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7 août 2022 15:02
Face aux scandales, aux controverses, à la difficulté de mener une vie confortable, de nombreux Mauriciens fondaient de l’espoir sur une unification de l’opposition, en qui certains voyaient malgré tout une alternative solide. Sauf qu’une fois de plus, l’opposition n’arrive pas à travailler ensemble. Avec le scandale de sniffing allégué, elle s’était décidée à organiser une marche dans le but de dénoncer la «haute trahison» de Pravind Jugnauth et de «met gouvernman Jugnauth deor». Navin Ramgoolam avait même publiquement plaidé en faveur d’une réunification de l’opposition. Et les consultations avec les autres partis avaient débuté. Après concertation pour une action symbolique, ils étaient tombés d’accord pour une marche pacifique le 12 août. Sauf qu’aujourd’hui, ça semble être la cacophonie totale dans leurs rangs. Résultat : tout est tombé à l’eau.
De son côté, Bruneau Laurette avait aussi décidé d’organiser une manifestation citoyenne le 7 août. Toutefois, suite à sa rencontre avec Sherry Singh qui souhaitait une unification de l’opposition et des activistes lors d’une seule manifestation, il a annoncé qu’il renvoyait son rassemblement pour le 21 août. Entre-temps, l’activiste a claqué la porte de Linion Pep Morisien (voir hors-texte) en disant vouloir faire cavalier seul. Lors d’une conférence de presse le 5 août, Rama Valayden a affirmé que LPM ne participera à aucune des marches qui seraient organisées car «ce n’est pas une manifestation pour changer le système mais pour dire qu’un groupe est prêt à prendre le pouvoir». Dev Sunnasy a, lui, remis en question la motivation de ces partis à lancer une telle action. «Si les députés de l’opposition sont certains que la manifestation provoquera le départ de Pravind Jugnauth, pourquoi ne démissionnent-ils pas de l’Assemblée nationale avant la tenue de celle-ci ?»
Pour l’observateur politique Jocelyn Chan Low, ce qui se passe au sein de LPM n’est pas étonnant. «Ce sont des groupes différents qui travaillaient chacun de leur côté et qui ont décidé de se mettre ensemble sans forcément avoir une structure ficelée. Quand on met tout le monde ensemble avec un seul objectif, c’est compliqué, surtout quand le share of power n’est pas défini au préalable. Les membres de LPM se sont mis ensemble pour des raisons conjoncturelles (...) Tout groupe qui n’a pas de structure, d’organisation, de collégialité, a tendance à disparaître. Le MMM, au départ de son histoire, avait ce problème. Il y avait beaucoup de clashs entre les dirigeants avant d’arriver à un consensus.» Aujourd’hui, explique-t-il, il y a trois tendances à Maurice. «D’abord, Jugnauth et ses alliés. Ensuite, l’opposition traditionnelle qui est au Parlement et ensuite, les partis extra-parlementaires où c’est un peu plus compliqué. Parmi, Rezistans ek Alternativ se distingue car il a une biologie, un projet de société. Ashok Subron a beaucoup d’expérience à la différence de LPM qui regroupe majoritairement des novices.»
Finalement, qu’il s’agisse de l’opposition parlementaire ou extra-parlementaire, c’est loin d’être la symbiose. Comme il est visiblement difficile pour les partis qui les composent d’accorder leurs violons, les discordances s’accumulent et cette unification tant vantée a du mal à être conclue. Il s’est passé plusieurs choses cette semaine. D’abord, Roshi Bhadain semble prendre ses distances de l’Entente de l’Espoir. Lors de l’assemblée des délégués du Reform Party, il a annoncé que son parti irait seul aux prochaines élections générales. Et lors d’une émission sur les ondes de Radio Plus, il a déclaré que «la solution n’est peut-être pas dans l’unification de l’opposition».
Pour lui, le fait que celle-ci soit incapable de tomber d’accord sur l’organisation d’une marche donne à réfléchir : «Si l’on réunit tout le monde, Navin Ramgoolam, Paul Bérenger, Xavier-Luc Duval, Roshi Bhadain, Nando Bodha et les autres, pensez-vous que ce sera un successful government ? La marche n’arrive pas à se faire. Pourquoi ? Parce que l’opposition n’est pas parvenue à s’organiser. Tout le monde souhaite que l’opposition se réunisse. Peut-être que ce n’est pas la solution pour le pays. Peut-être que la solution, c’est autre chose.»
De son côté, Nando Bodha est d’avis que c’est au leader de l’opposition de mener les opérations visant à rassembler l’opposition. «Tout doit se faire autour de Xavier-Luc Duval. C’est lui qui doit coordonner les actions. Je participerai à toutes les actions qui se dérouleront dans ce sens.» Hors, c’est le PTr qui semblait avoir pris la main sur l’organisation de tout rassemblement jusqu’ici. Aujourd’hui toutefois, il semble battre en retraite. Il se murmure que plusieurs membres de l’état-major du PTr estiment qu’il faudrait abandonner l’idée de la manif.
Patrick Assirvaden a annoncé, durant la semaine, l’annulation de la marche prévue pour le 12 août, invoquant le refus de la police de donner son autorisation et la santé de Navin Ramgoolam qui avait été admis en clinique durant la semaine écoulée. Néanmoins, lors de la conférence de presse des Rouges le 5 août, Arvin Boolell a affirmé que la marche aura bien lieu. Une réunion devrait d’ailleurs se tenir entre les différents leaders ce lundi 8 août pour décider d’une autre date et des modalités de la marche. Information confirmée par Paul Bérenger lors de la conférence de presse du MMM du 6 août. «Nous allons nous voir une fois de plus avec le PTr et le PMSD pour accorder nos violons. On ne peut pas travailler sans clarté. Il y avait l’idée d’une marche mais nous devons discuter encore avant d’aller de l’avant. Nous n’avons rien à voir avec Linion Pep Morisien et Bruneau Laurette.»
Le fait que les partis de l’opposition n’arrivent pas à tomber d’accord n’est pas une surprise, estime Jocelyn Chan Low. Les choses auraient été plus faciles, dit-il, si c’était un groupe de la société civile qui avait pris les devants, comme c’était le cas après le naufrage du Wakashio. «C’est toujours difficile de mettre plusieurs meneurs dans un seul groupe (...) Ce sont des personnes avec un ego surdimensionné. Pour trouver consensus, il faut comprendre que c’est du give and take, sinon, chacun tire de son côté. Mettre des fortes têtes ensemble, c’est difficile. Quand un parmi prend le leadership, comme le PTr l’a fait, il y a des distanciations. Ce qui se passe, c’est qu’il y a trop d’enjeux qui se mélangent. PTr, Bodha, Bhadain…»
Pourtant, selon l’observateur politique, le fait que les partis qui la composent n’arrivent pas à tomber d’accord sur le mode d’organisation ne veut pas forcément dire que l’opposition traditionnelle ne peut pas se fédérer. Au contraire. «Quelque part, ça permettra de clarifier les choses. C’est une leçon à retenir pour eux.» Sauf qu’en attendant qu’ils se mettent d’accord, Jugnauth et son gouvernement se frottent les mains devant la débandade de leurs adversaires.
Sa décision d’organiser seul une marche dans les rues de la capitale le 7 août n’augurait rien de bon. Finalement, Bruneau Laurette, qui avait pris un congé de deux semaines pour raisons personnelles, a confirmé son départ de Linion Pep Morisien lors d’une réunion nocturne à La Tour-Koenig, le 6 août. Affirmant qu’il ne partage plus les mêmes convictions que ses camarades de LPM, il a expliqué vouloir continuer sa route sans eux. «Mo lame pa atase ek okenn kartel. Même quatre ténors comme Patrick Assirvaden et Shakeel Mohammed, Paul Bérenger et Xavier-Luc Duval n’ont pas pu mettre le Speaker dehors. Comment peut-on croire qu’ils pourront faire le Premier ministre Pravind Jugnauth démissionner ?»
Dans un entretien accordé à l’express après sa démission, l’activiste a expliqué que continuer avec LPM dans ces conditions aurait signifié aller à l’encontre de ce qu’il est. «Mon combat a commencé il y a deux ans sur une base citoyenne qui a ensuite débouché sur un parti politique. Aujourd’hui, nous ne sommes pas en période électorale (...) Il y a une mauvaise gestion, un dysfonctionnement institutionnel. Quand vous venez dire que vous ne pouvez pas venir à la manifestation, c’est votre droit.»
Son congé a aussi visiblement posé problème : «Quand Rama Valayden va défendre ses clients ou faire sa conférence de presse, c’est normal, mais quand c’est Bruneau Laurette qui prend congé, c’est un problème. On doit être fair pour tout le monde. Avant, on avait une indépendance. C’est ce qui faisait notre force. Aujourd’hui, on ne peut pas utiliser mes épaules pour avoir accès à certaines choses. Moi, je n’attends rien en retour par rapport au peuple. Je ne fonctionne pas avec un cartel ou un lobby.»
Aujourd’hui, les relations entre Bruneau Laurette et Linion Pep Morisien sont loin d’être au beau fixe. D’ailleurs, Jean-Claude Barbier a déclaré que le départ de Bruneau Laurette est une bonne chose pour LPM. «Il nous rend un fier service. Il nous a fait beaucoup de tort. À LPM, nous travaillons de manière collégiale. Notre groupe est basé sur un programme, pas sur Rama Valayden, Dev Sunnasy ou Jean-Claude Barbier. Il ne comprend pas cela, il veut faire cavalier seul, il veut travailler selon ses méthodes.»
Le samedi 6 août, Joe Lesjongard et Maneesh Gobin ont animé la conférence de presse du MSM, où ils n’ont pas manqué de commenter l’actualité. Tout en annonçant une série de congrès/réunions du parti, qui commencera le 12 août à Triolet, Joe Lesjongard a fustigé l’opposition : «Elle n’est pas capable de tomber d’accord sur une date précise pour une manifestation. C’était une semaine comique, avec Sherry Singh qui est allé voir les partis de l’opposition parlementaire et extra-parlementaire. Au lieu qu’ils se rassemblent, chacun va dans une direction. Bruneau Laurette vient, lui, dire qu’il va prendre un congé politique, alors qu’il n’a même pas une carrière politique. Et maintenant, leur semblant d’unité a explosé. Chacun semble avoir son agenda. On dirait que l’opposition nous fait la série Marimar : un jour, le garçon est avec une fille et puis la fille découvre que le garçon est avec une autre fille...»
Maneesh Gobin a, lui, parlé du climat des affaires : «Une certaine partie de la presse et de l’opposition veut paint a dark picture. Certes, nous avons eu deux lockdowns et ajoutés maintenant aux effets de la guerre en Ukraine, mais les chiffres montrent une reprise économique (…) Voyez le nombre de Build and Land Use Permits octroyés récemment au niveau des municipalités et District Councils (…) Ou alors, essayez de faire des réservations dans un hôtel en ce moment.» Il a aussi demandé à l’opposition d’arrêter avec l’«Indian bashing» et a annoncé une mission de prospection bientôt en Iran, avec les membres des secteurs privé et public, en vue de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement pour plusieurs denrées.
Textes : Amy Kamanah-Murday et Stephane Chinnapen
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