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Par Elodie Dalloo
1 février 2021 14:54
Sa peine est immense, insurmontable. La vie lui semble d’une cruauté insoutenable. Cela fait un peu plus de deux ans que Khushboo Gobin a l’impression de vivre un cauchemar éveillé. Avec le décès tragique de son petit Ritesh, qui n’était âgé que de 11 ans, elle a vu s’écrouler ses espoirs, ses projets d’avenir, ses rêves. Le lundi 25 janvier, Sachin Tetree, le meurtrier de son fils, a été condamné à perpétuité à l’unanimité par les jurés en Cour d’assises pour le meurtre prémédité du garçon. Toutefois, cette sentence, prononcée par le juge Luchmyparsad Aujayeb, n’a en rien apaisé la profonde souffrance de la mère de la victime ainsi que celle de toute la famille.
«Ces deux dernières années ont été dures et douloureuses. Nous les avons passées dans la tristesse», confie Khushboo, le coeur lourd. C’est en octobre 2018 qu’elle a vécu l’épreuve la plus difficile pour un parent : perdre un enfant. Mais ce qui rend sa souffrance encore plus grande, c’est la manière injuste et cruelle dont celui-ci a quitté ce monde. À l’époque, Sachin Tetree – un «ami» de la famille –, alors âgé de 37 ans, avait égorgé le garçon avec un cutter sous les yeux de sa petite soeur de 9 ans. Au cours d’un interrogatoire filmé après son arrestation, le trentenaire avait déclaré qu’il s’était vengé de Ritesh à cause d’une dispute survenue entre ce dernier et son fils à l’école, deux ans plus tôt. Il a quand même plaidé non-coupable dans cette affaire. Mais outre ses confessions, l’arme du crime récupérée sur le lieu du drame et des traces du sang de la victime découvertes sur un rocher dans le jardin de sa mère, à Gros-Cailloux, n’ont laissé aucun doute sur sa culpabilité.
Ce procès, souligne Khushboo Gobin, n’a fait que retourner le couteau dans la plaie encore béante dans son coeur. «Lorsque sa sentence a été prononcée, Sachin Tetree m’a regardé droit dans les yeux pour me demander pardon mais je suis incapable de lui pardonner. Ses excuses ne me ramèneront jamais mon enfant», lâche-t-elle, en colère. Si elle se dit légèrement soulagée que le meurtrier de son fils passera le restant de ses jours derrière les barreaux, elle ne cache pas sa rancoeur. «Pou perdi, monn fini perdi meme. Je suis consciente qu’il a écopé de la peine la plus sévère qui soit, mais il est toujours en vie alors que mon fils est six pieds sous terre.» Sa rage est encore plus grande quand elle repense au fait qu’elle a ouvert ses portes dans le passé à celui qui allait ensuite lui enlever son enfant. «Il faisait presque partie de la famille. Nous lui faisions confiance. Nous lui avons même donné à manger lorsque ses proches n’avaient pas de quoi se nourrir. Il n’a eu aucune pitié, aucune reconnaissance pour ce que nous avons fait. Dan lasiet li finn manze-la, ladan mem li finn fer malang.»
Depuis la tragédie, le temps s’est comme arrêté pour Kushboo et sa famille. «Nous avons la sensation de ne plus vivre. Nous ne célébrons plus aucune fête, plus aucun anniversaire. Nous n’avons plus le coeur à tout cela. À chaque célébration, nous avons encore plus l’impression qu’il nous manque une partie de nous.» Tout ce qu’ils peuvent faire dans ces cas-là, dit-elle, c’est de se rendre au cimetière pour déposer des fleurs sur la tombe de celui qui faisait autrefois leur bonheur. Pas une journée ne passe sans qu’elle ne s’imagine ce qu’aurait été sa vie si Ritesh était toujours de ce monde. «Il aurait célébré ses 14 ans cette année et aurait été au collège. Il rêvait de devenir policier. Il m’avait toujours dit qu’il voulait avoir de bons résultats pour pouvoir travailler et m’aider financièrement. Je suis convaincue qu’il nous aurait rendus fiers», lâche-t-elle, un brin nostalgique.
À son immense chagrin s’ajoute la douleur de voir sa fille Aisha*, témoin du meurtre de son frère, souffrir en silence. Cette tragédie a laissé l’enfant, aujourd’hui âgée de 11 ans, avec des séquelles physiques et psychologiques. «Sa zour-la, missie-la ti tap li enn kalot. Li ti tonb lor so latet li ti gagn enn boss. Ziska ler li ankor gagn douler latet.» Mais ce qui lui fait encore plus mal, estime Khushboo Gobin, c’est d’avoir perdu son frère. «Ils ont grandi ensemble, ils jouaient ensemble, ils faisaient tout ensemble. Parfois, elle va derrière la maison et regarde vers l’endroit où a eu lieu le meurtre. Visiblement, elle est encore très traumatisée mais elle ne se confie pas à moi. Elle ne revient jamais sur ce qui s’est passé ce soir-là et est devenue agressive. Par moment, je la questionne, je lui demande si elle pense toujours à Ritesh mais elle ne répond pas. Je vois clairement qu’elle souffre, surtout les soirs où je la vois tenir la photo de son frère pour s’endormir.» Aisha est toujours suivie par un psychologue.
Même si cette affaire a été bouclée et que le tribunal a rendu son verdict, les interrogations de Khushboo sont encore multiples. Elle se demande, par exemple : «Est-ce à Ritesh que Sachin Tetree voulait s’en prendre ce soir-là ou avait-il de mauvaises intentions envers ma fille ? S’il voulait se venger de mon fils, pourquoi a-t-il aussi demandé à Aisha de venir avec lui à la boutique ?» Elle ignore si elle obtiendra un jour des réponses à toutes ces questions qu’elle se pose. Mais pour l’heure, elle ne peut qu’essayer de faire son difficile deuil, d’accepter ce qu’elle ne pourra pas changer et de survivre comme elle peut dans ce nouveau monde d’où son enfant tant aimé est maintenant absent.
(*prénom modifié)
- Reconnu coupable par la majorité des jurés pour le meurtre prémédité de sa belle-fille Stacy Henrisson, Jayraj Sookur avait été condamné par le juge Benjamin Marie-Joseph à perpétuité, équivalent à 60 ans d’emprisonnement, en Cour d’assises. Cette affaire, qui remonte à mai 2012, avait pour toile de fond une histoire d’héritage. Le corps sans vie de l’adolescente de 16 ans avait été retrouvé dans un état de décomposition avancé dans un sac en plastique, à Plaine-Champagne, quelques jours après sa disparition. En avril 2020, Jayraj Sookur est décédé en prison suite à des problèmes de santé.
- En 2018, Naseeruddin Tengur est resté impassible est Cour d’assises lorsque sa sentence a été prononcée. Il a été condamné à la prison à vie, reconnu coupable du meurtre de sa tante Khairoonessa Tengur, âgée de 58 ans, en décembre 2008. Il avait plaidé coupable lors de ce procès. Durant la même année, l’accusé avait également violé et brûlé vive Marie Lourdes Collet avec l’aide de deux complices. Il a ainsi écopé de la peine maximale.
La sentence qui est tombée à l’issue du procès intenté à Sachin Tetree, le lundi 25 janvier, est pour elle une libération, un soulagement. Pour cause, Reshmi Sumbhoo, plus connue sous le nom d’Anjali, sait désormais qu’elle n’aura plus affaire à celui qui a fait de sa vie un enfer pendant tellement longtemps. Ce n’est qu'après l’arrestation de celui-ci, en octobre 2018, qu’elle est sortie de son mutisme et a raconté son calvaire de femme battue qui lui a laissé des séquelles physiques et morales.
«Peu avant son arrestation, il m’avait chassée de la maison. Je l’avais dénoncé pour violence domestique avant d’enlever ma plainte. Une voisine m’avait hébergée», raconte-t-elle. Bien que témoin de ses accès de colère et de son mauvais caractère pendant plusieurs années, elle n’avait jamais pensé qu’il était capable de tuer quelqu’un. «Cela m’avait choquée d’apprendre qu’il avait pu s’en prendre à un enfant, d’autant qu’il est lui-même père de famille. Nous étions pourtant en bons termes avec la famille Gobin malgré les différends qui avaient opposé son fils et Ritesh par le passé. Comment a-t-il pu faire une chose pareille ? S’il a commis un crime, il est clair qu’il doit payer. Je suis tout à fait d’accord avec cette sentence. Je compatis à la douleur des proches du petit garçon. Ils ne méritaient pas de le perdre dans de telles circonstances.»
Elle n’a plus vu Sachin Tetree depuis qu’il a été placé en détention. «Je ne lui ai pas rendu visite une seule fois. Il n’a pas, non plus, donné mon nom comme personne autorisée à venir le voir car il me reproche encore de l’avoir dénoncé pour violence conjugale.» D’ailleurs, garder des liens avec son bourreau ne fait pas partie de ses projets. «Il a commis une erreur, il est en train de payer pour cela et je n’ai pas l’intention de me laisser démoraliser parce qu’il n’est plus là. J’ai toujours essayé de le mettre sur le droit chemin mais il ne m’a jamais écoutée. S’il en est là aujourd’hui, il est le seul à être blâmé.»
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