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Le Mauricien Jean Wolf : mon expérience en Afghanistan

30 septembre 2021

Le Mauricien lors de ses années dans l’armée britannique.

Qui suis-je ? «Je m’appelle Jean Wolf, j’ai 34 ans et je viens d’une famille issue de la classe moyenne. J’ai grandi dans un ghetto, dans les faubourgs de Port-Louis. J’ai vécu avec des Rodriguais, des Agaléens et des Chagossiens, et des personnes de toutes les communautés et de différents backgrounds ; on vivait tous en harmonie. J’ai fréquenté le collège Bhujooharry et à l’époque, de par mes origines, je peux dire que c’était difficile de trouver ma place dans la société mauricienne et de réussir ma vie. Quand j’ai quitté l’école, j’ai suivi la culture rastafari et j’avais des dreads. Je suivais un cours pour devenir ingénieur dans le domaine de la réfrigération dans les containers et chambres froides. Mais je n’ai pu faire carrière, selon moi à cause de mes cheveux. J’ai été renvoyé. On m’avait plusieurs fois demandé de me faire couper les cheveux. On m’avait même donné de l’argent pour que j’aille le faire. Tout cela m’a toujours affecté. J’ai résisté un moment pour ne pas me couper les cheveux et j’ai travaillé pendant un laps de temps comme maçon. Finalement, je me suis fait couper les cheveux. Je sentais que je n’avais pas le choix car je vivais, selon moi, dans une société où on me jugeait à cause de mes dreadlocks. J’ai aussi été interpellé par la police quelques fois et subi des fouilles à cause de mes cheveux. Je m’en souviens très bien et je ne vais jamais l’oublier. Une fois, je me trouvais dans un centre commercial ; je venais de toucher mon salaire et j’y étais pour faire des courses, et la police m’a interpellé pour me fouiller sans, évidemment, rien trouver sur moi. C’est à cette époque que j’ai ressenti le besoin de quitter le pays. J’ai travaillé pendant quelques mois dans un cabinet d’avocat. Et ensuite, j’ai appris, par un ami, que les Mauriciens pouvaient s’enrôler dans l’armée britannique.»

 

Le choix de devenir militaire : «Mon grand-père était dans l’armée anglaise et mon désir de rejoindre l’armée était animé par l’envie d’aller vivre une expérience. J’ai toujours considéré que knowledge is power et je me suis dit que ce knowledge allait m’aider à avancer. J’ai donc atterri en Angleterre où mon oncle m’a accueilli en 2006. J’ai, par la suite, intégré l’armée où j’ai pu apprendre à voir le monde et la vie différemment. En intégrant l’infanterie, j’ai fait mes premières armes au sein des Royal Green Jackets en 2006. L’année suivante, en 2007, le régiment est devenu The Rifles. Puis, en 2008, je suis allé en Iraq avec les Special Forces UK (sas) ainsi que les Special Forces américaines (Navy Seal). J’ai fait trois mois d’entraînement à Kent, en Angleterre, puis j’ai passé six mois en Iraq. La task force s’appelait Armageddon Platoon. C’est en 2011 et 2012 que je me suis retrouvé en Afghanistan. Je n’ai pas de sang sur les mains et ce que j’ai vécu m’a forgé. J’ai quitté l’armée en 2017...»

 

Mon souvenir le plus marquant de ces années : «L’Afghanistan avant, particulièrement Kaboul, était très développé. Le pays accueillait même beaucoup de touristes et était très riche culturellement. Les habitants avaient un certain knowledge. Mais avec la guerre, tout cela a été compromis. Les temples et les lieux historiques ont été saccagés. Avec ces destructions, c’est le pays qui a perdu son identité. Ceux qui font la guerre veulent effacer l’histoire pour imposer une autre façon de faire et de vivre aux habitants. Avec la guerre, les habitants ont oublié ce que c’était de vivre, ou encore qu’il y avait des lois. En Afghanistan, ce qui m’a le plus marqué, c’est que je n’ai pas ressenti de la frayeur chez les habitants. Même dans les moments de guerre, ils avaient de l’espoir. Cela m’a étonné. Je me trouvais dans une area of operation et nous avons perdu plus de 386 soldats. On a construit un main road de 2 à 3 kilomètres. Nous avons aussi construit deux écoles dont l’une a été brûlée par les talibans. Mon objectif premier a toujours été de protéger les enfants et un jour, j’ai vécu quelque chose de très fort. Les talibans attaquaient un village et à un moment, je me suis dirigé vers un groupe d’enfants pour leur dire de se mettre à l’abri et j’ai constaté qu’ils n’avaient pas peur du tout. La guerre, les attaques, c’est une réalité qu’ils vivaient tous les jours. Cette image m’est restée en mémoire. Comment un enfant peut-il vivre au quotidien dans ce genre de conditions ? La route que les enfants devaient emprunter pour aller à l’école était très risquée car beaucoup de talibans y opéraient. La situation des femmes m’a aussi interpellé à l’époque. Il leur était interdit, par exemple, d’avoir des eyes contacts. On ne les voyait même pas. Mais dans des régions comme Kaboul, il y avait une université et beaucoup d’habitants, dont les femmes, y avaient accès. J’ai aussi été marqué par la grande solidarité entre tous les Afghans. Ils vivent tous comme une famille. Il y a une grande partie de la population qui sont des fermiers. J’ai toujours été étonné par le fait que beaucoup de personnes, bien qu’en situation de guerre, trouvaient toujours du temps pour partager un thé entre voisins. Ils vivent malgré tout... En parallèle, parmi mes plus mauvais souvenirs, c’est toutes les destructions qu’a subies le pays. Les paysages étaient magnifiques et beaucoup ont été détruits par la guerre. Des étrangers se sont invités dans le pays et ont nourri une guerre, et tout un peuple en souffre.»

 

Mon regard sur la situation actuelle : «Pour moi, la guerre qui a découlé du drame du 11 septembre 2001 is only about money and power. Ce genre de guerre déstabilise l’économie d’un pays et met en péril la liberté des habitants. Les Américains avaient promis aux Afghans qu’ils allaient pourvoir le pays en infrastructures et redresser l’économie mais en fin de compte, rien n’a été fait et ils ont quitté le pays sans honorer leurs promesses. Il n’y a pas eu de long-term project. Le point fort de l’Afghanistan, pour moi, c’est son peuple qui est très croyant. Ils vivent dans la peur mais à l’intérieur de cette peur, ils trouvent une certaine joie. Le plus gros problème qu’il y a là-bas, c’est la grande corruption qui y règne. Quand j’y étais en 2012, je voyais déjà ce qui allait arriver et ce qui allait suivre. Avec l’expérience que j’ai, j’ai travaillé avec de nombreuses coalition forces dans plusieurs pays et tous les moments que j’ai passés dans les guerres me font voir la vie sous un angle différent. Avec tout ce que j’ai vécu, quand j’ai vu les conditions de vie de tout un peuple en Afghanistan, je me sens très concerné par la cause chagossienne et aussi par tout ce qui se dit autour d’Agalega. Je suis aussi troublé par une question. Comme l’armée savait qu’elle allait quitter le pays, pourquoi les habitants n’ont pas été évacués avant ? Ce n’est pas de leur faute si leur pays est en guerre. Avant, le pays était normal. C’est la guerre qui a apporté une instabilité. Pour moi, l’Afghanistan devrait être dirigé par un Afghani, pas par un étranger. L’éducation, l’université ou encore les droits des femmes sont des plus pour le pays et pour moi, cela devrait perdurer. L’accès à l’éducation pour tous est primordial. Il faut que les enfants aient accès à l’école, à l’éducation...»

 

Ce que je fais maintenant : «Depuis que j’ai fait l’armée, je n’ai pas look back. J’ai eu les knowledges que je voulais. Aujourd’hui, je fais des sessions d’enseignement sur la protection, comme le jiu-jitsu. Il s’agit d’aider à développer les survival skills. L’année prochaine, on fera une plateforme qui accueillera même des Mauriciens de l’étranger et où les savoirs pourront être partagés. J’ai même des amis de la Légion étrangère qui viendront me donner un coup de main.»

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