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4 septembre 2017 14:30
En une journée, Atmanan Moorar est passé du statut de propriétaire à celui de locataire. Vêtu d’un t-shirt rouge et d’un pantalon bleu foncé, il erre, telle une âme en peine, en ce samedi 2 septembre, dans sa maison, qu’il a vidée de ses meubles, la veille. Seule une machine à laver traîne dans un coin de ce qui était, il y a quelques jours, sa cuisine. À ses côtés, sa femme, submergée de tristesse, n’a plus de force pour exprimer son désarroi. Abattue, elle reste là, au milieu de sa maison complètement vide alors que les larmes lui montent aux yeux. Car le projet Metro Express est venu chambouler son existence et celle des siens. 21 familles de Barkly, comprenant 32 personnes, sont concernées par ces travaux de démolition.
Le vendredi 1er septembre, les Moorar ont vu débarquer chez eux tout un attirail qui avait pour but de démolir une partie de leur maison : les toilettes, la salle de bains, la cuisine et le salon, qui se trouvent sur le tracé du Metro Express. Mais comme d’autres habitants qui se retrouvent dans la même situation, ils refusent de payer les conséquences des aménagements que requiert ce projet. «On nous a servi un papier le 22 juillet, nous informant qu’une partie de notre maison allait être démolie. Nous avons par la suite rencontré Nando Bodha pour lui faire part de nos doléances. Mais aucune solution n’a été trouvée. Nous ne sommes pas contre le développement mais qu’on nous traite comme des humains», s’indigne Atmanan Moorar qui a dû quitter sa maison avec sa famille dans la panique, par mesure de sécurité.
Toutefois, du côté du ministère des Terres et du logement, la situation est claire. «Les familles de Barkly ont été averties depuis 2014. Les infrastructures qui empiètent sur les terres de l’État seront détruites. De plus, il y a une cellule qui a été mise en place par le ministère des Infrastructures publiques afin de trouver des arrangements», confie un cadre du ministère des Terres et du logement. N’empêche, les familles que nous avons rencontrées affirment qu’elles n’ont été averties que le 22 juillet.
Lorsque vendredi dernier, Atmanan Moorar voit débarquer des policiers à Résidence Barkly, suivis de bulldozers prêts à raser toute infrastructure se trouvant sur le tracé du Metro Express, il tente de riposter, s’oppose de toutes ses forces pour que sa maison ne soit pas détruite. Il n’est pas seul. «C’est grâce aux habitants que ma maison est toujours debout», lâche-t-il, reconnaissant envers ses voisins et autres résidants de la région qui l’ont épaulé. Mais face à la pression, il n’a d’autre choix que d’enlever ses meubles qu’il embarque dans un camion en direction d’un nouveau lieu de résidence.
Il a dû, dans l’urgence, négocier la location d’une maison à Beau-Bassin à Rs 10 000 par mois. Il n’a pas trouvé moins cher en si peu de temps. «Monn sorti proprieter pou vinn lokater», se désole Atmanan qui s’était laissé, dit-il, convaincre par les promesses des leaders du MSM, lors de la dernière campagne électorale, de ne pas aller de l’avant avec le projet de métro. Aujourd’hui, dit-il, il a le sentiment d’avoir été berné par le système. «Sir Anerood Jugnauth avait donné la garantie qu’il n’irait pas de l’avant avec ce projet. Et voilà ce qui se passe maintenant. Ma famille a travaillé pour le changement et maintenant, nous sommes victimes de ce changement.» Comme lui, ses deux frères, dont les maisons se trouvent à côté de la sienne, sont dans la tourmente.
Vipin Moorar nous confie sa peine : «Ils ont démoli la tabagie de mon père. Et détruit son mur d’enceinte. Tandis que moi, je ne sais plus à quel saint me vouer. J’ai un frère qui habite au rez-de-chaussée et moi à l’étage. Il y a un seul accès pour aller à l’étage. Et j’ai été informé que l’escalier sera démoli. Comment vais-je accéder à ma maison ?» Pour lui, la situation dans laquelle il se retrouve est «inacceptable» et témoigne d’une grande irresponsabilité. Mais il y a pire, dit-il.
Car il estime que sa maison risque de céder carrément quand les premiers coups de pelleteuse s’abattront chez son frère. Un peu plus loin, chez Shahin Ruhamatally, 90 ans, la colère monte également. Cela fait 70 ans qu’elle habite dans une petite maison en tôle non loin de Résidence Barkly. Et le 29 août, elle a reçu une lettre du ministère des Terres et du logement la sommant de quitter les lieux le 31 août. Mais elle ne compte pas bouger de chez elle sans un plan de relogement de la part du gouvernement.
«J’habite ici depuis 70 ans. Nous avons reçu cette maison alors que Maurice était sous le régime anglais, en 1945. Mon mari travaillait comme gatekeeperà l’époque», soutient la vieille dame entre tristesse et révolte. Elle n’en démord pas : «Je partirai d’ici quand le gouvernement m’aura trouvé une maison.» Elle affirme, par ailleurs, que son fils a subi des pressions et signé un mémo sur lequel il fait part de l’intention de sa mère de quitter les lieux sous la condition d’avoir une maison de la NHDC dans un délai de cinq mois.
Le samedi 2 septembre, Xavier-Luc Duval, leader de l’opposition, lui a rendu visite ainsi qu’aux autres familles de Résidence Barkly et des abords concernés par ces démolitions pour leur assurer de son soutien. Pour l’heure, la cité reste sous les décombres après les premiers coups de bulldozers qui ont retenti le vendredi 1er septembre. Samedi matin, une pelleteuse enlevait les morceaux de ferrailles et les blocs de béton éparpillés ici et là sur le bitume. Une scène qui a, une fois de plus, plongé des familles entières dans un terrible désarroi.
Il est aux côtés des habitants de Barkly qui nagent en plein cauchemar. Le samedi 2 septembre, Me Kaviraj Bokhoree a accompagné six familles au poste de police de la localité où celles-ci ont fait une déposition contre le traitement qu’elles ont subi de la police durant la démolition partielle de leur bien le vendredi 1er septembre. «Ces habitants ont dénoncé la manière forte de la police. Certains ont été injuriés. C’est inadmissible», explique-t-il. Ces six familles comptent aussi déposer une plainte devant la Commission des Droits de l’homme durant la semaine. Un panel d’avocats a été identifié pour représenter les habitants de Barkly, dont Asad Peeroo, Nawaz Dookhee, Segaren Veeramoondar et Vinesh Boodhoo.
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