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Nouveaux décès de patients dialysés : l'incompréhension des proches des victimes

26 avril 2021

Avishna Jena et Sarojini Ramsamy, deux victimes de la semaine écoulée.

Elles sont unies dans la douleur. Mais aussi dans la peine. Car elles partagent toutes le même drame. Celui d'avoir perdu, au fil des dernières semaines, un proche qui était dialysé et qui a été emporté alors qu'il se trouvait en quarantaine et que le coronavirus s'était invité dans sa vie. Cette semaine encore, deux familles se retrouvent endeuillées et déchirées...

 

Avishna Jena, 38 ans, une habitante de Surinam qui était dialysée et avait été testée positive à la Covid-19, est décédée le lundi 19 avril, à l’hôpital de Souillac. Deux jours plus tard, soit le mercredi 21 avril, c'est Sarojini Ramsamy, une habitante de Tyack de 56 ans, également dialysée et positive à la Covid-19, qui a rendu l'âme, allongeant ainsi la triste liste des personnes sous dialyse qui sont mortes au fil des dernières semaines, laissant derrière elles des époux, épouses, enfants, frères et sœurs dans un total désarroi.

 

Depuis le début de la seconde vague de contamination dans le pays, 11 patients qui étaient sous dialyse à l'hôpital de Souillac – deux parmi étaient négatifs au virus – ont ainsi perdu la vie. Et ces dernières semaines, les interrogations autour de ces «nombreux décès» n'ont cessé d'alimenter des débats. Si beaucoup de familles touchées «cherchent à comprendre» comment et dans quelles conditions un des leurs a pu contracter le virus et par la suite mourir, de nombreux Mauriciens se disent également troublés par la situation et s'attendent à ce qu'une enquête soit initiée pour situer les responsabilités.

 

Au courant de la semaine écoulée, lors de la séance parlementaire, le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, a demandé des explications au ministre de la Santé, le Dr Kailesh Jagutpal, sur les nombreux décès de patients dialysés en l'espace de trois semaines. Il a également déposé un document qui fait état d'une plainte pour négligence médicale de la part d'une proche d'une patiente dialysée et il a aussi cité un constat médical publié dans The Lancet à l'effet que le pays a été classé parmi les derniers en matière de traitement de maladies rénales.

 

Comme réponse, le ministre de la Santé a, comme il l'avait déjà déclaré, souligné qu'il «n'avait rien à reprocher au personnel soignant qui s'occupe des patients dialysés en quarantaine» et qu'il n'envisageait pas de mettre sur pied une enquête. Il a toutefois annoncé, ce vendredi 23 avril, qu'un Fact-Finding Committee sera institué pour enquêter sur ces cas (voir texte ci-dessous). Parmi ceux qui se posent des questions sur ces décès de dialysés en quarantaine, il y a également Ivan Collendavelloo, député de la circonscription no 19 et ancien Premier ministre adjoint et ministre de l'Énergie, qui a, à plusieurs reprises, fait part de son inquiétude et de sa colère face à cette situation. Dans ce tourbillon de questions et de compassion pour les victimes, des familles entières se retrouvent à devoir faire face à la réalité et à continuer à vivre sans l'un des leurs, tout en étant tourmentées par les circonstances de ces disparitions.

 

«Elle était tout pour moi»

 

C'est en pleurs que Nalu Jena, l'époux d'Avishna, l'une des deux dernières victimes de cette semaine, revient sur cette terrible épreuve. «Je me retrouve seul. Avishna était tout pour moi. Je me sens tellement accablé. Je n'ai pas de famille ici. Je viens de l'Inde et mon épouse était ma seule famille. On était mariés depuis neuf ans et on est ensemble depuis 12 ans ; c'est vous dire à quel point elle était tout pour moi. Elle était toujours souriante. Je pouvais tout lui dire, tout lui confier. On se disait tout. Elle me rendait heureux et je suis aujourd'hui tellement triste.»

 

Dans sa tête, c’est le flou : «Mo pa kone kouma linn gagn sa viris-la. Mo anvi kone kouma linn gagn sa. Kouma linn mor. Je lui avais parlé au téléphone et elle était très bien. Je ne comprends pas ce qui est arrivé après. J'ai pris de ses nouvelles tous les jours et elle me disait de ne pas m'inquiéter, qu'elle allait rentrer bientôt.» Sollicité, un autre membre de la famille d'Avishna Jena n’a pas voulu commenter ce triste décès. «Qu'on la laisse reposer en paix», nous a-t-il déclaré.

 

Une autre famille se retrouve dans la tourmente. Depuis que les Ramsamy ont appris la terrible nouvelle mercredi dernier, ils vivent un véritable cauchemar. «Nous vivons un moment de grande tristesse et de difficulté. Ce qui s'est passé est inacceptable, surtout les circonstances dans lesquelles mon épouse est décédée. Nous sommes toujours sous le choc et nous sommes en ce moment impliqués dans des cérémonies de prières mais nous prendrons une décision en temps et lieu concernant nos futures actions», nous confie Kishna Ramsamy.

 

Dans toutes les familles liées par la même triste histoire, celle d’avoir perdu un proche qui était en quarantaine et dialysé, le même souhait ardent : «Que les personnes dialysées en quarantaine bénéficient d'un meilleur encadrement.» Keeran Beedassy, l'épouse de Sanjay Beedassy, l'ex-caporal décédé le 29 mars, et actuellement en quarantaine, dit être de tout cœur avec ceux et celles qui souffrent actuellement parce qu'ils ont connu, comme elle, une séparation brutale : «Je sais que mon époux était très malade mais moi, j'aurais voulu que d'autres familles ne vivent pas la même chose si jamais il y a un autre outbreak de la Covid-19. On sait que les personnes dialysées sont vulnérables, on a tous entendu parler de ces décès et il ne faudrait pas que cela se répète. Il faut un meilleur encadrement, à la fois moral et physique, pour ces patients. Je fais un appel pour que les autorités leur donnent les soins appropriés et adaptés à leur situation, et qu'ils ne manquent de rien. Ces personnes ont vraiment besoin de beaucoup de soins...»

 

Cette triste actualité ne manque pas d'interpeller et d'affecter ceux qui sont dialysés. Denis Azor, chanteur et auteur du tube international Ala Lila, partage le chagrin et la colère de tous ceux qui sont actuellement endeuillés. «Je suis inquiet et je pense aussi à mon cas. Je fais mes séances de dialyse à l'hôpital Jeetoo et je ne peux pas ne pas me demander : et si c’était arrivé là-bas ? On n'est pas à l'abri. Je pense que c'est au niveau de la prise en charge que les autorités ont fauté. Les choses n'ont pas été faites comme cela aurait dû l’être. Nous, les patients dialysés, avons besoin d'un certain encadrement. On a besoin de nos médicaments à une heure précise, on doit manger certaines choses adaptées et on doit aussi se reposer. Tout cela fait partie de notre traitement. Si ces choses-là ne sont pas respectées, cela devient dangereux pour les patients. Pour moi, c'est clair qu'il faut une enquête. Ce qui est arrivé est le résultat d'une mauvaise organisation. La prise en charge n'a pas été bien faite. Quand une personne a fini sa dialyse, elle ne peut pas attendre 3 à 4 heures. Ces patients sont fragiles», confie celui qui a commencé la dialyse en 1998.

 

Ces derniers jours ont aussi été pénibles pour les proches d'un autre patient décédé ce mardi 20 avril. Atteint d'un cancer, il avait été testé positif à la Covid-19 et après plusieurs tests négatifs, il avait pu quitter la quarantaine pour poursuivre son traitement contre le cancer.  Toutefois, il n'a pas survécu et tout son entourage se retrouve aujourd'hui à faire son deuil en union avec toutes les familles qui souffrent actuellement après avoir vécu de véritables épreuves à cause de la Covid-19.
 

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