinaire. Même les talibans ont été surpris par la rapidité de tout cela. Ils ne pouvaient clairement pas croire à leur coup de chance, à tel point qu'ils en ont plaisanté devant les caméras. J'ai également été frappé par la conférence de presse des talibans. Même s'ils ne parviennent à honorer que la moitié de leurs promesses, ils auront changé l'Afghanistan pour le mieux et pour longtemps. On verra quand même. Ce qui m'a également frappé, c'est que la débâcle afghane et américaine est vraiment la débâcle de l'Occident. Étant donné que tous les grands pays occidentaux comme le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne et le Canada ont soutenu les États-Unis jusqu'au bout. Les élites dirigeantes de l'Occident seront désormais perçues telles qu'elles sont réellement : des voleurs, des pillards et des meurtriers corrompus, totalement incompétents, arrogants, absolument stupides et sans aucun soupçon de bon sens.»
C'est avec beaucoup d'attention que Karim Jaufeerally va suivre l'évolution des choses : «Je m'attends maintenant à une certaine forme d'alliance entre la Chine, la Russie, le Brésil et l'Iran en tant que bloc principal (Conseil de coopération de Shanghai ?). Et quid de l’Afrique du Sud, du Nigeria, de l’Égypte et de la Turquie ? Les pays de l'UE devront peut-être décider s'ils vont se ranger du côté des États-Unis ou s'ils prendront leur pari. Je soupçonne que l'Allemagne peut décider qu'il est grand temps de devenir très amicale avec la Russie. Si c'est le cas, je peux imaginer une alliance axiale qui s'étend de l'Allemagne à la Chine. Une alliance lâche basée sur la coopération commerciale, militaire et industrielle. Pas l'UE inutile qui veut tout réglementer jusqu'à la taille des bananes. Si les talibans jouent le jeu du commerce et de la non-agression, alors leur régime durera. Cela pourrait bien être les prémices d'un nouvel arrangement qui laisse les États-Unis et leurs alliés dans le froid.»
Ce qui se passe en Afghanistan ne laisse pas non plus insensible Saffiyah Chady Edoo : «On a l’impression que 20 ans de guerre n’ont abouti à rien, pour qu’on se retrouve finalement avec le même régime qu’on était censé combattre. En même temps, c’était un move prévu suite à l’accord de Doha. La grande interrogation reste quand même la question des droits humains, sachant très bien que le dernier “règne” taliban a terrorisé toute une population. Que le président ait quitté son pays et que les gens commencent à preempt les actions des talibans, cela en dit long sur le climat qui règne et l’état d’esprit des gens.»
Commentant les craintes à l'échelle internationale de voir l’Afghanistan redevenir un sanctuaire terroriste, elle avance : «Un “sanctuaire terroriste” est très subjectif. Il est vrai que le pays est connu pour le recrutement et l’entraînement de terroristes dans le passé mais le terrorisme ne se trouve plus uniquement en Afghanistan. Donc, la crainte de sanctuaire du terrorisme n’est pas limitée à l’Afghanistan. Il ne faut pas non plus tomber dans les préjugés. Il faut attendre de voir comment les choses vont se développer.»
Bien évidemment, le sort des femmes et des filles afghanes a beaucoup d’importance aux yeux de Saffiyah Chady Edoo. «Pendant le dernier règne des talibans, les femmes ont subi des tragédies atroces. Malgré les assurances données lors de la conférence de presse des talibans, les craintes restent car, selon certaines informations publiées, dans certains endroits, des femmes ont déjà été tuées par les talibans. Reste à voir à quel point ils respecteront leurs engagements. Les récits de femmes durant cette semaine n’ont laissé personne insensible. Il ne faut pas oublier que les hommes non-conformistes à l’idéologie des talibans ont aussi subi d’énormes injustices. Il faut faire attention à ne pas faire d’amalgame entre le non-respect des droits des femmes et des jeunes filles, comme l’entendent les talibans, et la place de la femme dans l’islam. Ce sont deux choses complètement différentes», souligne la jeune femme qui, comme beaucoup, a les yeux rivés sur l’Afghanistan et tout se qui s’y passe.
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