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Par Elodie Dalloo
11 juillet 2022 16:32
Lorsqu’il a été arrêté en décembre 2018, David Jolicoeur entrait à peine dans l’âge adulte. Il n’avait pas toujours été un enfant de choeur, avait collectionné les frasques, certes, mais rêvait d’avenir. «Il avait connu la prison auparavant et nous répétait qu’il ne voulait plus y remettre les pieds», avance sa mère Antoinette. Déjà papa de deux petites filles issues d’une première union, il avait perdu sa première compagne et retrouvé le bonheur auprès de Katriana qu’il a épousée en mai 2018. À l’époque, le jeune homme avait des projets plein la tête ; pas seulement pour lui mais aussi pour sa petite famille qui allait bientôt s’agrandir car Katriana allait mettre au monde un petit garçon. Un événement qu’il attendait avec beaucoup d’impatience. Mais avant même la naissance, David a été appréhendé par les limiers de la Criminal Investigation Division (CID) de Terre-Rouge en décembre 2018 dans le cadre du meurtre d’Issah Ramjan, un vigile de 86 ans dont le corps sans vie avait été retrouvé sur son lieu de travail à Riche-Terre. Un véritable coup dur pour sa famille et lui.
Quand ils l’ont arrêté, les officiers ayant conduit l’enquête ne disposaient d’aucune preuve : pas de traces ADN, pas de témoins et aucune image laissant supposer que le jeune homme était sur les lieux ce matin-là. Ils s’étaient uniquement basés sur «les aveux de David Jolicoeur» afin de boucler cette affaire, en affirmant que celui-ci aurait déclaré avoir commis le crime parce qu’il voulait dépouiller la victime. Vu que David Jolicoeur avait déjà un casier judiciaire, il semblait être, pour eux, le coupable idéal. Le fait qu’il avait participé à une reconstitution des faits n’avait fait qu’appuyer leurs dires. Jusqu’à ce qu’une vidéo récemment partagée et démontrant des actes de torture perpétrés sur sa personne à l’époque vienne tout remettre en question. Avec l’aide d’un panel d’avocats, l’accusation provisoire de meurtre qui pesait sur David Jolicoeur a enfin été rayée la semaine dernière mais ce n’est que ce jeudi 7 juillet, soit après presque quatre ans derrière les barreaux, qu’il a recouvré la liberté. «Je me sens soulagé. Je n’aurais jamais pensé être libéré un jour», lâche-t-il, avec beaucoup d’émotion.
C’est avec un immense bonheur que sa mère l’a retrouvé. «Mo extra kontan. Nous pourrons enfin rattraper le temps perdu. Je n’ai pas pu contenir mes larmes de joie. Depi lontan mo ti anvi ser mo garson dan mo lebra. Mwa ki kone par ki monn pase ; mem malad mo ti pe al get li parski mo pou touzour la pou mo zanfan. Si pa ti ena bann Avengers ek Bondie, mo zanfan pa ti pou la. On nous a beaucoup montrés du doigt après son arrestation mais moi, j’ai toujours cru en l’innocence de mon fils.» Après avoir quitté le tribunal accompagné de son fils chéri, ce jeudi, elle a voulu le gâter : «Mo finn amenn li manz enn minn frir. Mo ti anvi amenn li manz enn bon manze parski mo kone parfwa li pa ti ena nanye dan prizon.» Mais son immense bonheur cache tout de même une certaine amertume. «Mo leker ankor fermal. Je suis triste qu’il ait perdu tout ce temps derrière les barreaux. Au début, cela a été compliqué pour son fils de se rapprocher de lui car il ne l’a jamais connu. Cela m’a fait beaucoup de peine mais je sais que petit à petit, ils pourront tisser des liens.»
Ces années derrière les barreaux, accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, ont été un véritable supplice, dit David Jolicoeur. «Peu de temps après mon arrestation, j’avais fait part de ce que j’avais subi à la cour. Je n’ai cessé de clamer mon innocence et j’avais même rencontré les membres de la National Human Rights Commission pour leur faire part de ce dont j’avais été victime, sans résultat. Je vivais avec la peur au ventre, craignant des représailles en prison parce que j’avais entamé ces démarches.» Ses aveux, avance-t-il, lui avaient été arrachés sous la torture. «Après m’avoir arrêté, les policiers m’avaient conduit dans les bois et placé dans une roue pour me torturer avec une torche électrique. Ils m’ont forcé à accepter toute culpabilité pour ce crime car ils avaient besoin d’un coupable. Ce n’est que lorsque j’ai accepté de me laisser faire qu’ils m’ont laissé tranquille. Ils m’avaient même conduit sur les lieux pour m’expliquer ce que je devais dire durant la reconstitution des faits.» Bien des fois, il a failli baisser les bras. «J’étais convaincu que j’allais passer une trentaine d’années en prison. Des pensées négatives m’ont souvent hanté mais grâce à ma famille et au soutien de Donovan Lacharmante, un autre détenu, j’ai tenu bon. Sa garson-la finn krwar dan mwa. Li kouma enn frer pou mwa.»
C’est alors qu’il avait déjà perdu tout espoir d’être un jour innocenté que cette vidéo choquante, parmi tant d’autres, a circulé en mai, à la veille de la fête des Mères. «Au départ, l’apparition de cette vidéo m’avait découragé davantage. Je craignais que la police ou les gardiens de prison ne s’en prennent à moi à nouveau pour me pousser à dissimuler la vérité. J’en avais même perdu l’appétit et je ne dormais pas.» Mais c’est finalement ce qui a amené à sa libération cette semaine. «Kouma mo mama finn repete, se enn vre kado fet mama ki li finn gagne kan sa finn paret.» Désormais, David Jolicoeur compte bien rattraper le temps perdu avec sa famille. «Monn al ek mo frer manz enn dipin griyad. Li pe amenn mwa partou avek li» ; un plaisir simple de la vie dont il redécouvre l’importance aujourd’hui.
Mais son plus grand bonheur est de pouvoir enfin faire la connaissance de son fils de 3 ans, qu’il n’avait jamais rencontré jusqu’ici. «Mo kapav anfin pas inpe letan avek mo garson. Au départ, il était un peu réticent mais petit à petit, nous nous rapprochons. Le jour où j’ai été libéré, je lui ai acheté un ballon et des friandises. Li nepli anvi al ek so mama. Ma fille me réclame, quant à elle, une trottinette», lâche-t-il en riant. Katriana, son épouse, est tout aussi heureuse : «Mo bien kontan. Mo ti pe atann sa moman-la depi lontan. Pour l’heure, je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve mais je compte bien profiter de chaque moment à ses côtés.»
David Jolicoeur ne manque pas de faire part de toute sa reconnaissance vis-à-vis de sa mère. «Elle ne m’a jamais laissé tomber. Li finn tonbe leve pou mwa. Elle était présente à chaque visite et m’a toujours apporté son soutien. Si elle n’avait pas été à mes côtés, je n’aurais probablement pas été là aujourd’hui.» C’est la raison pour laquelle, dit-il plein d’espoir, sa plus grande priorité est à présent de la soulager : «Je vais trouver du travail pour que ma mère puisse enfin se reposer. Mo pou donn li enn koudme pou li fini aranz so lakaz. Pandan trwazan edmi li finn galoup partou. Partou kot monn ale, linn swiv mwa. Mo kontan ki azordi nou tou ansam.» Un moment que savoure aussi Antoinette qui n’a qu’un souhait : «C’est qu’il puisse enfin se stabiliser financièrement pour ses projets d’avenir. Zordi, mo zis anvi ki tou mo bann zanfan res ek mwa, ki zot divan mo lizie pou mo lespri trankil.»
Au coeur de toute cette joie, David Jolicoeur a tout de même de nombreuses interrogations. «Ziska ler, mo ankor anvi kompran kifer la polis inn fer tousala kont mwa.» Comme tous les autres membres de sa famille, il s’interroge : «Combien d’autres innocents sont actuellement derrière les barreaux pour un crime qu’ils n’ont pas commis ?» Il prie également pour la famille Ramjan qui a perdu l’un des siens. «Sa misie-la ousi so lavi konte, li ousi li ena enn fami. Il a perdu la vie dans des circonstances atroces alors qu’il était sorti pour gagner sa vie ; j’espère que le véritable coupable sera finalement arrêté et que cette famille pourra enfin trouver la paix.» Comme lui compte la retrouver peu à peu auprès des siens.
Ils étaient face à la presse ce jeudi 7 juillet, quelques heures après la libération de David Jolicoeur. Les avocats de ce dernier, notamment Mes Sanjeev Teeluckdharry, Rouben Mooroongapillay, Anoup Goodary et Akhil Bissessur, ont expliqué qu'ils ne comptent pas s'arrêter là afin de défendre les victimes de brutalités policières, même si dans le cas de David Jolicoeur, il s'agit déjà d’«une grande victoire». Ils comptent notamment réclamer la radiation des charges provisoires qui pèsent sur Christopher Pierre-Louis, Krishna Seetul, Shah Baz Choomka, entre autres, qui clament tous avoir été torturés par les forces de l'ordre pour faire des aveux. «Ce sont des cas qui nécessitent un special enquiry et des poursuites car nous disposons de preuves.» Suite à l'affaire Jolicoeur, Me Sanjeev Teeluckdharry réclame la révision de la «limitation period» de deux ans dont disposent les victimes de torture pour réclamer des dommages à l’État et au commissaire de police selon le State Proceedings Act et le Public Officers' Protection Act, et de l'étendre à au moins 10 ans «pou ki bann polisie ek fonksioner kapav vinn pli responsab». Il est également d'avis qu'il est temps de mettre sur pied un fonds spécial «afin de compenser les victimes de brutalités policières». Il compte aussi, dit-il, entamer des poursuites à titre personnel contre les policiers impliqués.
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