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26 février 2018 04:23
Elle est rongée par des regrets, de la culpabilité. Car Thérésa Surfoodden, 62 ans, s’était promis de bien s’occuper de son petit-fils Brad Dorza à la mort de sa fille, trois ans plus tôt, suite à un problème de tension artérielle. Le jeune homme de 21 ans vivait sous son toit, à l’avenue Père-Dorbec, Bel-Air, depuis l’âge de 3 ans. Ses parents venaient alors de se séparer. Pour Brad Dorza, Thérésa et son époux Clency, 65 ans, nourrissaient de grands rêves. Notamment celui qu’il se marie. Ils souhaitaient qu’il réussisse sa vie, tout simplement. Qu’il réalise ses projets. Mais leurs rêves se sont effondrés le mardi 20 février.
Ce jour-là, Brad a été retrouvé mort à leur domicile. D’un œdème pulmonaire et cérébral provoqué par une overdose, selon le rapport d’autopsie. La police, elle, soupçonne que Brad Dorza est mort après avoir fumé du cannabis synthétique. Des échantillons ont été prélevés et envoyés au Forensic Science Laboratory à des fins d’analyse. Ces résultats, les proches du jeune homme les attendent avec impatience. Car pour l’heure, ils sont dans le flou le plus total. «Brad est-il mort après avoir fumé du cannabis synthétique ?» se demandent Clency et les siens.
Les funérailles du jeune homme ont eu lieu le mercredi 21 février en l’église du Saint-Esprit. Son corps a été inhumé au cimetière de Trois-Ilots, à Olivia. C’est le cœur brisé que ses proches lui ont dit adieu. «C’est la pire épreuve de notre vie», confie Thérésa. La sexagénaire tient difficilement en place. Elle est tourmentée, a des remords et semble ne pas tenir le coup. Car au matin de la découverte du corps inerte de son petit-fils, alors qu’elle quittait la maison très tôt pour se rendre à une séance de prière, à Quartier-Militaire, avec son époux Clency, elle avait un mauvais pressentiment. «Il a refusé de nous accompagner car il disait qu’il allait se rendre au dispensaire», se souvient Thérésa. Elle lui a alors lancé : «Pa fer ninport kwa.»
Le mardi 20 février, Brad Dorza ne s’était pas rendu au travail parce qu’il ne se sentait pas très bien depuis la veille, explique son grand-père Clency. «Il était sorti dimanche. Le jour suivant, il a eu des problèmes de santé sur son lieu de travail, dans une usine à Goodlands. Sur place, il a vomi mais il a insisté pour terminer son service. Le lendemain, il ne s’est pas rendu au travail.»
Au réveil, le mardi fatidique, le jeune homme se serait rendu au dispensaire pour se faire examiner, selon son grand-père. Mais il soupçonne que Brad n’est pas rentré seul à la maison. «Lorsque mon épouse est rentrée de Quartier-Militaire, elle a vu deux personnes de dos, quittant la maison à la va-vite. Elles ont pris la fuite. La police est sur leur piste. Zis zot tousel ki kone ki zot inn fime ansam.»
Une fois dans la maison, Thérésa essaie d’ouvrir la porte de la chambre de Brad. Mais elle était verrouillée de l’intérieur. «Elle a alors tiré les rideaux de sa chambre de l’extérieur pour pouvoir rentrer dans la pièce. Brad était affalé sur le lit. Il était dans un état comateux. Elle a alors cherché de l’aide auprès des voisins. Ces derniers ont ensuite sollicité le Samu et la police. Sur place, le personnel du Samu n’a pu que constater son décès», raconte Clency.
Si la police privilégie la thèse de l’overdose, les proches du jeune homme ont, eux, du mal à y croire. Notamment Ivan, le fils de Clency. «Mo tann dir enn poket sintetik la zis Rs 100 sa. Brad kapav inn perdi lavi akoz Rs 100 ! Mo fer enn lapel a tou sa bann zenn ki pe fim sa la. Zot bizin pa gat zot lavenir ek sa. Aret met pwazon dan zot lekor», lance cet ancien footballeur de haut niveau, qui a côtoyé l’élite, notamment avec le Faucon Flacq SC. Son père Clency était aussi un excellent footballeur. Tout comme Brad qui jouait également au foot avec des amis. L’un d’entre eux, sous le choc à l’annonce de sa mort, témoigne. «On peine toujours à croire qu’il n’est plus de ce monde. Il nous est surtout difficile de croire qu’il est mort après avoir fumé du cannabis synthétique», confie-t-il.
Alors il lance un appel à la mise en oeuvre de mesures pour contrer la prolifération des drogues de synthèse chez les jeunes. Mais aussi pour éviter que d’autres familles ne perdent un des leurs. Comme celle de Brad Dorza, qui pleure aujourd’hui ce jeune homme parti trop tôt, beaucoup trop tôt.
Plus de 60 % des Mauriciens seraient contre la décriminalisation du cannabis. C’est ce qui ressort d’un sondage mené en octobre et novembre 2017 par l’agence Afrobarometer sur un échantillon de 1 200 personnes. Les résultats ont été rendus publics, le mercredi 21 février, par Amédée Darga, directeur de cette agence. Uniquement 26 % des personnes sondées se sont montrées en faveur d’une décriminalisation du gandia, alors que 8 % n’avaient aucune opinion.
Depuis le dévoilement de ce sondage, les résultats font débat. «Afrobarometer pa finn explik dimounn ki li pe interviewe, kiete dekriminalizasion, legalizasion, depenalizasion ek kriminalizasion. Se pou sa li finn gagn sa sif la. Dimounn pann konpran ouswa inn mal poz kestion. Dimounn kouma tann dekriminalizasion li krwar pe legalize. Li per», explique Danny Philippe (photo) du Collectif Urgence Toxida.
Cédric Ferdinand, membre de la communauté rasta de Maurice, émet également des réserves quant aux résultats dudit sondage : «Est-ce que les personnes qui ont fait ce sondage ont suivi une formation pour savoir, entre autres, comment aborder les gens ? Quelles sont les questions qui ont été posées et quelles sont les réponses obtenues ? Un sondage n’est pas une réponse finale. Un sondage reste un sondage. Il n’y a que des statistiques. Nou pa kapav baz zizman enn zom lor probabilite matematik.»
Arvind Boolell se dit, pour sa part, en faveur de la régularisation du cannabis... à des fins thérapeutiques. Le nouvel élu du no 18 n’écarte pas la présentation d’une motion en ce sens à la reprise des travaux parlementaires, en mars. Lors d’un forum-débat sur la drogue au centre social Jean Margéot, à Résidence St-Jean, Quatre-Bornes, le jeudi 22 février, le député rouge a lancé : «La situation est grave. Nous ne devons pas courir un marathon mais faire un sprint.»
Les travailleurs sociaux ont leur petite idée. Selon eux, deux raisons expliqueraient la popularité grandissante du cannabis synthétique dans l’île : le prix et sa disponibilité. Une dose se vendrait entre Rs 30 et Rs 50 pour cinq ou six personnes. Avec une seule dose, elles fumeraient entre cinq et six cigarettes contre trois cigarettes avec un pouliah de gandia à Rs 200, expliquent les travailleurs sociaux. Ces derniers tirent la sonnette d’alarme depuis plusieurs années, concernant le rajeunissement et la féminisation des consommateurs de drogues de synthèse.
«Cinq ans de cela, l’usager de drogue avait plus de 30 ans. En 2017, nous avons eu à traiter le cas d’un écolier de 9 ans. Nous avons également soigné une fille de 13 ans qui se prostituait pour se procurer sa dose de drogue synthétique», fait ressortir Ally Lazer, président du Mouvement civique national. «Sintetik, dit-il, pe sem lamor. Dernie viktim se sa zenn dan Bel-Air la. Zordi, enn zenn foutborler ki zwe dan premie divizion, so mama inn pran kontak ek mwa pou fer neseser pou li gagn tretman ek swivi sikolozik. Sintetik pe fer ravaz dan pei. Lor sak dis ka ki nou gagne pou trete, set ladan pran sintetik.»
Danny Philippe, travailleur social, dresse également un tableau très sombre de la situation. «Les drogues de synthèse envahissent le pays. Li pe tous tou klas sosial ek sa tandans pe ale la, li pou ranplas brown sugar.» Pour ce membre très actif du Collectif Urgence Toxida, il est temps de mettre en place le National Drug Master Plan : «Ce plan d’action doit être appliqué en urgence. Plusieurs stakeholders se sont penchés là-dessus l’année dernière. J’avais personnellement proposé un centre pour les jeunes de moins de 18 ans. On ne sait toujours pas pourquoi le gouvernement n’applique pas ce plan.»
La recrudescence des drogues de synthèse dans l’île inquiète également le public, malgré les nombreuses opérations policières pour combattre ce trafic. «Leta ena so responsabilite ladan. Gouvernman inn touzour refiz deba konstriktif. Li domaz ki sistem skoler pa fer ledikasion lor hard drug. Ek bann paran bizin pa sove divan zot devwar», selon Cédric Ferdinand, membre de la communauté rasta de Maurice.
Du côté du ministère de la Santé, l’on se dit préoccupé. «Nou pou perdi nou bann zenes si nou pa fer nanye», prévient Anwar Husnoo. C’était lors du lancement d’un rapport sur l’allaitement maternel à l’hôtel Gold Crest, à Quatre-Bornes, le mardi 20 février. Le ministre est d’avis qu’il faut prendre des mesures drastiques pour contrôler ce fléau, tout en concédant que ce ne sera pas de tout repos.
Black Mamba, Bat dan latet, C’est pas bien… Ce sont autant de drogues de synthèse qui ont fait leur apparition dans l’île depuis 2008. Et plusieurs jeunes seraient décédés après en avoir consommé. Parmi eux, Kursley Seerungen. Le corps de ce jeune homme de 19 ans a été retrouvé dans une région de Goodlands, le 15 octobre dernier. Il était porté manquant depuis la veille. Le rapport d’autopsie indique qu’il a rendu l’âme après avoir fait une surdose d’un produit prohibé. Sa mère Lina s’était confiée à 5-Plus dimanche. Elle savait, dit-elle, que Kursley consommait de la drogue. Depuis son décès, elle est plongée dans une souffrance atroce.
Yolanda, une habitante de Cité Argy, est également anéantie depuis la mort de son fils Damien. Ce jeune homme de 19 ans est décédé d’une overdose de drogue synthétique, le 1er avril 2017.
D’autres jeunes ont connu le même sort, dont Alexandre Cotte et son cousin Brian, qui sont décédés à trois mois d’intervalle. Alexandre n’avait que 21 ans quand il est mort le 3 janvier 2016. L’autopsie a attribué son décès à la consommation d’un mélange de drogues de synthèse. Son cousin Brian est mort dans presque les mêmes circonstances.
En juillet 2015, Ahmad Kaleem Razack Bacsou, un habitant de Ste-Croix, âgé de 21 ans, avait succombé après une consommation de drogue synthétique.
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