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Par Elodie Dalloo
26 juillet 2021 15:33
Ti Papa, Dada, Pichoune ; les petits surnoms que ses proches lui donnaient étaient nombreux. Malheureusement, ces derniers n'auront plus jamais l'occasion de l’appeler ainsi, sauf pour parler de lui au passé, pour évoquer des souvenirs d’une vie heureuse. Pour cause, Don Nigel Eric Suntah, un jeune papa de 24 ans, s’en est allé de manière brusque, tragique et surtout injuste, il y a une semaine. Il a été victime d'un accident de la route en rentrant du travail vers la mi-journée, le dimanche 18 juillet, et a succombé à ses blessures avant même d'avoir pu être conduit à l'hôpital. La manière dont le SAMU a géré ce cas est fortement décriée par sa famille et des témoins.
Ce vendredi 23 juillet, une atmosphère pesante règne au domicile de la famille Suntah, à Vacoas. Quelques jours à peine se sont écoulés depuis le décès de Nigel et ses proches ont toujours du mal à faire face à cette douloureuse épreuve. Shirley, sa mère, regrette terriblement l'ambiance qui régnait sous son toit à l’époque où l'aîné de ses quatre enfants était encore de ce monde. Elle s'était habituée à ses remarques infantiles mais affectueuses au quotidien.
C'est avec nostalgie qu'elle se remémore tous ces petits moments autrefois si insignifiants mais qui, aujourd'hui, lui manquent énormément. «Les commentaires de mon fils tous les matins parce que je n'avais pas encore préparé le thé, ou encore entendre mes enfants se disputer devant un match de foot… La maison était toujours très animée. Comme dans toutes les familles, les disputes étaient nombreuses mais il y a toujours eu beaucoup plus de joie et d'amour», lâche la maman avec une tristesse infinie.
Depuis le départ tragique de Nigel, la vie reprend difficilement son cours pour cette famille. Alors qu'elle est, elle-même, très affligée par la perte de son fils chéri, Shirley éprouve encore plus de peine en voyant souffrir ses autres enfants qui craignaient mais adoraient leur frère. Il était un exemple de débrouillardise et de détermination pour eux. «Mon cadet, Jason, est inconsolable. Ma fille, elle, a beaucoup souffert durant les deux premiers jours ayant suivi le décès de son frère. Ce n'est que lorsqu'elle a repris l'école qu'elle s'est sentie mieux. Elle a reçu beaucoup de soutien de la part de ses enseignants et camarades.» En ce qui concerne le petit dernier, qui est également le filleule de Nigel, «il est conscient de ce qui s'est passé mais éprouve beaucoup de mal à exprimer sa douleur».
L’existence des Suntah a basculé le dimanche 18 juillet. Ce jour-là, Nigel a été victime d'un accident à Floréal Road, Vacoas. La victime, qui était opérateur à l'usine PhoenixBev, rentrait du travail lorsque le drame s'est produit. Est-ce la fatigue qui l'a amené à perdre le contrôle de son scooter, lui qui travaillait 7 jours sur 7 ? Ses proches se le demandent car Nigel avait toujours été très prudent en conduisant. Quoi qu'il en soit, en arrivant à quelques mètres du garage Hexagon, il a dérapé et a heurté lourdement une pierre en tombant, se blessant grièvement à la tête.
Un témoin de la scène a aussitôt alerté le SAMU mais celui-ci aurait mis une heure pour arriver sur les lieux, qui plus est sans médecin et sans avoir apporté les équipements nécessaires pour prodiguer les premiers soins au blessé (voir hors-texte). En chemin vers l'hôpital Victoria, le jeune homme a poussé son dernier soupir. Des connaissances ont alors alerté son petit frère Jason qui a, à son tour, confirmé la nouvelle de son décès sur place, avant de l'annoncer aux membres de son entourage.
Depuis, la famille de Nigel remonte difficilement la pente. «Ce n'est pas facile d'accepter cela, c'est un coup vraiment brutal. Il était à deux pas de chez nous et nous n'avons rien pu faire», se désole Shirley. Mais ce qui l'attriste davantage, c'est que son fils aurait peut-être pu être sauvé si les services de premiers secours avaient bien fait leur travail. «Les choses se seraient probablement passées autrement si le SAMU était arrivé à temps et avait apporté avec lui le matériel approprié pour le maintenir en vie jusqu'à l'hôpital. N'y a-t-il pas d'ambulances spécifiques pour ce type d'urgence ? C'est dur de se dire que rien n'a été fait pour sauver la vie de mon fils. Si Nigel avait perdu la vie alors que tout avait été fait dans les règles, son décès aurait été plus facile à accepter.» Elle est terriblement révoltée contre ce service : «Il s'agit d'une négligence de leur part. J'espère que justice sera faite. Rien ni personne ne pourra me rendre mon fils mais j'espère que cela n'arrivera pas à d'autres familles. Combien de fois d'autres victimes ont perdu la vie dans les mêmes circonstances ?»
Anaïs, la compagne de Nigel, est tout aussi bouleversée par la disparition tragique et injuste de Nigel. Elle a connu le jeune homme il y a une dizaine d'années au collège mais cela faisait quatre ans qu’ils étaient en couple. Ensemble, ils ont eu une fille, Alaiya, aujourd'hui âgée d'un an et demi. «Son arrivée était inattendue, certes, mais nous l'avons vécue avec beaucoup de bonheur», confie la jeune femme, visiblement désemparée. Elle regrette amèrement que Nigel ne soit plus de ce monde pour voir grandir sa fille, alors qu'il avait déjà tout prévu pour son avenir. «Il espérait qu’Alaiya partagerait un jour sa passion pour l'athlétisme, vu qu'il avait lui-même été champion de 100 mètres et de 200 mètres au collège, ainsi que pour la danse. Il voulait aussi faire de son mieux pour lui donner une bonne éducation. Il était un papa sévère mais très affectueux. Sa fille était toute sa vie, il était prêt à tout pour elle. Alaiya ne peut peut-être pas parler pour le réclamer mais elle est visiblement très perturbée par son absence.» Malheureusement, père et fille ne pourront plus danser sur des chansons de Blakkayo – l'artiste préféré de Nigel –, comme ils le faisaient autrefois.
Le jeune homme avait des projets plein la tête. Si ce passionné de football n'avait pas encore parlé de mariage, il rêvait de faire construire une maison pour sa petite famille afin que celle-ci ne manque de rien. Il voulait aussi aller passer des vacances avec sa compagne et leur petite fille à Rodrigues l'an prochain. Anaïs raconte avec douleur : «Nigel était une personne aimante, mature, généreuse, responsable et un papa formidable ; il avait toutes les qualités qu’on peut rechercher chez un homme. Si le SAMU n'avait pas autant tardé à arriver sur les lieux, il serait peut-être toujours parmi nous aujourd'hui.» Elle est, elle aussi, convaincue qu'il aurait pu être sauvé si le service d’urgence avait bien fait son travail.
Des hommages d'amis et de proches de Nigel ont plu sur les réseaux sociaux. Tous sont d'accord que ce qui leur manquera le plus, c’est sa bonne humeur. «Il était un bon vivant, toujours prêt à faire des blagues. Il apportait la joie de vivre. Lors des festivités, il était celui qui mettait de l'ambiance et faisait rire tout le monde, il était un peu notre rayon de soleil. Il nous montrait son amour en nous taquinant. Il avait l'air d'un dur à cuir mais avait un coeur en or. Rien ne sera plus pareil sans lui», lâche sa mère. Il plaisantait toujours en répétant à son entourage : «Mwa mo enn lerwa, personn pa pou kapav bliye mwa». Ses proches en ont eu la preuve le jour de ses funérailles, le lundi 19 juillet. «Je savais qu'il était très apprécié mais pas à ce point. Je n'ai entendu que des éloges sur lui.» Ses collègues ont aussi observé, sur leur lieu de travail, une minute de silence pour lui rendre hommage. Tous se demandent s’ils parviendront un jour à accepter le départ de cet être cher parti trop tôt, beaucoup trop tôt…
Elle n'est peut-être pas un membre de la famille de Nigel mais elle est tout aussi affligée par les circonstances dans lesquelles celui-ci a trouvé la mort le dimanche 18 juillet. Cette habitante d'Eau-Coulée, qui a souhaité garder l'anonymat, fait partie des personnes ayant porté assistance au jeune homme après sa sortie de route. Elle remet en cause le SAMU dans ce drame.
Notre interlocutrice raconte : «Ce jour-là, je suis passée près du lieu de l'accident environ deux minutes après qu'il se soit produit. En voyant le jeune homme gisant sur la route, je me suis dit que je devais m'arrêter. Je suis descendue de la voiture et j'ai tout de suite couru vers lui. J'ai tâté son pouls et en m'apercevant qu'il était toujours vivant, j'ai pris le téléphone de mon époux pour contacter le SAMU.» Presque aussitôt, un véhicule de police est arrivé. D'autres témoins sont aussi arrivés sur les lieux et ont contacté le SAMU. «L'opérateur a répondu qu'ils avaient déjà été alertés et qu'ils étaient en route.»
Durant les minutes suivantes, Nigel continuait de souffrir atrocement. Placé sur un matelas, il a d'abord été examiné par un médecin volontaire habitant non loin du lieu de l'accident. «Cela s'est produit juste devant ma maison. De bon coeur, je suis venue en aide au jeune homme. Ce n'est pas la première fois qu'un accident se produit en ces lieux et que j'interviens. Je lui ai apporté les premiers soins car il était toujours en vie. Nous avons à nouveau appelé le SAMU pour lui dire de venir de toute urgence accompagné d'un médecin car l'état du jeune homme était grave», raconte le médecin.
D’après l'habitante d'Eau-Coulée, c’est une heure environ après le premier appel que le service d’urgence est arrivé sur place, suivi d'autres policiers. À la grande surprise de tous ceux présents, il s'agissait d'une ambulance non-médicalisée. «Il n'y avait pas l'équipement nécessaire pour attribuer les premiers soins à Nigel. Rien pour lui maintenir la tête, alors qu'il souffrait d'un skull fracture, pas de cintres pour l'attacher mais surtout, le SAMU est arrivé sans médecin. Il n'y avait que le chauffeur et l'aide-chauffeur. Lorsque nous les avons questionnés, ils ont répondu qu'ils n'étaient pas au courant de la gravité de sa blessure alors que nous les avions alertés dessus. Nous avons à nouveau appelé le SAMU pour qu'une autre ambulance vienne sur place mais celle-ci n’est jamais arrivée. Le SAMU a vraiment fauté.»
C'est finalement un jeune volontaire qui s'est proposé d'accompagner Nigel dans la première ambulance. D'après lui, il y avait sept autres véhicules de premiers secours dans l'enceinte de l'hôpital Victoria, à Candos, à leur arrivée sur place et la deuxième ambulance ne serait jamais sortie. Entre-temps, Nigel avait déjà succombé à ses blessures en chemin vers l'hôpital après avoir beaucoup souffert.
D'après une source du ministère de la Santé, une enquête interne a été initiée lorsque celui-ci a été mis au courant de ce cas. Un rapport a été soumis après l’obtention des versions du SAMU et du HRD de l'hôpital Victoria. D'après les registres, le premier appel a été reçu à 11h50 et les ambulanciers sont arrivés sur place à 12h15. Malheureusement, explique notre interlocuteur, les autres ambulances n'ont pu faire le déplacement car ils étaient déjà pris sur d'autres cas. Le temps que le SAMU arrive sur les lieux, assure-t-il, la communication était constante avec le médecin qui se trouvait déjà sur les lieux.
Il est resté entre la vie et la mort pendant plusieurs jours mais ses atroces blessures ont finalement eu raison de lui. Une autopsie a conclu qu'il avait succombé à des cranio-cerebral injuries. Tochukwu Alex Nwankpa, un étudiant nigérian de 24 ans, avait été violemment percuté par une fourgonnette, le mercredi 14 juillet, à l'avenue Leclezio, Moka. Grièvement blessé, il a été conduit à l'hôpital Dr Jeetoo par ambulance et a été admis à la Neuro Intensive Care Unit. Le conducteur de la fourgonnette, un Français de 54 ans, a été soumis à un alcotest qui s'est révélé négatif. Il a expliqué aux enquêteurs qu'il venait de Montagne-Ory et circulait en direction de Telfair lorsque le jeune homme, qui était pourchassé par des chiens errants, est soudainement apparu devant son véhicule. Il n'a pu l'éviter. Une accusation provisoire d'homicide involontaire a été logée contre lui. Une enquête a été ouverte pour faire la lumière sur les circonstances de ce drame.
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