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Municipales 2015 : la victoire de l’abstention ?

14 juin 2015

Municipales 2015 : la victoire de l’abstention ?

Il réajuste son écharpe. Il redresse les manches de son pull-over. La soirée sera longue et fraîche. Au programme de ce dernier tour dans son ward : du porte-à-porte. Comme pour ne pas changer. Au bout de plusieurs semaines de campagne, ce néophyte a hâte d’être à demain, lundi 15 juin, jour de proclamation des résultats des élections municipales qui ont lieu dans les cinq villes de l’île ce dimanche. Comme lui, d’autres jeunes de sa localité sont candidats. Pour différents bords politiques. Ou en indépendant. Qu’importe : «Nous sommes jeunes, nous voulons changer les choses.» Pour tous, le constat est le même : cette campagne a été tiède. «Je travaillais avec mon parti pour les législatives. Il y avait une super effervescence. Mais là, c’est beaucoup plus calme. Les gens refusent même parfois de nous laisser entrer chez eux pour parler.»

 

Une question de couleur politique ? Pas vraiment. Du côté des favoris de ces municipales, c’est le même son déconcertant : «Les gens sont moins intéressés. Mais nous travaillons quand même. Et nous faisons de notre mieux. Ces derniers jours, les citadins ont montré plus d’intérêt.» D’ailleurs, dans toutes les réunions nocturnes, les congrès et les meetings improvisés ou pas, les candidats et les personnalités des partis – de Pravind Jugnauth à Paul Bérenger – ont le même discours (oui, c’est rare !) : l’abstention n’est pas une solution, il faut aller voter. L’ennemi de ces municipales serait donc à double face. D’un côté, ceux qui sont d’un autre bord politique. De l’autre, le manque d’intérêt des citadins.

 

Pravind Jugnauth a enchaîné les congrès. Pour l’Alliance Lepep, il s’agit d’un véritable test de popularité. 

 

Le temps qui s’est rafraîchi ces dernières semaines a-t-il refroidi leurs ardeurs électorales ? Il semblerait. Certains de ceux qui sont appelés à voter aujourd’hui (voir ci-contre, la rubrique Mon mot à dire) ne voient pas l’intérêt de ce vote : «Nous sommes délaissés. La municipalité ne fait pas bien son travail. On aperçoit les candidats seulement à la veille des élections. C’est désolant», a confié Monique de Kaylasson. Néanmoins, ce n’est pas le cas pour tous. Mais dans cette déclaration, les questions qui trottent dans la tête des citadins sont posées. Quel est l’intérêt de voter pour des élections municipales lorsque cela fait des années que les politiciens eux-mêmes dénoncent l’hypercentralisation des collectivités locales ? Les mairies ont-elles assez de pouvoir pour changer leur vie ?

 

Intérêt national

 

Pour Shafick Osman, géopoliticien, les municipales ont attiré des foules. Mais ça, c’était avant : «Les législatives mobilisent plus les électeurs, mais dans le temps, dans les années 80 surtout, les municipales attiraient beaucoup de votants, car les villes étaient un contre-pouvoir face au gouvernement central. Les choses ont bien évolué depuis.» La notion de contre-pouvoir, au niveau des villes, est un peu éthérée aujourd’hui. Assad Peeroo, membre du PTr, l’a résumé lors de sa conférence de presse cette semaine (voir hors-texte). Pour l’avocat, il est nécessaire que les citadins votent «là où il y a du financement et du progrès.» Le message est clair : pour s’assurer que sa ville évolue, il vaut mieux marcher avec le gouvernement central. Les idéologies, ça ne permet pas d’asphalter une route ni d’être assuré d’avoir des lampadaires qui fonctionnent.

 

C’est aujourd’hui que les candidats se lanceront dans un dernier canvassing pour encourager les citadins à sortir pour aller voter. Des voitures seront également mises à leur disposition pour faire fuir l’abstention. Leur mission : convaincre à tout prix. Shafick Osman ne prévoit pas de nuages si sombres – qu’on peut le penser – dans le ciel de l’abstention. S’il estime que la campagne a démarré tout doucement, il voit, depuis une dizaine de jours, explique-t-il, un réchauffement notable : «Cette campagne a commencé dans une quasi indifférence, mais je note qu’elle se termine avec beaucoup d’enthousiasme quand même. Les électeurs se sentent concernés par ces élections.» Cependant, l’intérêt n’est pas simplement municipal : «Mais plus au niveau national et au niveau des partis.»

 

Pour le MMM de Paul Bérenger, la victoire à ces élections est cruciale afin de fédérer les militants.

 

D’ailleurs, les deux principales formations politiques en course ont chacune un défi de taille à relever : pour l’Alliance Lepep, il s’agit d’asseoir sa popularité, alors que pour le MMM, il s’agit de la reconquérir. Une victoire serait fédératrice pour les militants qui continuent leur longue traversée du désert. Une façon d’essuyer les nombreux faux pas et départs depuis la malheureuse association avec le PTr : «Ce sera un test de popularité en temps réel, autant pour le pouvoir que pour le MMM. Mais l’enjeu est plus important pour le MMM. Car si le parti perd ces élections, il leur sera difficile d’imputer la défaite à X,  Y ou Z.»

 

Si les vagues de protestation suite au démantèlement de la BAI, des révélations ici et là sur le financement des partis et la nomination d’Ameenah Gurib-Fakim à la présidence, entre autres, ont fait trembler l’échiquier municipal, le docteur en géopolitique est d’avis que le favori restera favori : «L’Alliance Lepep demeure favori même s’il y aura de la résistance à Port-Louis, Beau-Bassin et dans certains arrondissements, à Vacoas notamment.» Les récents événements ont donné des envies  d’aller aux urnes aux électeurs, estime-t-il : «Avec la non-participation du PTr et les affaires révélées depuis le début de l’année, on devrait s’attendre à un taux d’abstention un peu moins élevé que la moyenne de ces dix dernières années. Mais au final, il se pourrait que cela ne soit pas le cas.»

 

La majorité silencieuse, celle qui ne se montre pas aux réunions, celle qui ne fait pas part de son point de vue sur les réseaux sociaux, se rendra-t-elle dans les centres de vote aujourd’hui ? Difficile à dire, explique le géopoliticien. Néanmoins, si c’est le cas, c’est comme cela qu’il imagine leur vote : «Je pense que les protest voters vont essentiellement se rallier au MMM. Et il ne faudra pas oublier l’électorat travailliste dont une partie votera certainement MMM et une autre s’abstiendra. Une autre partie de cet électorat rouge a déjà viré depuis le début de l’année, soit après la grande victoire de Lepep et après les affaires de Navin Ramgoolam, etc.»

 

Au-delà de la guerre de popularité entre les deux blocs politiques, d’autres partis vont également au combat. Tout comme le candidat qui ajuste son écharpe. Ils espèrent faire bouger les choses dans les villes…

 


 

Voting time !

 

• N’oubliez pas votre document d’identité (carte d’identité ou passeport).

 

• Vous ne devez pas voter pour plus de quatre candidats.

 

• Mais vous pouvez voter pour moins de quatre candidats.

 

• Pour connaître votre centre de vente, cliquez sur le lien Polling station where you vote sur le site http://electoral.govmu.org. Vous pouvez également faire une demande par SMS en envoyant le message suivant : elec(espace)numéro de votre carte d’identité, au 789. Une helpline est aussi à votre disposition : 800 2010.

 

• N’oubliez pas que vous ne pouvez pas prendre votre bulletin de vote en photo ou le filmer.

 

• Les centres de vote sont ouverts de 7 heures à 18 heures.

 

• Les écoles (maternelles, primaires et secondaires) situées dans les villes seront fermées ce lundi.

 


 

Rezistans ek Alternativ lance un appel

 

Le mouvement de gauche espère que l’abstention ne sera pas victorieuse dans ces élections. Alors, il lance un appel aux électeurs des villes pour qu’ils accomplissent leur devoir civique : «Nous savons que beaucoup de Mauriciens apprécient les idées, les combats et l’engagement sincère des militants de Rezistans ek Alternativ. Le dimanche 14 juin, c’est le moment de concrétiser cette appréciation», écrivent Ashok Subron et Dany Marie, porte-parole de cette formation politique qui veut offrir une alternative aux partis traditionnels. Pour eux, une autre politique est possible dans les municipalités : «Rezistans ek Alternativ a pour objectif la construction d’un mouvement pour la démocratie participative vers la décentralisation des municipalités, où les citoyens de chaque arrondissement auront leur mot à dire dans la prise de décision. Une société véritablement démocratique repose sur la démocratie locale.»

 


 

Shafick Osman : «Pour l’autonomisation des mairies»

 

C’est le souhait des mouvements de gauche comme Rezistans ek Alternativ. Mais aussi celui des politiciens, quand ils ne sont pas au pouvoir. Pour le docteur en géopolitique, il est essentiel de réfléchir à la décentralisation des collectivités locales : «Il y a une perception qu’il faut que les collectivités locales soient du côté du gouvernement central pour que les choses avancent et se fassent. Mais c’est l’autonomisation des mairies et des conseils de district dont il est vraiment question. Il faut absolument modifier la législation en donnant plus de pouvoir et d’autonomie aux collectivités locales. C’est comme cela que les villes pourront rayonner comme dans les années 80.»

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