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5 mars 2024 16:40
Alors que leur île, leur terre natale était sous le feu des projecteurs, Franco et Arnaud Poulay, deux militants de la cause agaléenne, n’avaient pas le cœur à la fête. Au moment où se tenait l’inauguration grandiose de la piste d’atterrissage de 3 km de long et de la nouvelle jetée St-James, eux, c’est sous le soleil de Port-Louis, pancartes à la main, qu’ils ont manifesté pour sauver leur terre, leur patrimoine, mais aussi pour défendre la cause des Agaléens qui, disent-ils, se retrouvent une fois de plus mis à l’écart. «Comme nous l’avons toujours dit, c’est un projet qui est dans leur intérêt et pas dans celui des Agaléens. Nous n’avons jamais eu de réponses à nos questions, aucun Agaléen n’a été formé pour travailler là-bas. On ne nous respecte pas en tant que citoyen. Aujourd’hui, c’est une page qui s’ouvre et le peuple d’Agaléga pleure dans son coeur», lance Arnaud Poulay.
Alors, face à ces gros développements dans leur île, ils ont le cœur en berne, attristés et préoccupés par leur avenir. Franco Poulay a, à plusieurs reprises, attiré l’attention sur les problèmes et les manquements auxquels les Agaléens sont confrontés, notamment en matière d’éducation, d’accès aux services de santé et au logement. «Il y a des priorités comme, par exemple, faire de chaque Agaléen un propriétaire de son terrain. Cela fait dix ans qu’aucune maison n’a été construite à Agaléga. Nous n’avons même pas le droit d’acheter des matériaux pour agrandir les maisons où nous vivons et quand vous voyez ce qui se passe en face, ça fait mal.»
Loin de ces préoccupations, le Premier ministre a procédé à l’inauguration en grande pompe des nouvelles infrastructures, entièrement financées par l’Inde, le jeudi 29 février dernier. Narendra Modi a également participé à la cérémonie par visioconférence en direct de l’Inde. C’est à bord de l’ATR72 que Pravind Jugnauth ainsi qu’une délégation mauricienne ont foulé le tarmac. Parmi ceux présents à Agaléga, plusieurs ministres dont Stephan Toussaint, Deepak Balgobin, Sudheer Maudhoo, Anwar Husnoo et Kavi Ramano. L’ambassadrice de l’Inde à Maurice, Nandini Singla, le commissaire de police Anil Kumar Dip, les PPS Ismaël Rawoo et Sandra Mayotte, ainsi que les députés Abbas Salim Mamode, Aadil Ameer Meea du MMM et Eshan Juman du PTr ont également fait le déplacement.
Lors de la cérémonie d’inauguration, Pravind Jugnauth a une fois de plus affirmé qu’il n’a jamais été question, malgré toutes les spéculations, de base militaire indienne. Qualifiant ces développements de phase historique, il a maintenu avec force et conviction que Maurice ne renoncera en aucun cas à sa souveraineté sur Agaléga, dénonçant au passage une «campagne de dénigrement des Indiens». «N’écoutez pas les faussetés qui veulent faire croire qu’il y aura une base militaire ici. Grâce à cet accord avec l’Inde, nous avons pu améliorer les infrastructures maritimes et aériennes tout en permettant une meilleure surveillance de notre zone économique exclusive. Nous serons en meilleure position pour lutter contre le terrorisme maritime, la piraterie et la pêche illégale. Ces infrastructures serviront aussi pour les opérations de recherche et de sauvetage.»
Le Premier ministre indien Narendra Modi, qui est intervenu en direct de l’Inde, a, lui, soutenu que Maurice est un partenaire clé de la grande péninsule en matière de sécurité maritime. «Nous avons des priorités communes et les dix dernières années ont vu un élan sans précédent dans les relations entre les deux pays et de nouveaux sommets de coopération mutuelle ont été atteints. L'Inde a toujours respecté les besoins de Maurice et a agi en tant que premier intervenant.» Face aux défis, les deux pays, dit-il, travailleront ensemble afin d’assurer la sécurité, la prospérité et la stabilité dans la région de l’océan Indien.
Pravind Jugnauth, qui a passé la nuit dans l’île, a aussi procédé à l’inauguration d’autres projets insfrastructurels dont le centre communautaire de Village 25, la Bibliothèque du Nord, la Fourche Fish Landing Station, la Boutique du Nord, le centre polyvalent Sainte-Rita, le kiosque La Pointe du Nord. Toutes ces infrastructures généreront, a-t-il affirmé, de nouveaux emplois pour les Agaléens tout en améliorant leur qualité de vie. Cependant, malgré un discours qui se voulait rassurant, de nombreuses questions restent sans réponse. L’opposition parlementaire et extra-parlementaire ne cesse de réclamer des éclaircissements.
D’ailleurs, au même moment que se tenait l’inauguration à Agaléga, avait lieu ici une manifestation de Linion Moris devant le Parlement et la Cathédrale Saint-Louis pour dénoncer «l’opacité» autour de l’accord entre Maurice et l’Inde. Rama Valayden a dénoncé «un démembrement de notre unité territoriale» : «Une base militaire va contre le principe de l’océan Indien zone de paix. Si effectivement, comme il l’affirme, il n’y a pas de zone militaire et que Maurice va conserver sa souveraineté, pourquoi a-t-il peur de rendre public cet accord ?»
Bruneau Laurette a aussi manifesté dans la capitale pour exiger plus de transparence sur ce dossier : «Le territoire mauricien n’appartient pas à Pravind Jugnauth, ni au MSM, ni à aucun autre parti politique. Il appartient aux citoyens mauriciens et aux Agaléens. Nous ne sommes pas contre les développements, mais nous avons besoin de transparence.» Selon l’activiste, il s’agit bel et bien d’un «remote military base» : «C’est une réplique exacte de la base de Djibouti où je suis allé. Ça a été fait pour pouvoir accueillir des destroyers, des sous-marins et des gros avions comme le B52.»
Présent à Agaléga, Eshan Juman a également insisté sur le fait que l’accord Maurice-Inde doit être rendu public. «Ce sont des développements impressionnants pour une île comme Agaléga. Je salue l’Inde pour sa collaboration avec Maurice. Je prends bonne note de l’affirmation du PM. Nous lui demandons donc de rendre l’accord public.» Le député travailliste a aussi déploré le fait que les Agaléens ne soient pas partie prenante de ces développements et a rappelé que ces derniers doivent rester au coeur de tout projet sur leur île.
Pravind Jugnauth, lui, a une fois de plus tenu à rassurer les habitants d’Agaléga alors qu’il assistait à un match de football, le vendredi 1er mars, opposant l’île du Sud à l’île du Nord. La nouvelle piste et la jetée, affirme-t-il, va sans aucun doute améliorer leur quotidien. «Cela facilitera grandement la qualité de la vie des habitants. Ne serait-ce que par l’acheminement plus simple et rapide des produits. Le débarquement sera aussi plus rapide.» S’il a déclaré que les vols commerciaux ne sont pas envisagés pour le moment, il a, par contre, évoqué un hopital dernier cri pour les officiers indiens sur place et les Agaléens, car ce sera «désormais plus facile pour le personnel, que ce soit médical ou enseignant, de faire le déplacement vers Agaléga». Cet établissement hospitalier, qui vient d’être dévoilé, sera prochainement opérationnel. En ce qui concerne le problème de logement, le PM dit concéder que son gouvernement avait promis la construction de 50 maisons à Agaléga et que le projet ne s’est pas concrétisé jusqu’ici, mais la volonté, dit-il, est là.
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