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Par Yvonne Stephen
8 juin 2015 03:34
L’espace d’un instant, l’assourdissante mélodie de la foule devient murmure. Les flashes des photographes s’estompent. Seule la luminosité de cette belle journée éclaire deux visages. Le temps s’arrête. Ameenah Gurib-Fakim se penche pour dire quelques mots à sa mère avant de sourire. Un moment de complicité qui ne dure que quelques secondes. Feeldoss, elle, ne quitte pas sa fille. Comme pour l’irradier de son bonheur. Comme pour l’accompagner de son amour. La présidente de la République vient de prêter serment il y a quelques minutes devant un parterre de personnalités, en ce vendredi 5 juin.
Des poignées de main aux accolades, Ameenah Gurib-Fakim reçoit les félicitations de ceux présents. Sollicitée de toute part, elle accorde à chacun quelques minutes de son précieux temps. Quelques mots, quelques éclats de rire. Pour la laisser profiter pleinement de ce moment, où elle ne leur appartient plus vraiment, ses proches, à l’exception de sa maman, se tiennent un peu à l’écart. Dans l’imposante salle de réception du château du Réduit, Ameenah Gurib-Fakim n’est plus tout à fait leur fille, leur épouse, leur sœur ou leur mère. Mais une chef d’État. Un personnage public.
Photo de famille pour la nouvelle chef d’État avec son frère Salim (3e à partir de la gauche) et sa fille Imaan à côté d’elle.
La présidente, elle, jette régulièrement des regards vers sa fille et son père. Message d’amour silencieux. Cette reconnaissance, c’est la sienne. Mais aussi celle de sa famille. Lors de ce moment d’exception, où tous les regards sont braqués sur elle, ses proches célèbrent, eux, la femme qu’elle est. Celle qu’ils côtoient dans l’intimité. Celle qui est le pilier de leur foyer. C’est cette femme-là que nous leur avons demandé de raconter au travers de leurs souvenirs.
Sa naissance à Surinam. Il émane d’Assenjee Gurib, en ce jour de joie, un bonheur tranquille. On l’imagine peu démonstratif au quotidien. Néanmoins, l’événement est trop important. Son émotion transparaît, malgré son stoïcisme, dans ses yeux et dans sa voix. Heureux de converser, il répond à toutes les sollicitations avec bienveillance. Et nous parle, avec beaucoup de plaisir, du jour de la naissance de son premier enfant. Ou, du moins, du jour où il a appris qu’Ameenah venait de naître. C’était le matin du dimanche 17 octobre 1959. Il se trouvait chez eux à Plaine-Magnien : «C’était la tradition. Mon épouse devait aller accoucher chez ses parents à Surinam.»
Alors que Feeldoss a accueilli sa petite demoiselle, ce n’est que le lendemain qu’Assenjee apprend la bonne nouvelle : «C’est mon petit beau-frère qui est venu m’annoncer sa naissance. Il n’y avait pas de téléphone à cette époque.» Il se rappelle de la joie qu’il a ressentie. Du bonheur d’être père. Cet ancien enseignant du primaire a, dès ce moment-là, su qu’il offrirait les mêmes chances à sa fille que celles qu’il offrirait, plus tard, à son fils Salim : «C’était ma philosophie. L’éducation pour tous. Sans aucune distinction.»
«Un peu orphelin». Justement, d’un signe de la tête, il nous indique son fils. Salim est arrivé de France la veille de la prestation de serment. Un voyage improvisé pour ne pas manquer ce jour historique pour le pays et pour sa famille. D’ailleurs, pour en imprimer chaque instant dans sa mémoire, il arpente, les mains croisées dans le dos, la belle terrasse et la salle de réception de la State House : «Il fallait que je sois là. C’est l’événement d’une vie. Je n’aurai pas une autre chance de voir ma sœur prêter serment en tant que présidente. C’est beaucoup d’émotions. Elle mérite cette consécration.» De beaux souvenirs avec sa sœur, il en a beaucoup, explique-t-il : «Mais ça relève de notre intimité.» Néanmoins, il veut bien en partager un : «Quand elle est partie faire ses études universitaires en Angleterre, je me suis senti un peu orphelin. Nous étions toujours à deux. Mais je me rappelle que j’ai repris sa chambre.»
Une histoire d’œuf. Un peu plus loin, Imaan prend le soleil en admirant le beau jet d’eau du jardin du Réduit. Petite robe noire et chaussures nude. L’adolescente vit ce moment comme sur un nuage : «C’est difficile de réaliser ce qui se passe.» Une maman présidente de la République, c’est vrai que ce n’est pas anodin : «Je sais que les choses vont changer, mais je ne sais pas encore comment.» Elle se remémore la première fois que sa mère lui a parlé de chimie : «C’est un souvenir fort pour moi. Un moment qui m’a marquée.» À l’époque, elle a 4 ans et Ameenah Gurib-Fakim lui prépare des œufs au plat : «Nous étions dans la cuisine. Je lui ai demandé comment quelque chose de translucide pouvait devenir blanc et opaque d’un coup. Elle m’a dit que c’était ça la chimie, qu’une fois cuit, l’œuf ne serait jamais plus comme avant.»
Le fils d’Ameenah Gurib-Fakim, Adam, qui étudie en Angleterre, est le grand absent de cette cérémonie : «Il n’a pas pu se libérer. Ça s’est fait tellement rapidement. Mais ce soir, nous lui parlerons certainement sur Skype.»
Tellement de souvenirs. Anwar Fakim, l’époux de madame la présidente, préfère, lui, ne retenir aucun souvenir : «Il y en a tellement.» Il est difficile de résumer de nombreuses années de mariage, l’arrivée de deux enfants devenus grands et une vie remplie de succès pour l’un comme pour l’autre en l’espace d’une anecdote. Néanmoins, l’homme discret veut bien faire un petit effort : «Si vous insistez, je vais dire aujourd’hui, le jour de la prestation de serment. Parce que c’était tellement inattendu. Elle nous a apporté régulièrement de belles surprises. Les unes plus grandes que les autres. Mais sa nomination en tant que présidente de la République est la plus importante.» Comment envisage-t-il son rôle, désormais ? Anwar Fakim estime qu’il sera plus «observateur que participant».
Ameenah Gurib-Fakim et son époux Anwar.
«Enn extra bon tifi». Si le chirurgien a opté pour la discrétion, la mère de la scientifique de renom a savouré chaque instant de ce moment d’exception. Comment imaginer que l’enfant qu’on a vue grandir, qu’on a suivie à chaque étape de sa vie puisse occuper un jour le sommet de l’État ? Difficile. Mais on peut imaginer, par contre, sa joie et sa fierté : «Depi li tipti, li enn extra bon tifi», répète-t-elle à plusieurs reprises, en souhaitant nous présenter à tous les membres de sa famille. Feeldoss se souvient des classes primaires de sa fille à l’école Saint-Patrick RCA. De ses années de secondaire aux collèges Lorette de Mahébourg et de Quatre-Bornes : «Tous les trois mois, nous recevions ses résultats et il n’y avait rien à redire. Elle s’est toujours très bien débrouillée.» Rares, se rappelle-t-elle, étaient les coups de fil émanant de l’école pour signaler un problème : «Elle a toujours fait notre fierté.»
Cette fierté illumine le regard de Feeldoss. Surtout quand elle pose ses yeux sur sa fille, qu’elle a souhaité accompagner à chaque étape de sa prestation de serment. Et quand Ameenah se tourne vers elle, cette maman comblée laisse naître sur son visage le plus beau des sourires. Timidement au départ, là au coin de sa bouche. Avant de s’agrandir, d’éclairer son visage et d’illuminer la pièce. Comme celui de son enfant…
• Sir Anerood Jugnauth a dit sa fierté de voir une femme au Réduit alors qu’il est Premier ministre : «Nous avons créé l’Histoire.» Concernant le deal entre lui et le président sortant, Kailash Purryag, il n’en a pas dit plus, confiant uniquement que ce dernier a souhaité que leur accord soit gardé secret. «J’entretiens de bonnes relations avec Kailash Purryag, c’est un homme d’honneur», a tenu à préciser le chef du gouvernement. Le principal concerné n’a pas souhaité faire de déclaration à ce sujet.
Une prestation de serment express pour la scientifique de renommée internationale.
• La cérémonie protocolaire n’a duré que quelques minutes. C’est devant le chef juge Keshoe Parsad Matadeen qu’Ameenah Gurib-Fakim a prêté serment. Un moment inoubliable pour la présidente de la République : «C’est une très grande fierté. J’accueille cet honneur avec beaucoup d’humilité. Je suis très honorée de pouvoir servir mon pays au plus haut niveau. Je n’ai pas établi de priorité pour l’instant.»
• Le walkout du leader de l’opposition Paul Bérenger et de tous les membres du MMM présents, a jeté un froid temporaire sur la cérémonie. Bérenger a estimé que, selon le protocole, il n’aurait pas dû être placé si loin (voir ses explications en page 16). Un sitting arrangement qui lui a fortement déplu !
• Quatre anciens présidents de la République étaient présents lors de la prestation de serment : sir Anerood Jugnauth, Kailash Purryag, Cassam Uteem et Karl Offman.
• Différents membres du gouvernement de l’Alliance Lepep ont assisté à la cérémonie. Parmi lesquels les deux ministres du ML, Ivan Collendavelloo et Anil Gayan. C’est ce parti qui avait proposé de nommer la scientifique à ce poste. Ils ont tous dit leur fierté et leur joie de vivre un tel événement.
Comme le veut la tradition, la présidente de la République a posé pour une photo souvenir avec les membres du gouvernement de l’Alliance Lepep.
Il n’en démord pas. Paul Bérenger estime qu’il a été lésé. Il a, une nouvelle fois, évoqué son walkout du vendredi 5 juin à la State House - cinq minutes avant l’arrivée d’Ameenah Gurib-Fakim - lors d’un point de presse le samedi 6 juin : «Je n’ai pas manqué de respect à la présidente.» D’ailleurs, affirme-t-il, il n’a jamais été contre l’accession de la scientifique au poste du présidente. Bien au contraire. Pour le leader de l’opposition et chef de file du MMM, s’il fallait parler de comportement irrespectueux, c’est sir Anerood Jugnauth qu’il faudrait pointer du doigt : «Ce n’est pas nouveau de sa part. Il humilie toujours l’opposition.» Que le chef du gouvernement ne lui ait pas permis de seconder la motion, votée au Parlement à l’unanimité, pour nommer Ameenah Gurib-Fakim à la présidence est aussi mal passé.
Par ailleurs, il a lancé un appel aux électeurs du PTr pour les prochaines municipales : «Ils savent qu’ils doivent voter pour les candidats du MMM dans l’intérêt du pays.»
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