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Le DPP raye l'accusation de meurtre qui pesait sur David Jolicoeur - Katriana, son épouse : «Il pourra enfin faire la connaissance de son fils»

4 juillet 2022

Le jeune homme fait partie des victimes dont les vidéos de torture ont circulé sur les réseaux sociaux.

Tragique Noël. Dans la matinée du 25 décembre 2018, le corps sans vie d'un vigile de 84 ans, Issah Ramjan, est retrouvé à l'arrière du centre commercial de Riche-Terre par son collègue. Il porte une grave blessure à la tête. La dernière fois que ses proches l'ont vu en vie remonte à quelques heures plus tôt, soit aux alentours de 6 heures, lorsque cet habitant de Terre-Rouge a quitté son domicile pour aller travailler. Une autopsie pratiquée par le Dr Sudesh Kumar Gungadin, chef du département médico-légal de la police, attribue son décès à un oedème cérébral mais sa mort est considérée comme étant suspecte puisque l'octogénaire jouissait d'une santé de fer. Deux jours plus tard, la Criminal Investigation Division (CID) de Terre-Rouge, qui s'est saisie de l'affaire, arrête David Jolicoeur. Il s'agit d'un récidiviste domicilié à Baie-du-Tombeau, qui a déjà à son actif plusieurs vols. À en croire les enquêteurs, il serait même passé aux aveux et aurait déclaré avoir agressé la victime pour la dépouiller.

 

Lorsqu'il a été appréhendé le 27 décembre 2018, David Jolicoeur était âgé de 23 ans. Cela faisait à peine quelques mois qu'il avait convolé en justes noces avec Katriana et cette dernière attendait leur premier enfant. Des projets, il en avait beaucoup ; pas seulement pour ce fils dont il attendait l'arrivée avec impatience mais aussi pour les enfants issus de sa première union. Malheureusement, ils sont tous tombés à l'eau lorsqu'il s'est retrouvé impliqué dans cette affaire sordide. S'il avait déjà un casier judiciaire chargé, ses proches, choqués et confus en voyant la police l'embarquer pour une telle affaire, n'ont jamais cessé de croire en son innocence.

 

«Il n'est pas un enfant de choeur mais il n'aurait jamais commis un tel acte. Tous ceux qui l'ont côtoyé – ses amis, sa famille – n'ont jamais voulu y croire. Nous savions qu'il n'aurait jamais pu ôter la vie de quelqu'un», confie son épouse, que nous avons rencontrée en fin de semaine. D'autant que les enquêteurs ne disposaient d'aucune preuve tangible pour l'inculper. Katriana s'en souvient comme si c'était hier : «Après son arrestation, les enquêteurs l'avaient conduit à la maison pour une fouille. Il était couvert de blessures mais je n'avais pas été en mesure de le questionner parce qu'il était entouré de policiers.» Ce n'est que bien plus tard, lorsqu'elle lui a rendu visite en prison, qu'il lui aurait confié avoir avoué ce crime sous la torture.

 

Durant toutes ces années, les proches de David Jolicoeur ont vécu avec ce poids sur les épaules. Croyant fermement en l'innocence du jeune homme, ils n'ont, toutefois, jamais su comment le prouver, ni vers qui se tourner pour les aider dans leurs démarches. Après tout, s'étaient-ils dits, «il s'agissait de notre parole contre celle des membres de la force policière. Personne ne nous aurait crus». Bien des fois, Katriana a failli baisser les bras, se sentant impuissante devant tant d'«injustice». «Nous venions tout juste de nous marier lorsqu'il a été arrêté. Nous avons à peine eu le temps de profiter de notre vie de couple. David a manqué la naissance de notre fils ainsi que ses trois premiers anniversaires. Plus le temps passait, plus cela devenait dur. J'arrivais de moins en moins à supporter cette distance.» C'est grâce au soutien et à l'encouragement de ses proches qu’elle a pu tenir le coup : «Cela m’a donné la force de rester debout. J'ai travaillé dur, je me suis occupée de notre enfant seule mais j'ai toujours pu compter sur l'aide de nos deux familles lorsque j'avais des difficultés.»

 

Il y a un peu plus d'un mois, alors que l'entourage de David Jolicoeur avait déjà abandonné tout espoir d'un dénouement positif, celui-ci a été identifié sur l'une des vidéos démontrant des actes de torture commis par les éléments de la CID de Terre-Rouge. On l'y voit nu, lavant un vêtement à proximité d'une rivière, les menottes aux poignets et entouré de policiers. D'autres vidéos encore plus choquantes, où on voit d'autres suspects recevoir des décharges électriques dans les parties intimes, poussent Katriana à se questionner. «Je me suis dit qu'il avait forcément subi le même sort», lâche-t-elle. La jeune femme se souviendra toujours du jour où elle a visionné ces vidéos : «C’était le jour de la fête des Mères et aussi celui où David et moi avons célébré notre quatrième anniversaire de mariage. Il m'avait appelée de la prison. Je l'ai questionné mais il n'a rien voulu me dire pour ne pas me bouleverser davantage. Ce n'est que le lendemain qu'il a fini par tout avouer et que nous sommes allés de l'avant.» Soutenus par Darren L'Activiste, l'activiste et politicien Bruneau Laurette et un panel d'avocats, les proches du jeune homme se sont rendus aux Casernes centrales pour porter plainte pour brutalités policières à son encontre.

 

Un immense soulagement

 

Ces dernières semaines ont été loin d'être de tout repos pour la famille Jolicoeur. Dans une correspondance datée du 14 juin 2022 et adressée au DPP, les avocats Sanjeev Teeluckdharry, Rouben Mooroongapillay et Akil Bissessur ont réclamé la radiation de l'accusation provisoire de meurtre parce que «les officiers de la CID de Terre-Rouge ayant procédé à son arrestation et ayant conduit l'enquête n'avaient aucune raison valable justifiant son arrestation ; ils n'avaient aucun motif, ni aucune preuve justifiant cette mise en accusation provisoire ; ils l'ont violenté, torturé et menacé de mort afin de le contraindre à signer des aveux ; cette mise en accusation provisoire est injuste, oppressive, illégale et démontre une dérision de notre système judiciaire». Ce jeudi 30 juin, les prières de l'entourage de David Jolicoeur ont finalement été exaucées au tribunal de Pamplemousses. Le bureau du DPP, par le biais de son représentant Me Roshan Santokhee, a indiqué qu’il s’alignait avec la défense. Cependant, si David Jolicoeur n'est plus poursuivi pour meurtre, il n'a pas encore été libéré parce qu'il fait aussi l'objet d'une accusation provisoire de «larceny with violence armed with an offensive weapon» (voir hors-texte).

 

Cette première victoire constitue, toutefois, un immense soulagement pour la famille Jolicoeur. «Monn ankoler ler monn kone ki li pann libere toude swit me sa res enn gran soulazman. Je suis aux anges. Azordi mo lespri pli trankil», lâche Katriana, ravie. La nouvelle a suscité tout autant de joie chez Antoinette Jolicoeur, la mère du jeune homme, qui n'a cessé de le garder dans ses prières. «Kan monn gagn sa nouvel-la, mari kontan monn kontan. Mo ti panse mo garson pou sorti mem zour, monn al Melrose. Quand j'ai appris qu’on le garderait en détention pour une autre affaire, cela m'a attristée et révoltée mais je suis tout de même soulagée que la charge la plus grave ait été rayée. Ses hommes de loi ont respecté leur promesse et je leur en suis reconnaissante.» Antoinette Jolicoeur est heureuse que la «vérité» ait enfin éclaté. «Jour après jour, je n'ai cessé de repasser en boucle dans ma tête toutes ces fois où je lui ai rendu visite et où il m'a dit qu'il était innocent, qu'il ne connaissait pas la personne qu'on l'accusait d'avoir tué. Cela me faisait tellement mal que j'en avais perdu l'appétit. Mo pa dir ki mo garson parfe ; linn deza fer prizon me zame linn bat enn dimounn. Mwa ki konn mo soufrans. Monn resi dibout lor mo lipie pandan trwa zan edmi ; enn lot dimounn ki pas ladan kitfwa pa pou ena sa kouraz-la, me mo pou kontinie dibout pou mo garson. Mo kontan mo zanfan.»

 

Aujourd'hui, la famille Jolicoeur compte les jours pour retrouver le jeune homme. «J'ai attendu pendant longtemps ; cela ne me dérange pas de patienter encore quelques jours pour le serrer dans mes bras. Kan li pou vini, premye zafer mo pou fer, se amenn li manz enn manze, apre mo pou fer enn fet pou li», lâche Antoinette, la joie au coeur. Idem pour Katriana, son épouse, qui n'a qu'une hâte : «C’est de le retrouver pour qu'il puisse enfin faire la connaissance de son fils. Il pourra enfin le prendre dans ses bras, l'embrasser et passer du temps avec lui. Nous avons aussi beaucoup de temps à rattraper et pourrons enfin profiter de notre vie de jeunes mariés.»

 

Sur une autre note, la radiation de la charge de meurtre pesant sur David Jolicoeur soulève d'autres questions : combien d'autres suspects actuellement en détention ne sont, au final, que des victimes du système ? Qui est le véritable meurtrier d'Issah Ramjan ? Les proches de cet octogénaire pourront-ils, un jour, faire leur deuil ? C'est dans ce cadre que les hommes de loi de David Jolicoeur ont, par la même occasion, réclamé une enquête judiciaire sur le meurtre de l'octogénaire. «We owe to the living - RESPECT and to the dead - the TRUTH», arguent-ils.

 


 

La motion pour la radiation de l’accusation de vol sera débattue le 13 juillet

 

Ce jeudi 30 juin 2022 a été un grand jour pour la famille Jolicoeur. Leurs prières ont finalement été entendues : l’accusation provisoire de meurtre qui pesait sur leur proche depuis 2018 a été rayée ce matin-là en cour de district de Pamplemousses. Il s'agit-là d'une première victoire pour ce jeune homme qui fait partie de la longue liste de victimes de brutalités policières. Cependant, il devra patienter encore pour retrouver la liberté conditionnelle. Pour cause, il répond aussi d'une accusation provisoire de vol avec violence. Lors d'une conférence de presse s'étant tenue le même jour, ses hommes de loi – Mes Sanjeev Teeluckdharry, Rouben Mooroongapillay et Akil Bissessur – et l'activiste-politicien Bruneau Laurette, qui mènent la bataille depuis la mise en circulation des vidéos de tortures policières, ont apporté des éclaircissements.

 

Il s’avère donc que même si l’accusation provisoire de meurtre a été rayée, la police a informé la cour que le jeune homme faisait toujours d'objet d'une accusation provisoire de «larceny with violence armed with an offensive weapon». Celle-ci avait été logée contre lui le 28 décembre 2018, soit lors de sa première comparution devant le tribunal dans le cadre du meurtre d'Issah Ramjan. «Il y a eu une confusion. La charge de vol, qui devait être rayée en cours de route, est toujours là. Nous avons déposé une motion pour que celle-ci soit également rayée. Ce sera débattue le 13 juillet. En parallèle, nous avons également demandé à la Bail & Remand Court (BRC) de nous fournir le dossier de David Jolicoeur et nous allons réclamer sa liberté sous caution entre-temps», a avancé Me Sanjeev Teeluckdharry.

 

Le panel d'avocats se dit tout de même satisfait que «le bon sens ait prévalu. Nous remercions le bureau du DPP». Selon Me Rouben Mooroongapillay, «à Maurice, il y a une crise institutionnelle. Rien ne fonctionne comme il faut. La police doit retenir la leçon : il est inconcevable de pousser un individu à passer aux aveux sous la torture. Nous sommes conscients qu'il existe de bons policiers mais ceux qui n'ont pas leur place dans la police doivent s'en aller».

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