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22 juin 2015 00:56
Il s’est retrouvé sous le feu des projecteurs. Et pas pour de bonnes raisons. Le nom du Shree Jagad Guru Devanand Saraswati Chinnmasta Ji, plus connu comme Devanand Mannick, est depuis une semaine sur toutes les lèvres. Soit depuis que quatre de ses adeptes ont été retrouvés morts au kalimaye Chinnamastha Maha Kali Sthann, à Belle-Rive, où il tient ses séances de prière et de méditation. De nombreuses voix se sont élevées pour critiquer sa façon de prier la déesse Kali et l’assimilent à de la sorcellerie. Mais lui assure n’avoir rien à se reprocher.
Quand nous l’avons rencontré dans le temple de Belle-Rive, vendredi, le guru nous a d’emblée expliqué qu’il propose de la méditation et des prières intenses à l’intention de la déesse Kali dans le but, dit-il, de réveiller les chakras et de permettre au corps d’une personne d’éliminer le stress accumulé pour retrouver la joie de vivre. Le but est aussi, poursuit-il, d’aider la personne à faire face à ses difficultés. «Auparavant, j’organisais uniquement des marches sur le feu à Petite-Retraite et chez des particuliers qui voulaient avoir la guérison. À la mort de ma première épouse Bina en 1994, j’ai décidé de me consacrer davantage à mes pratiques religieuses. J’invoque plus particulièrement Kali et ses forces suivant le système dass maha vedya, qui est une des dix formes de la déesse», souligne Devanand Mannick.
Les pratiques du guru commencent à faire polémique lorsqu’il se met à enseigner le tantrisme qui est une expérience directe avec une divinité, à travers la méditation et la prière. Au fil des années, il développe aussi plusieurs méthodes qu’il appelle des power prayers, notamment la marche dans l’eau bouillante, sur des pointes de sabres, sur une table cloutée ou encore dormir sur une table remplie de tridents et la levée de lait bouillant. Pour certains, ces rituels autour de la déesse Kali s’apparentent à de la sorcellerie. Voilà pourquoi un dirigeant de la Mauritius Sanatan Darma Temple Federation (MSDTF), qui désire garder l’anonymat, nous explique qu’il faut «zwe lwin ar li», car Devanand Mannick et ses disciples «agissent comme une secte». Somduth Dulthumun, président de la MSDTF, souligne, pour sa part, que son organisme ne reconnaît pas Devanand Mannick comme chef spirituel, ni le kalimaye où il officie.
Le principal concerné, lui, réfute catégoriquement les allégations autour de ses pratiques : «Je ne fais pas de la sorcellerie. Mes actions sont trop souvent mal interprétées. Je suis uniquement l’enseignement suprême de mon maître, le Maha Rishi Mahesh Jogi. Les gens disent du mal de moi, car ma franchise dérange. Je ne suis pas affilié à la MSDTF ou encore à la Mauritius Tamil Temple Federation, car mes enseignements sont supérieurs.»
C’est la raison pour laquelle cet habitant de la rue Lees, à Curepipe, a mis sur pied sa propre fédération, la Maha Kali Shakti Revival Federation, qui a pour but de regrouper tous ceux qui font des séances de prière dans les kalimayes du pays. Selon ses dires, beaucoup d’entre eux sont mis de côté, car leurs prières sont souvent mal interprétées et associées à des sacrifices sanguins uniquement. Ce qui est une autre pratique décriée par ses détracteurs : les sacrifices d’animaux qu’il fait au kalimaye qui existe, dit-il, depuis 120 ans et qu’il occupe depuis 30 ans et a agrandi au fil du temps avec l’aide de ses dévots.
Devanand Mannick, qui est aussi président du Shakti Revival Movement, répond qu’il fait cela uniquement à la demande des dévots en quête de guérison. «Kali est notre mère suprême. Les rituels autour de cette déesse sont souvent associés à la sorcellerie. Or, la magie noire a pour but de faire du mal. Mais moi, ce que je fais, c’est tout le contraire avec des prières collectives et de la méditation en groupe. De plus, je suis végétarien et très calme», souligne le guru.
«J’accepte les critiques»
Depuis le drame de la semaine dernière, l’ancien habitant de Bois d’Oiseaux à Plaine-Magnien se dit très stressé et tendu. Il est allé à la rencontre des rescapés pour les réconforter moralement et spirituellement. «Ce sont mes disciples. J’accepte les critiques. Je n’ai rien à me reprocher sur ce drame, sauf le fait que je n’ai rien pu faire pour les sauver. C’est un accident. On ne pouvait pas le prédire», s’insurge Devanand Mannick qui impute le drame au générateur qui servait à réchauffer le kalimaye (voir hors-texte). Il dit ne pas comprendre les réactions négatives et les allégations de certaines personnes. «Dimun bizin sanz mantalite. Zot bizin get bien ki zot dir. Sa kat lamor la enn sok terib pu mwa. Se pa enn swisid kolektif kuma ena dimun pe rod fer krwar. Isi la se enn aksidan kinn arive», précise-t-il.
Mais l’enquête policière suit son cours et n’écarte pas la thèse d’un suicide collectif. En ce sens, l’influence qu’avait Devanand Mannick sur ses disciples intéresse fortement la police. Des gens dans l’entourage de sa première épouse allèguent que celle-ci se serait donnée la mort pour ne plus subir son emprise. Ce qui n’aide pas sa réputation. Sa première femme Bina est décédée en janvier 1994 après qu’elle aurait fait une tentative de suicide par immolation. Elle est morte une semaine plus tard.
Le jour du drame, elle s’était aspergée d’un liquide inflammable sous les yeux de son époux avant de mettre le feu à ses vêtements. «Mo ti panse li pe badine akoz li ti pe soufer buku ek so bann problem psoriasis (NdlR : une maladie inflammatoire de la peau)», explique Devanand Mannick. À l’époque, il n’a pas été inquiété par la police, car ses explications concernant le suicide de son épouse avaient convaincu les enquêteurs. De son premier mariage, il a une fille prénommée Pouspam qui a maintenant 26 ans. Quelques années après le drame, en 1999, le guru se remarie à Gundaree qui lui donne un fils quelque temps après : Bhavishya, plus connu comme Bhavish, aujourd’hui âgé de 17 ans.
En 2011, le guru fait à nouveau parler de lui. Des personnes l’accusent une nouvelle fois de pratiquer la sorcellerie parce qu’il a placé une statue de la déesse Kali sur la tombe de sa première femme au cimetière de Bigarra, à Curepipe. C’était parce que cette dernière vénérait Kali, explique-t-il aujourd’hui, et non pour faire de la sorcellerie. N’empêche, l’affaire avait fait couler beaucoup d’encre à l’époque. La Voice of Hindu avait pris sa défense pendant un temps avant de prendre ses distances par rapport aux multiples controverses entourant l’homme.
Devanand Mannick, qui se dit aussi écrivain – il a déjà écrit cinq livres, préscise-t-il –, prépare d’ailleurs le deuxième volume de son livre sur le Tantric Vidya Enveil qui sortira bientôt. Dans ce nouveau livre, il parle notamment des problèmes qu’il eu en 2011 à cause de cette affaire de sorcellerie au cimetière Bigarra. C’est son père qui corrige ses textes, indique-t-il.
En 2013, le guru connaît une nouvelle période trouble. Il est arrêté pour viol en septembre de cette année-là. Le procès suit toujours son cours devant la justice. Lui parle de coup monté. Il raconte que les parents de la présumée victime qui entretenait de bonnes relations avec lui l’avaient contacté pour ramener leur fille, qui mènerait une vie de débauche, à la raison. Cette dernière aurait fait de fausses accusations contre Devanand Mannick pour se venger. C’est du moins ce que lui affirme.
Le religieux a aussi fait parler de lui sur le plan politique. Il a participé à la partielle au no 8 en 2008 et aux élections générales de l’année dernière dans un but précis, souligne-t-il : promouvoir les enseignements de son maître par le biais de son parti, le Natural Law Party, dont il est le fondateur : «Des gens doivent prendre conscience d’une chose ; ils ne doivent plus se laisser embêter par les assoiffés du pouvoir.»
Lors des dernières législatives, il avait organisé trois Shakti Maha Kali Pooja, des grandes séances de prières, notamment à Mahébourg et Lallmatie, pour, dit-il, promouvoir la paix sociale dans le pays. Devanand Mannick assure que plusieurs personnalités politiques avaient répondu présent à son invitation. Ce qui a fait dire à ses détracteurs qu’il bénéficiait de la protection des politiques.
Mais lui nie ce fait : «Si j’étais un protégé des politiques, j’aurais eu des subsides du gouvernement. J’en profite d’ailleurs pour demander aux autorités d’accélérer les démarches pour que le kalimaye soit pourvu en eau et en électricité. Lor la li bon ou cone ki nu pa impoz oken fee se bane devot ki fer don kan zot gagne guerison. Se nu mem ki contribue pu renove kalimaye la.»
Quoi qu’il en soit, si lui affirme qu’il n’a rien à se reprocher, ses détracteurs n’en finissent pas de décrier ses pratiques jugées douteuses et le voile d’ombre qui semble recouvrir plusieurs épisodes de sa vie.
Fan de Bob Marley
Il a découvert le roi du reggae lors de ses études intensives de six mois en Rhodésie, devenu aujourd’hui le Zimbabwe. Il a pris des cours en méditation transcendantale délivrés par le Maha Rishi Mahesh Jogi. «Notre maître nous faisait méditer sur sa musique», dit-il. Aujourd’hui, il se présente comme masseur et professeur de méditation. Il est devenu masseur après avoir suivi plusieurs cours, dit-il.
Il précise qu’il a également des diplômes en astrologie, en naturopathie et en médecine ayurvédique. Devanand Mannick est également maître en arts martiaux. Il pratique aussi, dit-il, le taoïste wushu, le tai-chi et le Ninpo, plus connu comme le ninjutsu qui est l’art des ninjas. Il dit aussi avoir pris des cours du maître Chee Soo de l’Angleterre par le biais de son disciple Bhisma Teeluck qui y vit.
Il a également appris le calaripayat, un ancien art martial qui date de plus de 1 000 ans, lors d’un passage au Kerala en Inde. Il donnait des cours au Café de Chine, à Rose-Hill, au collège Renaissance à Curepipe, au collège Modern à Flacq et dans un centre à Cité Barkly. Il l’a fait pendant 10 ans avant de mettre fin à ses enseignements en arts martiaux après la mort de sa première épouse.
Une semaine après le drame qui a coûté la vie à quatre de ses adeptes, le guru Devanand Mannick revient sur cette soirée fatidique. En ce jeudi 11 juin, l’homme de 59 ans avait convenu d’une séance de répétition de prière et de méditation en prélude d’un Adi Maha Kali Shakti Cavadee qui sera célébré le 12 juillet. Ce soir-là, les prières avaient débuté vers 19h30. Après environ deux heures, le guru a eu des palpitations, puis des vertiges, raconte-t-il. Il a alors arrêté la séance de danse à laquelle se livraient ses disciples pour leur demander de se reposer. Tous se sont assis à même le sol à l’intérieur du kalimaye avant de perdre connaissance.
Le guru affirme qu’il a repris connaissance vers 10 heures ou 11 heures, le lendemain. C’est la fraîcheur qui l’a réveillé, dit-il : «Je voulais bouger, mais je n’y arrivais pas, car j’avais des douleurs atroces. Je pensais que les autres dormaient aussi autour de moi. Je me suis dirigé vers Girish Hemraze à quatre pattes. Le portable de quelqu’un sonnait sans cesse. À un moment, une personne a décroché. C’était Sanjay Seebarrun, un ami et disciple, qui appelait. Sa femme Sandhya était avec nous. Il est venu sur place peu après et nous a transportés à l’hôpital. Sur place, j’ai eu un choc terrible en apprenant la mort de mon épouse Gundaree et des trois autres personnes.»
Devanand Mannick fait alors un malaise et est admis à l’unité des soins intensifs de l’hôpital de Flacq. Le lendemain, il signe le formulaire de discharge against medical advice afin de pouvoir assister aux funérailles de son épouse Gundaree. Dans le cadre de l’enquête, la police a identifié Girish Hemraze comme étant celui qui a placé le générateur à l’origine de l’émanation du monoxyde de carbone à l’intérieur du kalimaye. Ce que nie ce dernier. Girish Hemraze est le président de la Chinnamasta Maha Kali Association qui gère le kalimaye Chinnamastha Maha Kali Sthann de Belle-Rive. Devanand Mannick explique, pour sa part, que le générateur se trouvait à l’extérieur, à l’entrée de la seule porte qui donne accès à l’intérieur de la pièce où se tenaient les répétitions. Les autres ouvertures, à savoir des fenêtres, étaient toutes fermées à cause de la température. Il faisait très froid ce soir-là, dit-il, et le kalimaye n’est pas pourvu en électricité ni en eau. Ce qui explique pourquoi les dévots se servaient d’un générateur pour avoir de la lumière. Selon Devanand Mannick, le générateur était très utilisé, car le système de panneau solaire du kalimaye était en panne à cause d’un transformateur qui ne fonctionne plus depuis quelque temps.
Girish Hemraz a participé à une reconstitution des faits hier avec deux autres rescapés. Tous les rescapés ont été aussi interrogés sauf l’un d’entre eux qui le sera bientôt.
Il est convenu que les rescapés du terrible drame de Belle-Rive animent une conférence de presse le lundi 22 juin. Cette rencontre aura lieu à l’hôtel Le Saint George à Port-Louis. Le but est de raconter ce qui s’est réellement passé le soir du drame. Devanand Mannick devrait également être présent à la conférence de presse.
Il était de ceux qui faisaient partie de la séance de méditation au temple de Belle-Rive. Là où quatre personnes sont mortes le vendredi 12 juin. Cet habitant de Camp-Thorel estime toutefois que ce qui s’est passé ce jour-là relève d’un mauvais sort du destin. «On ne faisait rien de mal là-bas. On se rend au temple pour prier», explique Jayraz Beeharry. Il avance qu’il s’était rendu au temple de Belle-Rive la veille du drame pour une séance de méditation. «À notre arrivé, on a prié et, comme à mon habitude, j’ai joué d’un instrument. On n’a rien bu, rien mangé durant toute la soirée. On était 13 personnes dans la salle, les femmes d’un côté et les hommes de l’autre. Puis, la session de méditation a commencé. Et je me suis réveillé le lendemain à 8 heures du matin», précise-t-il. Selon ses dires, à ce moment-là, trois autres personnes étaient debout, mais se trouvaient dans un état somnolent.
«Ils étaient tous affaiblis, y compris moi qui éprouvais des douleurs corporelles. J’ai choisi de quitter le temple et je me suis rendu chez moi pour me reposer. Dans l’après-midi, je suis allé à l’hôpital et c’est là-bas que j’ai appris le décès de mes quatre amis.» Toutefois, en ce qui concerne le générateur qui aurait causé la mort des quatre victimes, notre interlocuteur n’a pas souhaité faire de commentaire.
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