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Par Elodie Dalloo
20 août 2023 13:44
Les grands moyens ont été déployés pendant 10 jours pour retrouver Krishnawtee Seerauj. Soit depuis que cette habitante de Petit-Verger, Saint-Pierre, s'était comme volatilisée le jeudi 10 août après s'être rendue à la montagne du Pouce aux alentours de 16 heures pour sa marche habituelle. Dans la matinée du dimanche 20 août, les intenses opérations de recherches ont finalement porté leurs fruits : le corps sans vie de cette dame de 61 ans a été retrouvé sur un sentier au Dauguet, à Tranquebar, par des proches ; une nouvelle qui a bouleversé tout son entourage mais qui a aussi apporté à celui-ci un certain soulagement après plusieurs jours d'interrogations. Contacté, son époux Vivekanand, 68 ans, nous a confié : «Mo bien sagrin, me mo soulaze monn kapav trouv so figir enn dernie fwa.» Il y a quelques jours, alors que les recherches étaient toujours en cours, il nous racontait son angoisse et son désespoir de ne pas savoir ce qui était arrivé à celle qui partageait sa vie depuis 20 ans.
Cette attente et ces interrogations étaient insoutenables pour les proches de Krishnawtee Seerauj. Depuis le premier jour de sa disparition, les forces de l’ordre n’ont pas lésiné sur les moyens malgré la pluie et le brouillard. Chiens renifleurs, hélicoptères, drones équipés de caméras thermiques ; les effectifs déployés étaient impressionnants. Sans compter tous les volontaires venus des quatre coins de l’île pour les assister dans leur opération de Search & Rescue (SAR). La sexagénaire s’était comme volatilisée sans laisser de trace, ce qui ne faisait qu’accentuer l’inquiétude de son entourage. Submergée de questions, sa famille envisageait même la piste criminelle.
Depuis la disparition, Vivekanand Seerauj, l’époux de Krishnawtee, n’avait pas été en mesure de s'alimenter ou de fermer l’oeil. Lorsque nous l'avions rencontré durant la semaine écoulée, ses lunettes de vue cachaient difficilement ses yeux cernés et rougis par la fatigue et le stress. Diabétique et souffrant d’hypertension, il semblait à bout de forces mais était davantage perturbé par le fait de ne pouvoir participer aux recherches. «Sa montagn-la, mo konn li plis ki mo lekor. Mo madam inn perdi laba, me mo pa pe kapav al rod li», disait-il. Cela, à cause d’une opération qu’il a subie au genou en novembre dernier et qui le contraint désormais à se déplacer avec l’aide d’une canne. Depuis la soirée du jeudi 10 août, il a constamment attendu que la police lui apporte des nouvelles, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. «Cette attente est insoutenable. Tan ki pa gagn li, li pa pou fasil pou mo kontign viv», lâchait-t-il, l'air épuisé. Son entourage lui a rendu visite tous les jours depuis le jour fatidique pour lui apporter du réconfort. Tous lui demandaient de rester courageux. «Me sak fwa monn reponn zot “kan ou revini demin, pran inpe couraz ou amenn ar ou pou donn mwa”.»
Krishnawtee Seerauj allait faire sa marche à la montagne du Pouce trois fois par semaine. «Elle s’y rendait habituellement avec ma soeur et ma belle-soeur mais ce jeudi-là, elle s’y est rendue seule parce que les deux autres devaient aller à la foire», racontait notre interlocuteur. Ce n’était pas un problème pour elle car «boukou dimoun al marse dan tanto ; zame pann ariv mo madam okenn problem avan. Mem kan li ti pe sorti tousel, li zwenn ek bann dimoun ki res pre». De nature prudente, disait son époux, «elle ne se serait jamais aventurée dans des endroits dangereux. Li pa ti pou al pli lwin ki sa». Comme d’habitude, elle avait préparé le repas avant de quitter leur domicile aux alentours de 16 heures, pendant que Vivekanand faisait ses exercices de physiothérapie à la maison. «Ce jour-là, exceptionnellement, j’ai vu des amis et j’ai discuté avec eux, puis je suis allé à l’intérieur pour écouter une émission à la radio. Je ne me suis rendu compte que vers 19 heures qu’elle n’était toujours pas rentrée. Je me suis aussitôt inquiété.» Sans perdre une minute, il en avait informé son entourage. «Enn parti inn al rod li lor montagn, enn lot parti inn al lapolis.» La police avait déployé ses effectifs aux alentours de 23 heures. «Zot inn rode ziska 3 zer di matin me pann trouv nanye. Zot inn kontign rode so landime. Dimoun inn trouv li laba sa zour-la, inn koz ar li tou. Mo touzour pa pe kompran ki kapav inn arrive», lâchait-il, anxieux, du temps où la police essayait encore de la retrouver.
Plus les jours passaient, plus son angoisse et son inquiétude grandissaient. «Fode ou viv enn zafer parey mem pou ou kone a ki pwin li difisil», nous confiait Vivekanand, ému et impuissant face à cette situation. En 2003, il avait perdu la mère de ses enfants, terrassée par un cancer du sein. «Li ti difisil, me dokter ti fini dir mwa prepar mwa. Li ti pli fasil pou kompran, pou aksepte, ek monn kapav sirmont sa eprev-la.» Au départ, il ne pensait pas qu’il referait sa vie un jour, jusqu’à ce qu’il rencontre Krishnawtee. «Sa madam-la, li enn bon dimoun. Zame monn gagn problem ek li, zame nounn diskite, zame linn sorti san li dir mwa. Sa manier linn get mo bann zenfan-la, li zis inkroyab, linn touzour la pou zot kouma zot prop mama.» Lorsqu'elle a disparu, pas une minute n’est passée sans qu’il pense à celle qui partageait sa vie depuis bon nombre d'années. «Kot mo ale, tou seki mo fer, mo pans li. Je vois ses vêtements d’un côté, ses sacs à main de l’autre, et je sens encore son parfum dans la maison. Je ne m’étais pas préparé à vivre une chose pareille.» Le plus dur, nous disait-il, «c’est de ne pas savoir ce qui lui est arrivé. Kan enn zafer koumsa pe ariv ou, ou panse ou kapav tir li koumsa dan ou latet, dan ou lespri ?»
D’une voix brisée par l’émotion, Vivekanand ne pouvait s’empêcher de remettre sa foi en question : «Parfwa ou dir ki tou zafer ki ariv ou dan lavi, ou bizin aksepte. Ou fer ou la priyer, me eski Bondie li ekziste ? Bondie pa ti kapav epargn li ? Anpes kitsoz ariv li ?» Il était submergé par tant de questions : «Monn perdi enn premye dimoun dan bann sirkonstans difisil, me eski sak fwa destin pou fer mwa mizer koumsa ? Eski mo merit enn zafer parey ? Li pa posib ki Bondie fer enn zafer koumsa ar mwa.» Alors que les recherches étaient en cours depuis déjà plusieurs jours, Vivekanand avait commencé à perdre espoir. Il se disait incapable de survivre avec tant de questions qui demeuraient sans réponse, convaincu qu’on ne connaitrait jamais le fin mot de cette histoire. «S’il me reste dix années de plus à vivre, pensez-vous que je pourrai aller de l’avant après cela ? Cela me hantera jusqu’à ce que je ferme les yeux.»
Il nous décrivait ces dix derniers jours où il était passé par des montagnes russes émotionnelles. «Je ne peux même plus regarder la télé ou écouter la radio ; toutes ces chansons qui passent me fendent davantage le coeur pendant ces moments difficiles. Sak fwa mo trouv so foto lor rezo, dan zournal, se koumadir sa dernye foto linn tire-la, se zis pou kas mo leker. Li pa fasil ditou pou ou manz sa margoz-la. On aurait pu m’offrir tout l’argent du monde, mais cela ne vaut rien à côté de ce que m’apporte mon épouse. Mo tousel kone ki kalite mo pe soufer.»
Les membres de la famille Seerauj se sont même demandés si elle n’avait pas été victime d’un acte malveillant. Le jour de sa disparition, la sexagénaire était vêtue d’un survêtement noir et jaune – le même que celui qu’elle porte sur les photos qui ont largement circulé –, portait une casquette, des lunettes et se déplaçait avec une canne. Vu que les forces de l'ordre n’avaient pas pu non plus mettre la main sur ses effets personnels durant tous ces jours de recherches, Vivekanand avait commencé à s'interroger : «Kouma li posib ki li pann less enn tras deryer li ?» Désespérés, et s’imaginant le pire, les proches de la sexagénaire avaient lancé un appel : «Nous ne savons pas où elle est, dans quelles conditions elle se trouve, ou même si elle est encore en vie. Si jamais quelqu’un détient des informations sur elle, l’a vue quelque part ou, éventuellement, la détient captive, nous lui demandons simplement d’aller de l’avant, de nous informer ou de la libérer. Si enn dimoun inn trap li, fer li kitsoz, o mwin si zot ti kapav les nou trouv so figir enn dernye fwa.» Si Vivekanand se dit aujourd’hui bouleversé que la sexagénaire ait été retrouvée sans vie, il s'est tout de même résigné à mauvaise nouvelle. «Ki mo pou fer, mo bizin aksepte.»
Pendant les dix jours de recherches acharnées, les enquêteurs n'ont voulu négliger aucune piste. Ils avaient notamment interrogé l’entourage de la disparue. «On nous a demandé si elle avait un passeport, si ses vêtements et ses bijoux étaient toujours là et combien d’argent elle a à la banque. On nous a aussi demandé si nous avions des ennemis», expliquait Vivekanand. «Si mo ti enn move dimoun, mo dir ki kitfwa kikenn ti kapav kokin mo madam pou fatig mwa, me mo pa sa kalite dimoun-la», assurait-il.
Dès la soirée du jeudi 10 août, après que la nouvelle de la disparition de Krishnawtee Seerauj s’était répandue comme une traînée de poudre dans le quartier, bon nombre d’habitants avaient participé aux recherches. À l’instar de Rakesh, un proche de la famille, qui connait très bien les lieux : «Dès le premier jour, mon frère, mon père et moi, nous nous sommes rendus à la montagne pour les recherches, accompagnés de nos chiens de chasse. Nounn al rod partou, nounn desann ziska Tranquebar, me nou pann trouv nanye. J’ai poursuivi les recherches presque tous les jours depuis, en vain.» Les environs, disait-il, il les connaît comme sa poche. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il participait à des opérations de recherches dans la montagne. «Monn mars partou, monn rod partou, lapolis ek volonter ousi inn rode.»
Il n’écartait pas non plus la possibilité d’un acte malveillant, comme plusieurs membres de la famille Seerauj. D’autant que les images des caméras Safe City avaient montré que la sexagénaire était bel et bien montée, mais qu’elle n’était jamais redescendue de la montagne ; du moins, pas en empruntant son trajet habituel. «Si dimoun inn kidnap li, inn fer li kitsoz, zot inn kapav desann par Tranquebar ou pass par La Laura pou sove, parski pena kamera», s'imaginait-il. Finalement, c'est bel et bien dans les environs de Tranquebar que le corps sans vie de la victime a été retrouvé. Quelques jours plus tôt, Viken et Varsheena s’étaient aussi déplacés pour participer aux recherches. Domiciliés à Terre-Rouge, ils s’étaient rendus à la montagne avec d’autres amis pour aider la police et les volontaires dans leurs recherches bien qu’ils ne connaissent pas la sexagénaire. «Si ti ariv sa enn nou bann fami, nou ti pou kontan ki dimoun fer demars pou rod li parey.»
Cette grande affluence pour les recherches, que ce soit s’agissant des volontaires ou des forces de l’ordre, n’avait pas laissé les membres de la famille Seerauj insensibles. L’époux de la disparue se dit, d’ailleurs, reconnaissant de toute l’aide que lui ont apporté la police, le public, son entourage, mais aussi le Premier ministre, qui lui a rendu visite. «La polis ek gouvernement finn fer boukou pou nou. Bann volonter ousi. Nou remersie zot boukou.» Pendant les recherches, le commissaire de police (CP) Anil Kumar Dip s’était lui aussi rendu sur place pour un constat des lieux et participer à l’opération de SAR. «Nous avons déployé tous les moyens possibles, de jour comme de nuit. J’ai aussi survolé les régions où elle aurait pu se rendre, les zones où elle aurait pu chuter ; ce territoire est plutôt dense.» Il avait donné la garantie que les grands moyens continueraient à être déployés jusqu'à ce que les recherches aboutissent, malgré la pluie et le brouillard.
Le CP avait aussi lancé un appel à la population : «Quand vous allez en randonnée ou à la montagne, informez le poste de police le plus proche et laissez aux officiers un numéro de téléphone afin qu’ils puissent intervenir à temps si un problème survient.» Il compte, par ailleurs, consulter les autres instances concernées afin d’établir des normes de sécurité à respecter pour tous ceux allant en randonnées.
Au-delà de la souffrance et de la tristesse d'avoir perdue Krishnawtee, la famille Seerauj se dit tout de même soulagée de pouvoir enfin faire son deuil. La police, par ailleurs, poursuit son enquête afin de faire la lumière sur les circonstances du décès de la sexagénaire.
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