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19 octobre 2014 01:32
Les chiffres sont alarmants. La Mahébourg Methadone Day Care Clinic accueille plus de 300 patients par jour. C’est l’âge des patients, dit-on, qui inquiète le plus. «Dans le passé, les consommateurs de drogue étaient tous âgés de plus de 30 ans. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les patients de la clinique de Mahébourg ont à peine 25 ans», explique un employé de l’établissement. Des habitants de la localité qui, au départ, étaient tous contre la mise sur pied de cette clinique dans leur quartier, sont très remontés. Blasés par le manque d’intérêt des autorités, ils ont fait appel à Ally Lazer, président de l’Association des travailleurs sociaux de Maurice, pour faire entendre leur voix.
Ce dernier cache très mal sa colère face à cette situation : «Je me suis rendu sur place un lundi. Le constat est accablant. Un groupe d’habitants, qui vivent à proximité de cette clinique, sont pris en otage tous les jours. Tous les patients doivent passer devant chez eux pour aller prendre leur méthadone. Certains s’adonnent même à un trafic illégal. Ils revendent leurs doses à des jeunes, qui ne sont pas en traitement, pour avoir un peu d’argent. Zot pran larzan zot al direk dan enn farmasi kot pe vann psychotropes ek siro a baz de codéine kouma ti pate san okenn kontrol. Bann zenes la pran méthadone kouma enn ladrog pou met nisa.»
Le travailleur social souligne que le traitement de substitution de la méthadone est «une très bonne initiative» de la part des autorités, mais regrette toutefois qu’il n’y ait, au préalable, «aucune planification» : «Le personnel n’a pas eu de formation adéquate. De plus, ce n’est pas évident pour un dispensaire de faire la distribution à plus de 300 personnes en une ou deux heures. J’ai eu l’occasion de passer six mois dans une clinique spécialisée à Londres où on distribue de la méthadone. Sur place, il y a une structure, avec un quartier résidentiel où il y a des service providers, à savoir des médecins, infirmiers, personnels paramédicaux, psychologues et travailleurs sociaux.»
Le manque d’encadrement est souvent mis en exergue par les patients. Ce n’est pas Jonathan Sophie qui nous dira le contraire. Ce jeune homme de
25 ans prend de la méthadone depuis cinq ans. Il confie avoir commencé à se droguer à l’âge de 16 ans, en prenant du brown sugar. Issu d’une famille éclatée, cet habitant de Mahébourg a arrêté sa scolarité après avoir pris part aux examens du Certificate of Primary Education (CPE). C’est par le biais de ses «mauvaises fréquentations», dit-il, qu’il est tombé dans l’enfer de la drogue. «La méthadone est un traitement. Nous autres, les patients qui sommes sous ce médicament, nous voulons tous nous en sortir, mais nous replongeons dans nos travées à cause des préjugés de la société. À titre d’exemple, personne ne veut nous employer lorsqu’on dit qu’on prend de la méthadone. C’est vrai que la plupart d’entre nous avons fait de la prison pour une raison ou une autre, mais nous avons déjà payé pour cela. Qu’on nous donne notre chance de refaire nos vies en nous donnant du travail», lance Jonathan Sophie.
Le regard des autres
Son ami Samad Pachoo, 43 ans, est dans la même situation. Cet ancien infirmier de profession a également fait de la prison pour divers délits de drogue. Il est sous méthadone depuis quatre ans. Le plus dur, dit-il, c’est le regard des autres : «Je suis d’accord qu’on n’est pas des enfants de chœur. Je suis d’accord qu’on a fauté, mais nous sommes aussi des humains. Nous voulons tous sortir de l’enfer de la drogue, mais nous n’y arrivons pas, car nous sommes trop souvent rejetés par la société. Personne ne veut nous employer. J’ai été infirmier pendant
14 ans. Aujourd’hui, je travaille comme aide-maçon. Il y a des jours où je reste sans emploi, car personne ne veut de moi. Je remercie ma femme et ma fille de 14 ans pour leur soutien. Sans eux, je ne sais pas ce que je serais devenu.»
D’autres patients hésitent, eux, à parler à visage découvert par peur de représailles. Ils dénoncent, entre autres, le contrat qu’ils ont signé avec le ministère de la Santé pour les usagers de la drogue. Dans ledit contrat, il est stipulé que les officiers de la Santé peuvent faire un prélèvement sanguin ou d’urine à tout moment pour voir si le patient a pris une substance nocive. «Si pasyan la pozitif, si linn azout méthadone ek lalkol ou psychotropes, aret so tretman. Nous approuvons cette clause, mais la plupart d’entre nous sommes harcelés à cause de cela. Si ou zepol pa solid lontan fini perdi latet», explique un patient.
Deepa Goburdhun, 36 ans, abonde dans son sens. Cette habitante de Le Bouchon, mère d’un enfant qui vient de prendre part aux examens du CPE, explique, elle aussi, que le soutien familial est important : «Je me drogue depuis plus de 22 ans. Mais je suis sous méthadone depuis deux ans. Je ne travaille pas, car je n’arrive pas à en trouver. Je suis mariée depuis 15 ans et je remercie mon époux pour son soutien. Le regard des autres nous fait souvent très mal. Nous sommes harcelés par la police», déclare-t-elle, avant d’ajouter : «Dimounn get nou enn lot fason me zot bliye ki pa zis droge ki ena move repitasion. Kouma ena enn ka vol deswit dir bann lor méthadone sa. Li normal nou pou touzour ensam parski nou pena travay ni enn sant kot nou kapav zwen. Mo tia osi souete ki gouvernman donn enn pass spesial tou bann pasyan pou permet zot voyaz gratis dan bis ler pe fer distribision parski pou sertin pa fasil trouv kas pou vinn pran zot doz.»
Jonathan, Samad et Deepa ont leur avis sur le sujet. Leurs détracteurs ont aussi les leurs. Le point commun entre les deux clans, c’est qu’ils veulent tous sortir de cette crise en lançant un appel aux autorités. L’avenir nous dira qui aura finalement raison dans cette démarche.
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