Publicité

Négligence médicale alléguée

11 mai 2015

Le couple réclame la vérité sur la mort de son petit garçon.

«23h12. Bébé arrive ! Il est temps de fêter !» Si l’heure est aussi précise, c’est que Junior Paul Basile l’a écrite sur son mur Facebook. Et le statut posté par le jeune homme traduit bien l’état d’esprit dans lequel il se trouve à ce moment-là. «J’étais complètement fou de joie à l’idée de devenir père pour la première fois. C’était tout à fait normal pour moi de manifester ma joie. J’étais sur le point de vivre quelque chose de magique.» C’était le dimanche 26 avril. Mais très vite, son rêve se transforme en cauchemar.

 

Admise depuis ce jour-là à l’hôpital Jeetoo, à Port-Louis, sa compagne Sharone accouchera d’un bébé mort-né deux jours plus tard. Au grand désespoir du couple qui était tellement heureux d’avoir un enfant. Et Sharone et Junior Paul sont convaincus que leur malheur est dû à une négligence médicale. Que leur bébé est mort par la faute du personnel soignant qui a trop tardé pour faire accoucher la jeune femme.  Ce qui aurait provoqué le décès. «On a brisé nos rêves», disent-ils. Junior Paul Basile a même rapporté l’affaire au surintendant de l’hôpital Jeetoo, qui a ouvert une enquête pour situer les responsabilités (voir en hors-texte).

 

À Petite-Rivière, chez les proches de Junior Paul, Sharone est effondrée sur une chaise. Le regard vide, elle observe ses petits neveux et nièces qui défilent devant elle en courant dans toute la maison en ce mercredi 6 mai. Au fond de la pièce, des lys blancs et un crucifix sont disposés sur une table basse qui sert d’oratoire. Mais c’est la photo d’un petit bébé, vêtu d’un linge blanc, posée sur ce meuble, qui retient le plus l’attention.

 

Aylan Emillio Junior Basile. C’est ainsi que ses parents ont choisi de le baptiser. En observant l’image, on a l’impression que le petit est plongé dans un profond sommeil. Que d’une minute à l’autre, il va se réveiller en poussant de petits cris comme le font les bébés. Et que, pour le calmer, sa mère lui donnera le sein. Hélas, le petit est décédé dans le ventre de Sharone, avant même de venir au monde. Cette photo représente l’unique souvenir que ses parents ont de lui. Anéantis, Sharone et Junior Paul veulent savoir toute la vérité sur les circonstances de ce décès. En attendant les explications du ministère de la Santé, ils reviennent avec force détails sur ce drame qui les frappe de plein fouet.

 

«Fortes douleurs»

 

Il est 9 heures en ce dimanche 26 avril lorsque Sharone Raya, 33 ans, ressent de fortes douleurs au ventre. Très vite, elle commence à perdre du sang. «J’étais arrivée à terme de ma grossesse le 21 avril. Mais mon médecin m’avait dit qu’il fallait que j’attende encore quelques jours avant de mettre l’enfant au monde par voie normale. J’ai suivi ses conseils, d’autant que tout se passait pour le mieux. Mais le dimanche 26 avril, lorsque j’ai commencé à saigner, mon compagnon et moi sommes allés directement à l’hôpital Jeetoo où j’ai été admise», raconte Sharone.

 

Entre les mains des professionnels de la santé, cette maman de deux filles âgées de 14 et 9 ans, issues d’une première union, se sent rassurée. Elle est immédiatement admise en salle de maternité avant d’être transférée dans une autre salle. «On m’a examinée avant de me dire que les saignements étaient tout à fait normaux. On m’a aussi informée que le col de l’utérus n’était pas dilaté et qu’il fallait attendre. J’ai passé une première nuit très pénible. Le lendemain, les saignements sont devenus plus abondants. Et on m’a chanté le même refrain : que les saignements étaient tout à fait normaux. »

 

Ce jour-là, elle est à nouveau examinée par le personnel soignant qui vérifie les battements du cœur du bébé. Sharone, elle, le sent bouger dans son ventre arrondi et attend impatiemment le moment de le tenir dans ses bras. «Je ressentais toujours des douleurs, mais on m’a dit pour la énième fois qu’il fallait attendre. Le lendemain, soit le mardi 28 avril, mon état de santé s’est aggravé. Je ressentais d’atroces douleurs sans parler des saignements abondants. On me disait encore et toujours que je n’étais pas prête pour accoucher, que mon col n’était toujours pas dilaté.»

 

«Sov mo ti baba»

 

Le personnel médical, avance Sharone, vérifie les battements du cœur de l’enfant durant toute la journée, chaque 15 minutes. Vers 19 heures, lorsque ses douleurs se font plus persistantes, on lui dit une nouvelle fois de patienter. «Vers 22h30, je ne pouvais plus supporter ces douleurs. Je suis allée voir la responsable de la salle dans laquelle je me trouvais. Elle m’a examinée et m’a dit que mon col était dilaté d’environ cinq centimètres et m’a conduite en salle de travail. Là-bas, deux sages-femmes sont venues en renfort et m’ont conseillée de ne pas pousser, car je risquais de provoquer des déchirures au niveau de mon col. J’ai suivi leurs conseils. Elles sont reparties. L’une d’elles, est allée dormir, me laissant seule», relate Sharone, les larmes aux yeux.

 

Livrée à elle-même en salle de travail, Sharone craque. Elle se ressaisit ensuite, réfléchit, se tourne et se retourne, mais ne voit pas pour autant le temps avancer tant sa douleur est immense. À 1 heure du matin, lorsqu’un médecin vient l’examiner, elle croit voir enfin la lumière au bout du tunnel. Mais non. «Ce médecin m’a dit qu’il y avait du temps avant l’accouchement. À 1h50, c’est lui-même qui m’a annoncé que le bébé avait fait ses besoins dans mon ventre. J’ai paniqué. Je savais que ce n’était pas bon signe.»

 

Peu de temps après, Sharone accouche de son bébé avec toutes les peines du monde, aidée de deux sages-femmes. Elle lutte de toutes ses forces, tient le coup en pensant tout de même au pire. «Une fois le bébé sorti, les sages-femmes étaient paniquées. Elles demandaient en hurlant qu’on appelle un médecin, puis elles ont pris le bébé et sont parties.» Sharone n’entend pas pleurer son bébé. Lorsque le médecin se montre, elle a juste le temps de lui dire une phrase : «Sov mo ti baba.»

 

Mais alors qu’elle est toujours sur son lit de travail et qu’on lui pose des points de suture, on lui annonce une terrible nouvelle. «On m’a annoncé froidement que mon bébé n’avait pas survécu et que le personnel soignant avait tout fait pour le sauver.» La triste nouvelle ne tarde pas à parvenir à son compagnon qui voit son monde s’écrouler. «L’hôpital a téléphoné à ma sœur qui m’a appelée à son tour. Je me suis rendu immédiatement à l’hôpital où j’ai appris ce qui était arrivé. On m’a dit que le bébé était mort dans le ventre de sa mère, alors qu’ils ont fait croire à Sharone qu’ils avaient tout fait pour sauver le petit après sa naissance», s’insurge Junior Paul.

 

Longue attente

 

Pourtant, les neuf mois de grossesse s’étaient très bien passés, à en croire Sharone Raya. Employée au  CEB de la rue Desforges à Port-Louis, elle suit ses traitements au dispensaire de St François. Au septième mois de grossesse, elle est dirigée vers l’hôpital Jeetoo pour son suivi. «À ce moment-là, on m’a dit que je devrais accoucher par césarienne, car l’enfant se présentait par les pieds. Mais au huitième mois, il avait changé de position et donc, je pouvais accoucher normalement. À mon avis, on a trop attendu pour me faire accoucher», souligne la jeune femme.

 

Sharone, Junior Paul et toute la famille avaient déjà tout préparé pour accueillir ce nouveau membre tant attendu. Le berceau, les vêtements et autres affaires du bébé avaient été choisis avec soin. Aujourd’hui, un voile de détresse a tout envahi. Malgré cela, Sharone et Junior Paul veulent se battre pour connaître la vérité. Si la responsabilité du personnel s’avère, cela évitera peut-être à d’autres parents de connaître l’immense peine de perdre un enfant et permettra à d’autres «petits anges» de venir au monde sains et saufs.

 

Classement sur la maternité : Maurice dégringole de 14 places selon «Save the Children»

 

Notre île est le 70e meilleur pays sur une liste de 179 où une femme peut accoucher. C’est ce qu’indique le classement annuel de l’ONG Save the Children, rendu public le lundi 4 mai. Maurice dégringole ainsi de 14 places, car l’année dernière, elle se positionnait à la 56e place du classement. Selon Save the Children, 1 mère sur 900 meurt à Maurice en donnant naissance à son enfant, alors qu’en 2014, l’ONG faisait état d’un taux de mortalité de 1 mère sur 1 000.

 

Dans son rapport, l’organisation souligne aussi la disparité qui existe et qui se creuse davantage entre la prise en charge des mères issues de milieux aisés et celles de classes plus démunies. Selon Save the Children, l’accès aux traitements est difficile à travers le monde pour les femmes enceintes qui ne peuvent pas se les payer. C’est la Norvège qui se positionne comme le meilleur pays où une femme peut accoucher, suivie de la Finlande qui a chuté d’une place par rapport à l’année précédente. Mais ce qui choque, c’est que les dix derniers pays du classement sont tous du continent africain. À l’instar de la Sierra Leone (169e, ex-aequo avec Haïti), de la République centrafricaine et de la République démocratique du Congo.

 

Le ministère de la Santé s’explique

 

Selon le service de presse du ministère de la Santé, une enquête interne a été ouverte pour situer les responsabilités dans ce cas de négligence médicale alléguée. Et selon un premier rapport établi, Sharone Raya aurait été examinée par deux médecins le jour de son accouchement. «Elle a été examinée par un spécialiste en gynécologie dans un premier temps. À ce moment-là, la patiente ne saignait pas abondamment. Et le bébé allait parfaitement bien dans le ventre de sa mère. Il n’y avait alors aucune indication qui laissait croire qu’une césarienne était nécessaire», indique le service de presse. Celui-ci précise qu’il n’y avait pas de spécialiste en gynécologie le soir de l’accouchement, le système de présence de spécialistes 24h/24 dans les hôpitaux n’étant toujours pas en vigueur. «Les spécialistes sont ‘‘on call’’ comme on dit. Quand il y a une urgence, on les appelle et ils viennent. La patiente avait également été vue par un médecin généraliste. Nous avons reçu une plainte en écrit et le ministère va enquêter pour faire la lumière sur ce cas.»

Publicité