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29 mars 2022 12:37
Ils ont longtemps attendu et espéré. Alors, après toutes ces années, la nouvelle est arrivée comme un soulagement, une lueur d’espoir. L’espoir de pouvoir enfin être réunis avec les leurs, mais aussi celui d’un avenir meilleur. Eux, ce sont les Chagossiens qui vivent en Grande-Bretagne et qui ont longtemps milité pour obtenir la nationalité britannique accordée en 2002 uniquement aux natifs de l’archipel des Chagos, nés entre 1969 et 1982. Cette loi, qui a été amendée à la House of Commons, à Londres, le 22 mars, permet désormais à tous les descendants des Chagossiens, toutes générations confondues, de bénéficier de la nationalité britannique. Cet amendement au Nationality and Borders Bill, loi qui régule l’immigration en Grande-Bretagne, a été apporté par Henry Smith, député conservateur de Crawley, région où sont installés la majorité des Chagossiens.
Désormais, tous les descendants, qu’ils se trouvent en Grande-Bretagne, aux Seychelles ou à Maurice, âgés de plus de 18 ans, ont une période de cinq ans pour s’enregistrer auprès du Home Office et devenir un British Overseas Territory Citizen (BOTC). Les enfants qui naîtront pendant ces cinq années seront eux aussi éligibles. Ceux qui sont actuellement encore mineurs pourront aussi faire leur application jusqu'à l'âge de 23 ans. Eux aussi bénéficieront d’une période de cinq ans pour s’enregistrer. Passé ce délai, ils ne pourront plus prétendre à la nationalité britannique. À savoir que toutes les démarches administratives seront gratuites.
Face à ce développement tant attendu par certains, la communauté chagossienne d’Angleterre n’a pu contenir sa joie et son soulagement. Pour Sabrina Jean, présidente d’UKCRG (UK Chagos Refugees Group), cette décision du gouvernement anglais vient réparer une injustice de longue date. «En tant que Chagossienne de la deuxième génération, je dois dire que je suis extrêmement contente de ce dénouement. C’est un soulagement pour toute la communauté car cela fait de nombreuses années que nous luttons pour nos droits. Cette décision montre que les Britanniques sont en train de réaliser l’erreur qu’ils ont commise. Nos familles étaient divisées. Une partie ici, une autre à Maurice et aux Seychelles. Avec cette nouvelle loi, tout le monde pourra être réuni.»
Après leur expulsion de leur terre, nombreux sont ceux qui n’étaient toujours pas reconnus comme des citoyens britanniques. Une situation jugée injuste après les souffrances infligées à cette communauté. «Je dédie cette victoire à tous ceux qui donnent de leur temps pour ce combat. Le député Henry Smith, Baroness Lister, nos avocats, APPG, Alison Harvey. J’ai une pensée spéciale pour Lord Eric Avebury qui a travaillé sur ce dossier depuis 2009 et même s’il n’est pas là aujourd’hui, les Chagossiens ont fini par gagner. Je pense à tous ceux qui ont lutté et qui ne sont plus là.»
Ce sentiment de joie, Jean-François Nellan, représentant de Chagossians Voices et issu lui-même de la troisième génération de Chagossiens, le partage aussi. «Le gouvernement britannique nous a écoutés et a eu la volonté de réparer cette injustice faite à un peuple britannique qui n’avait pas demandé à sa génération de prendre naissance en dehors des Chagos. Beaucoup de familles seront réunies et les petits-enfants pourront bénéficier d’un avenir meilleur, que ce soit en termes de logement, d’éducation et de santé.»
S’il y a eu des démarches entamées dans ce sens par le passé, avant, l’accent était mis, dit-il, sur le droit de retour. Aujourd’hui, souligne Jean-François Nellan, ce combat revient de l’avant avec une nouvelle approche. «Nous avons accès à pas mal d’informations à travers Internet. Il y a eu beaucoup plus de discussions diplomatiques avec les députés, les lords et les instances britanniques. Nous avons reçu de l’assistance d’organisations comme Amnesty International et même BOTC. Le lobby qui a été fait depuis 2020 est différent de ce qui avait été fait dans le passé.» Pour le moment, explique-t-il, les inscriptions ne sont pas encore ouvertes. «Nous sommes actuellement en train de travailler pour mettre cette provision en œuvre dès que possible afin que les descendants puissent envoyer leurs applications. Nous donnerons plus de détails à la communauté en temps voulu.»
Pour ChristJo Ancrasamy, arrivé en Grande-Bretagne par Spouse Visa, c’est tout simplement dans la logique des choses. «C’est la justice méritée pour les Chagossiens dont les générations sont éparpillées. Aujourd’hui, la Grande-Bretagne accepte ses torts, son crime contre l’humanité, et accepte de corriger son erreur. Toutes les familles pourront être réunies. C’est triste que certaines personnes utilisent les Chagossiens pour obtenir un gain quelconque.» Pour Sabrina Jean, la lutte des Chagossiens ne s’arrête pas là. «Il y a encore du travail. Le gouvernement anglais a encore des choses à faire pour cette communauté. Il ne doit pas croire que parce qu’il nous a donné le passeport, nous nous arrêterons là. Nous continuerons le combat jusqu’à ce que nos droits fondamentaux soient reconnus à 100 %.»
Si la division au sein de la communauté chagossienne sur la question du retour sur l’archipel et de la souveraineté de Maurice sur les Chagos est connue, beaucoup se demandent quel impact cette décision de la House of Commons aura sur le combat que mène Maurice. Au courant de la semaine, Olivier Bancoult du Groupe Refugiés Chagos (GRC) a déclaré qu’il s’agissait là d’une réparation de l’injustice commise par les Anglais mais que cela ne remettait en aucun cas en question la décision de la Cour internationale de Justice.
N’empêche que beaucoup de Chagossiens estiment être des citoyens britanniques et se sont dressés contre le gouvernement mauricien, critiquant son combat pour la souveraineté des Chagos. Accorder la citoyenneté à tous les descendants sans exception, cela changera-t-il la donne ? S’agit-il d’une tactique de Londres pour égratigner Maurice dans son combat ? Est-ce que ceux qui jusqu’ici militaient pour la reconquête de l’archipel poursuivront cette voie ? Autant de questions qui se posent.
À Maurice, en tout cas, nombreux sont ceux qui ne cachent pas leur enthousiasme, prêts à saisir cette opportunité pour s’installer au pays de Sa Majesté. Parmi eux, Esther Mandarin, dont toute la famille se trouve là-bas. «C’est la meilleure des solutions. Je suis née d’une famille de Chagossiens. Mon grand-père, Raoul Mandarin, est né aux Chagos. Ma grand-mère est mauricienne. Ils ont eu 13 enfants. À l’époque, quand le rapatriement vers l’Angleterre a été fait, mon père, qui était le dernier de la fratrie et qui est né à Maurice, n’a pas eu la chance de partir. La tristesse lui pesait beaucoup. Il est décédé sans pouvoir rejoindre sa famille.»
Aujourd’hui, la jeune femme et ses frères et sœurs comptent s’enregistrer pour devenir citoyens britanniques et faire leur vie en Grande-Bretagne.
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