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Le monde syndical en deuil : Rashid Imrith, une vie d’engagements

26 juillet 2022

Rashid Imrith, ici avec sa mère et ses frères et sœurs, dont Rashida au centre.

«Les travailleurs sont inquiets. C’est important de développer un effective communication mechanism entre les citoyens et nos dirigeants pour que la voix des citoyens soit entendue. Plus on tarde à le faire, pli tempo-la pou kontign soufle...» C’est avec ces mots, entre autres, que le syndicaliste Rashid Imrith, président de la All Employees Confederation et de la Fédération des syndicats du secteur public, nous transmettait ses voeux pour la classe des travailleurs lorsque nous l’avions sollicité, le 30 avril, pour un article dans le cadre de la fête du Travail. Un jour plus tard, soit le dimanche 1er mai, c’est aux côtés d’Ashok Subron qu’il animait son dernier rassemblement pour la fête des travailleurs.

 

Car ce syndicaliste dévoué et respecté de tous, qui avait le social chevillé au corps et qui comptait plus d’une trentaine d’années dans le milieu syndical, à faire entendre sa voix sur des causes qui lui semblaient justes, allant jusqu’à entamer des grèves de la faim pour faire avancer certains dossiers, est décédé le mercredi 20 juillet, à l’âge de 65 ans. Ses funérailles ont eu lieu le même jour, dans l’après-midi.

 

Ceux qui ont cheminé avec lui soulignent qu’il s’est accroché jusqu’au bout et tenait tête au cancer qui le rongeait. Et il y a deux mois encore, bien que la maladie l’affaiblissait, Rashid Imrith s’était montré disponible pour répondre à nos questions, comme souvent d’ailleurs, lui qui ne refusait jamais une sollicitation lorsqu’on faisait appel à lui.

 

Toujours d’attaque lorsqu’il s’agissait de défendre les droits des travailleurs,  en particulier des fonctionnaires, surtout concernant le rapport du Pay Research Bureau, il était reconnu comme étant un fin négociateur qui a mené maintes batailles aux côtés de ses pairs et son nom est à jamais associé à des événements-phares de la lutte syndicale ces dernières années, comme les contestations autour de la loi régissant la Mauritius Revenue Authority (MRA), l’épisode avec le rapport Donald Chesworth, le paiement de trois increments à tous les fonctionnaires du pays ou encore le réajustement du salaire minimum,  entre autres négociations et revendications.

 

Admiration

 

Sa disparition marque ainsi tous ceux qui l’ont côtoyé et qui ont suivi son engagement au fil des années. D’ailleurs, les hommages se sont enchaînés dans les médias, sur les ondes ou encore sur les réseaux sociaux, depuis que la triste nouvelle est tombée. Si le syndicaliste qu’il était laisse une empreinte indélébile dans le monde du travail, Rashid Imrith laisse aussi l’image d’un père aimant, «très proche» de sa fille Aliya qu’il considérait comme son «diamant», et d’un époux très attentionné pour Zeenat avec qui il était marié depuis 1996 et qui a été, au fil des années écoulées, témoin de tous ses combats.

 

Lors d’une interview en 2004, Zeenat Imrith nous racontait, à travers une anecdote autour d’un mariage auquel sa famille était invitée, les contraintes qu’imposait l’engagement syndical de son époux. «Rashid n’a eu que le temps de venir prendre notre fille et moi pour nous déposer à la réception avant d’aller rejoindre ses amis syndicalistes et les fonctionnaires pour la veillée syndicale», avait partagé Zeenat Imrith avec nous.

 

Issu d’une famille de six enfants, le syndicaliste, qui est né le 12 novembre 1956, a toujours eu une force de caractère qui forçait l’admiration. Selon ses proches, il laisse également derrière lui une belle leçon de vie, lui qui n’a jamais cessé de se battre pour les autres. «On a grandi dans une famille modeste et quand Rashid étudiait au collège New Eton – il a fréquenté l’école primaire de Beau Séjour –, il travaillait en même temps comme vendeur de journaux. Il se réveillait à 4 heures du matin pour cela. Puis, il allait à ses cours et l’après-midi, il retournait à nouveau vendre ses journaux. C’est l’image qu’il nous a toujours montré. Depuis très jeune, il était un fonceur, même si on n’était pas riches (Ndlr : leur père était charpentier)», nous raconte Rashida, la soeur du défunt.

 

Dans une interview accordée à l’époque à 5-Plus dimanche, Rashid Imrith était lui-même revenu sur cette étape de sa vie. «À l’âge de 12 ans, je vendais des journaux tous les jours et je gagnais un demi-sou par journal. Je vendais aussi des billets de loterie pour pouvoir aider mes parents à payer les frais de scolarité», nous avait-il confié.

 

Tous, dans sa famille, avaient un profond respect pour lui. «Nous étions donc, jusqu’avant le départ de Rashid, à six : trois garçons et trois filles. Rashid était le cadet. Mais pour nous tous, il incarnait le rôle du papa. Il était comme un père pour nous. Il était toujours là pour nous écouter, pour nous conseiller. Tou advise nou ti bizin, nou pas par li. Peu importe les situations, qu’on soit en difficulté ou si on avait tout simplement besoin d’un avis, on se tournait vers Rashid et on pouvait à chaque fois être sûrs qu’il allait nous éclairer et nous dire quoi faire. Pour nous, il était notre mentor, un exemple à suivre. Son départ est une grande perte pour nous, ses frères et soeurs. Il y a toujours eu une entente cordiale entre nous et tout cela était possible grâce à Rashid. C’était un rassembleur», poursuit Rashida.

 

Selon elle, son frère lui a appris que se mettre au service des autres apporte une grande satisfaction. «Je suis très fière de ce qu’il était et de ce qu’il a accompli. C’est une grande perte pour la classe des travailleurs», poursuit Rashida. Durant les années écoulées, elle a vu son frère – qui a été tour à tour charpentier, machiniste, enseignant au collège Eden, Clerical Officer au ministère de l’Agriculture et puis Higher Executive Officer au sein du même département – se construire avec tous ses engagements et se nourrir de ses victoires et de ses échecs. «Quand il a commencé dans le syndicalisme, il était un simple membre. Il avait peut-être 26 ans. Cela fait plus d’une trentaine d’années de sa vie qu’il a consacré à ce monde», poursuit Rashida.

 

Rashid Imrith a notamment officié comme trésorier à la Government General Services Union (GGSU) en 1997 et en est devenu le président en 1983. Il a aussi été président de la Fédération des syndicats du service civil (FSSC) durant six ans. «En tant que syndicaliste, mon frère était très respecté. Tous ses combats comptent mais je me souviens surtout de la bataille qu’il a livrée pour les Cleaners qui touchaient un salaire de Rs 1 200 avant que cela ne soit revu. J’habite en face d’une école primaire et je peux vous dire que ces personnes sont très reconnaissantes pour la contribution que mon frère a amené pour que leur base salariale soit revue. Dès que ces personnes ont su pour l’état de santé de mon frère, j’ai eu de nombreux témoignages de soutien et cela venant de gens de toutes les communautés. Rashid se battait pour tout le monde», ajoute Rashida.

 

Se soucier du bien-être des autres était, selon Rashida, une grande préoccupation pour son frère. Elle se souviendra, dit-elle, toute sa vie de la surprise que ce dernier lui a organisée cette année à l’occasion de son anniversaire. «Il avait un grand coeur et cette année encore, pour la fête Eid, j’en ai eu la preuve. Je fêtais alors mes 60 ans. C’était le 3 mai. Alors qu’il se battait déjà depuis quelque temps contre la maladie, Rashid, fidèle à lui-même, pensait aux autres avant de penser à lui. Il a pensé à moi et voulait me faire plaisir à travers une surprise. Je n’ai jamais vraiment célébré un anniversaire. Il avait téléphoné à mes enfants et s’était arrangé avec eux. Il s’était ainsi occupé de tout et avait lui-même préparé le biryani. Il s’en chargeait à chaque fois et il le faisait vraiment bien. Il cuisinait, il servait tout le monde et, par la suite, il faisait lui-même la vaisselle. C’était une règle à laquelle Rashid ne dérogeait jamais», nous raconte Rashida, émue.

 

Elle se rappelle de chaque détail de ce jour de fête : «Ce jour-là, donc, mon fils m’avait dit qu’on allait faire un tour chez Mamou Rashid. On est donc partis et une fois là-bas, j’ai pu constater que Rashid avait déjà tout préparé. Mon frère a toujours été un fighter. Comme il l'a été dans sa position de syndicaliste, il a aussi été un fighter contre son cancer. Il se battait et il ne nous montrait pas si cela l’affectait ou pas. Il ne voulait pas montrer qu’il était malade. On le savait, certes, mais lui se montrait fort vis-à-vis de nous tous, surtout pour notre mère Kayroon qui a 83 ans (Ndlr : leur père Issack est décédé il y a sept ans). Il a été courageux jusqu’au bout. Je n’oublierai jamais ce moment passé avec lui. C’est peu après ce jour que son état a commencé à se détériorer, entre hospitalisations et autres. Trois semaines avant que son état ne s’aggrave, il était toujours en contact avec sa secrétaire. Cela traduit parfaitement l’amour et la dévotion qu’il avait pour son engagement.»

 

Rashida est apaisée par tous les messages de sympathie qui honorent son frère. «Le regret qu’on a, c’est qu’au moment où il aurait dû se reposer après s’être autant investi durant toute sa vie, voilà qu’il a été rejoindre son créateur.  Peut-être qu’il mènera un autre combat là-bas aussi», dit-elle, de l’émotion dans la voix.

 


 

Ces compagnons d’armes lui rendent un vibrant hommage...

 

«Un battant», «un soldat», «un homme de principes et de valeurs»... Les hommages pleuvent depuis la nouvelle du décès de Rashid Imrith. Tous soulignent l’homme engagé et de conviction qu’il était. Sollicité pour nous parler de celui qui a été un de ses compagnons d’armes, le syndicaliste Radhakrishna Sadien nous a fait la déclaration suivante : «On a mené beaucoup de luttes ensemble, surtout dans la fonction publique. Toolsyraj Benydin, Rashid Imrith et moi, on était un peu comme ce trio dans le service civil et on prenait des positions fermes pour défendre certaines causes et les conditions de travail dans ce secteur. On a connu des hauts et des bas ensemble. On a fait un bon bout de chemin ensemble et aujourd’hui, quand on regarde la fonction publique, il y a définitivement la contribution des syndicats dans son avancement et Rashid Imrith y a laissé son empreinte. C’est un homme qui avait des principes et des valeurs, et il s’est battu pour cela.»

 

Toolsyraj Benydin partage aussi avec nous ses souvenirs : «Le plus grand souvenir que je garde de Rashid Imrith, c’est la lutte qu’on a menée ensemble quand le rapport du PRB avait été rejeté en 1982. Nou ti amenn enn konba pou ki ena enn PRB ki akseptab. Ce n’était pas facile. An 87, rapor pa ti aksepte, li ti rezete ek nou ti fer bann gran manifestasion. Mo rapel bann manifestasion ki nou ti fer devan lotel gouvernman avek bann fonksioner ki ti desann lor sime. Malgre prezans riots units, nou pann per, nounn fonse ek gouvernman inn bizin kapitule ek lerla inn bizin amenn Donald Chesworth pou koriz rapor. Lerla rapor ti sorti an 88. Rashid ti enn konbatan kinn les so lamprint dan fonksion piblik. Nou ti amenn osi enn gran komba kan tine kre MRA. Nou ti menn enn gran konba pou prezerv bann lamplwa bann amplwaye a lepok. Ce sont de grands souvenirs. On avait des conflits quelques fois mais on était aussi de grands amis. On était complémentaires. Lui et moi, on a été influencés par le militantisme sur le terrain. Nou pa ti res dan biro. Pou nou, la lit ti lor terin... Rashid Imrith inn amenn enn rol dan syndikalism militantism ki nounn amene.»

 

Sur sa page Facebook, Ashok Subron a également salué le travail accompli par Rashid Imrith qu’il a qualifié de soldat. «Mersi kamarad Rashid pou sa enorm kontribision ki ou finn amene lanwit lizour pou dinite ek lavansman klas travayer dan nou sosyete. Ou konbativite pou kontign gid nou ek ekler nou bann mouvman pou sa Repiblik Moris kot fer bon viv-la», a-t-il écrit.

 


 

 

Il a dit...

 

Pour commenter sur une actualité ou pour intervenir dans une de nos rubriques, Rashid Imrith n’a jamais refusé une seule de nos sollicitations. Nous publions ci-dessous quelques-unes des déclarations qu’il nous a faites au fil des années pendant ses différentes batailles. Nous présentons nos sincères condoléances à toute sa famille.

 

«Pour nous, minimum salarial équivaut à minimum vital, c’est-à-dire un salaire qui empêche les Mauriciens de vivre en dessous du seuil de pauvreté.»

 

«C’est important pour les syndicalistes de communiquer ; les empêcher de le faire est une entorse à la démocratie.»

 

«Je mène une existence simple et je tente d’économiser pour la famille, au cas où.»

 

«J’ai vécu beaucoup de mouvements de grève mais celui de la MRA me ramène dans les années 70. C’est la plus belle victoire que j’ai connue en tant que syndicaliste. Savez-vous pourquoi ? Notre cause était juste.»

 

Lorsqu’il avait entamé une grève de la faim pour la publication du rapport Errors & Omissions du Pay Research Bureau (PRB), en 2013 : «Je continuerai jusqu’à ce que le rapport soit publié ou jusqu’à ce que je meure. Whichever comes first. Je donnerai ma vie s’il le faut.»

 


 

Pravind Jugnauth : «Rashid finn parmi bann pli gran defanser klas travayer de nou letan»

 

C’est également sur sa page Facebook que le Premier ministre Pravind Jugnauth a rendu hommage à Rashid Imrith : «C’est avec boucoup tristesse ki mo ine apprane décès camarade Rashid Imrith. Rashid fine parmi bane plis grand defenseur classe travayer de nou le temps. Ene syndicaliste courageux et tres respecté dan la fonction publique et aussi dans le monde du travail en général. Mo présente mo sincere condoléance a so famille ek a so bane collaborateur.»

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