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L’après-Wakashio : le blues du «grand bleu» des gens de la mer

24 août 2020

Rudy espère pouvoir vite reprendre ses activités.

Dans ses yeux, le reflet de la mer se mélange à l’incertitude. «Normalman, mo pa kapav les enn zourne pase san ki mo met mo lipie dan delo sale», lâche Edmond Vurdapanaicken, 67 ans, de l’émotion dans la voix. En raison des restricted areas imposées par les autorités dans certaines zones maritimes du Sud-est affectées par le naufrage du MV Wakashio et la marée noire qu’il a provoquée, cet habitant de Cité La-Chaux fait maintenant partie de cette communauté des gens de la mer qui se retrouvent dans l’incapacité d’exercer leur gagne-pain. «Je suis contraint de rester sur terre à attendre que la situation s’améliore», nous confie celui qui, comme beaucoup de pêcheurs, a une relation particulière avec le «grand bleu», son terrain de jeu, son lieu de travail qu’il connaît comme sa poche.

 

Ses odeurs, ses nuances de couleurs, ses humeurs et ses espèces de poissons... La mer n’a plus de secret pour Edmond. C’est pour cela que son cœur saigne lorsqu’il regarde sa meilleure amie qui est tellement souillée depuis quelques jours. Il lui est impossible donc, en ce moment, de sortir son bateau «pou al rod lavi», tout en expérimentant le rituel quotidien de se laisser bercer par les clapotis des vagues avec le vent grisant du large fouettant son visage et le soleil caressant sa peau ; des sensations qui l’accompagnent depuis de longues années : «Voilà 55 ans que c’est mon quotidien. C’est pour cela que les circonstances actuelles sont difficiles pour des gens comme moi. On ne sait pas ce qui nous attend et comment les choses vont évoluer.»

 

Dans le flou, Edmond, pêcheur depuis son enfance – une passion et un métier qui se transmettent de génération en génération dans sa famille –, ne sait pas encore quand il pourra reprendre ses activités : «Je pêche depuis que j’ai 12 ans. C’est pour moi à la fois un plaisir, une passion et un métier. Mes petits-enfants sont aussi très doués et aiment pêcher. C’est difficile pour moi de mettre des mots sur ce que je ressens après ce qui s’est passé. La mer, c’est comme ma maison, c’est mon chez-moi et quand je vois ce qui est arrivé et les risques qu’il y a, je suis forcément affecté. Je connais la richesse des lagons concernés par cette catastrophe écologique et c’est pour cela que je suis inquiet.»

 

Pour en avoir le cœur net, Edmond n’a pas hésité à aller constater de visu les dégâts causés par le navire échoué. Ce moment et ce qu’il a vu là-bas lui resteront à jamais gravés dans la mémoire : «Bato-la ti pe plegne kouma dir enn bato fantom.» Puis, ce sont les dégâts sur place qui l’ont marqué. «Les connaisseurs savent comment est la barrière de corail à l’endroit où le bateau a fait naufrage. C’était des coraux sains. Quand j’ai été voir sur place, j’ai été étonné de ne pas voir à travers l’eau. Il n’y avait pas de visibilité. Je m’interroge ainsi sur l’impact du poids du bateau sur les coraux à l’endroit où il y a eu l’impact.» Pour Edmond, l’avenir semble incertain : «On ne sait pas ce qu’on retrouvera quand on pourra reprendre la pêche et si ce qu’on trouvera pourra être vendu ou consommé. D’ailleurs, je me demande aussi si on va trouver quelque chose...»

 

«Bonnes décisions»


Sachant que cette situation pèse sur de nombreuses familles car il y a plusde 450 pécheurs, toutes catégories confondues, qui sont concernés, l’homme espère de tout cœur que les autorités prendront les bonnes décisions : «Je suis de très près toutes les décisions qui sont prises et les mesures qui sont annoncées pour nous venir en aide.»

 

Répondant aux questions du député Aadil Ameer Meea à l’Assemblée nationale le mardi 18 août, Sudheer Maudhoo, ministre de la Pêche, a précisé que des tests ont été effectués sur des poissons et que les résultats ont dévoilé que ces derniers contenaient des produits toxiques, d’où la décision de décréter cette région zone interdite à la pêche. Suivant cette mesure, il a aussi été décidé que les pêcheurs, poissonniers et plaisanciers exerçant dans la région du Sud-est percevront une allocation de Rs 10 200. La somme, provenant du Solidarity Grant, introduit sous le Solidarity Fund instauré par le gouvernement, leur sera allouée à partir de 28 août. «Comme on ne peut pas travailler, c’est donc normal qu’on nous accorde de l’aide», précise Edmond qui dit attendre d’en savoir plus sur l’état de la mer dans sa région.

 

Face à la situation, la Federation of Sea Fishermen Association a organisé une marche pacifique à Mahébourg, le dimanche 16 août. La manifestation a débuté devant le musée naval pour prendre fin au marché. Atma Shanto, conseiller technique de la Federation of Sea Fishermen Association, nous explique le pourquoi de cette démarche. «Notre revendication va au-delà du naufrage du Wakashio. Il faut humaniser ce secteur. Bizin aret pran peser pou depo fix. Nou pe fer gouvernman konpran ki bizin pas ignor la vwa peser, a koz samem nounn fer sa la mars ki ti enn sikse. On s’est battus pour que les pêcheurs soient écoutés durant les épreuves actuelles avec le naufrage du Wakashio mais nous nous battons aussi pour améliorer le travail des pêcheurs. Par exemple, il leur faut un plan de retraite. Nou pou osi fer tann nou la vwa le 28 out dans Porlwi a traver enn lot la mars pasifik.»

 

Ces préoccupations qui agitent les pêcheurs, ils sont nombreux à les avoir ces derniers jours. Rudy Coulon (plus connu comme Nico), skipper et habitant de Ville-Noire, Grand-Port, pour qui la mer est vitale, vit difficilement cette situation dramatique liée à la marée noire. «Bizin get bato pe dormi», s’exclame le skipper qui ne cache pas se poser beaucoup de questions car la mer, c’est son horizon, son repère : «C’est un désastre économique et écologique car beaucoup d’entre nous dépendent de la pêche. Je suis triste de voir la faune et la flore menacées par ce drame», confie le jeune homme. Très concerné par ce qui se passe, il était parmi les volontaires qui ont aidé à atténuer les effets de la marée noire sur nos côtes : «Ça a été une grande fierté de voir tous ceux qui se sont mobilisés tous les jours afin de limiter les dégâts causés par le vraquier. Je garde espoir que la situation s’améliore avec l’aide de tout un chacun.»

 

En sus de la pêche, souligne aussi cet amateur de kitesurf, d’autres activités sont aussi à l’arrêt, comme la pratique de la planche à voile. Il a donc une grosse pensée pour toutes ces personnes et ces familles pour qui la mer est une source de revenu et qui ont, en ce moment, le blues du «grand bleu»...

 


 

Au nom de la solidarité

 

Ils ont été nombreux à mettre la main à la pâte pour aider à limiter les dégâts de la marée noire. Dans ces moments difficiles, les Mauriciens ont démontré que la solidarité n’est pas un vain mot. Devant la situation des pêcheurs de cette région, Kristie Thomas, une jeune femme engagée, a tenu à leur venir en aide. Ne faisant aucunement partie d’une ONG, elle a tenu, en son nom personnel, à se mobiliser et à s’organiser afin de récolter des dons pour des familles de pêcheurs en difficulté. «Quand j’ai vu qu’il y avait tellement de volontaires sur les différents sites pour aider à lutter contre la marée noire, j’ai voulu trouver un autre moyen pour aider. Comme je n’avais pas vu de démarches de collecte de denrées pour les pêcheurs et plaisanciers, je me suis lancée, même si je ne suis pas membre d’une ONG. J’ai collecté des denrées à Bagatelle avec mon caddie. J’ai acheminé ce que j’ai récolté dans le Sud pour la distribution qui se fera par l’organisation Sud Espoir qui a dressé une liste de pêcheurs qui ne sont pas enregistrés comme tels et qui ne vont pas recevoir de compensation du gouvernement», nous confie Kristie Thomas, fière de son action au nom de la solidarité...

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