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Nouvelles négociations sur les Chagos : la communauté enthousiaste, mais réaliste

14 novembre 2022

Olivier Bancoult, Marie Sabrina Jean et Jean-François Nellan espèrent que les Chagossiens feront partie des négociations.

La nouvelle est tombée, alors que personne ne s’y attendait. Le jeudi 3 novembre, Pravind Jugnauth annonçait au Parlement la décision de la Grande-Bretagne d’ouvrir les négociations avec Maurice en ce qui concerne le litige qui oppose les deux pays sur le dossier des Chagos. Au même moment, James Cleverly, Secretary of State of Foreign Commonwealth and Development Affairs, annonçait, dans une déclaration au Parlement britannique, que son gouvernement s’apprêtait à négocier avec Maurice pour trouver un accord rapidement. Une annonce qui a pris tout le monde, et plus particulièrement la communauté chagossienne, par surprise.

 

Il faut dire que personne ne s’attendait à un tel revirement de situation quand on connaît la position unilatérale de la Grande-Bretagne de ne pas céder la souveraineté sur l’archipel des Chagos malgré le combat acharné de Maurice et les avis internationaux défavorables à son entêtement. Le fait que ce pays accepte finalement «d’engager des négociations constructives en vue de parvenir à un accord au début de l’année prochaine» est un développement de taille qui a déclenché une vague d’espoir chez ceux qui se battent depuis des années pour un retour sur leur terre natale.

 

Jacqueline Alfred du Groupe Réfugiés Chagos, dont les parents sont tous les deux nés à Diego Garcia, salue cette nouvelle que sa famille et elle ont accueilli avec joie. «Mes parents ont toujours voulu retrouver leur île natale. Malheureusement, mon papa est décédé sans pouvoir réaliser son rêve et ma maman est aujourd’hui trop âgée pour pouvoir faire le voyage. Cependant, je suis sûre qu’ils seront très heureux si un jour leurs enfants et petits-enfants peuvent s’y rendre librement.»

 

C’est donc pleins d’espoir que Jacqueline Alfred et les siens attendent un heureux dénouement dans cette lutte dans laquelle ils sont impliqués depuis de longues années. «Nous, comme tous les membres de la communauté chagossienne, espérons pouvoir remporter cette bataille. Cela fait longtemps que nous attendons et nos aînés ont beaucoup souffert de cette situation. Nous espérons que les gouvernements mauricien et britannique arriveront à un consensus très bientôt.»

 

Pour Olivier Bancoult, leader du Groupe Réfugiés Chagos, rien que le fait que la Grande-Bretagne soit désormais ouverte aux discussions est un pas en avant. «Après tant d’années de bataille, que les Anglais prennent enfin la décision de lancer les négociations est une très bonne chose. Je peux vous dire que la majorité de la communauté chagossienne accepte cette nouvelle avec joie, surtout les natifs qui sont les premiers à avoir subi cette injustice. Le plus important, c’est qu’ils ont parlé des problèmes qui sont reliés aux anciens habitants des Chagos. L’histoire vient de prouver que la lutte que le Groupe Réfugiés Chagos mène a son empreinte.»

 

Cependant, comme cela a été mentionné par plusieurs observateurs, il faudrait rester prudent et lucide dans cette nouvelle étape. Des questions sur ces négociations, qui restent pour l’heure encore vagues, demeurent entières. Pour Olivier Bancoult, il est important que la communauté se consulte pour pouvoir parler de ses conditions. D’ailleurs, le Groupe Réfugiés Chagos tient aujourd’hui même une Assemblée générale pour passer en revue cette nouvelle donne et ses implications. «Nous devons nous préparer. Au Groupe Réfugiés Chagos, c’est comme ça que nous fonctionnons. Nous sommes tournés vers la communauté. Oui, la volonté de négocier est là mais il y a des choses que nous voulons savoir car nous sommes les premiers concernés. D’abord, la communauté chagossienne doit être partie prenante de tout ce processus. Nous allons nous concerter, discuter pour savoir ce dont nous avons besoin et pouvoir amener ça sur la table des négociations.»

 

Condition

 

Toutefois, les divisions au sein de la communauté chagossienne sont connues de tous. S’ils sont nombreux, principalement les natifs, à militer pour et à espérer un retour sur leurs terres, beaucoup ne se sentent pas concernés par la bataille de Maurice pour retrouver sa souveraineté sur l’archipel des Chagos et se considèrent avant tout britanniques. Pour Jean-François Nellan de la Chagossian Voices, groupe qui évolue au Royaume-Uni, il est important de rester vigilant. Pour lui, c’est une nouvelle à prendre avec des pincettes. «D’accord, il y a eu une déclaration sur l’ouverture des négociations, mais ce n’est pas clair. Qu’est-ce qu’il y a derrière ? Va-t-on négocier sur le plan maritime, environnementale, sécuritaire ? On ne sait pas. L’Angleterre doit prendre une décision mais nous devons faire attention, surtout quand on entend une certaine implication de l’Inde qui est choquante.»

 

C’est, poursuit-il, l’intérêt des Chagossiens qui doit primer avant tout. «Nous savons tous que les Chagossiens n’ont jamais été inclus dans quoi que ce soit, alors que nous sommes les premiers concernés, les premières victimes. Aujourd’hui, c’est peut-être un pas positif pour le gouvernement de Maurice mais les Chagossiens auront quoi à gagner là-dedans ? Ce que nous demandons aujourd’hui, c’est que les Chagossiens soient partie prenante des discussions. Si on ne veut pas discuter avec nous, qu’il y ait la présence d’un arbitre indépendant.»

 

Sabrina Jean, présidente de la branche britannique du Groupe Réfugiés Chagos, estime, pour sa part, qu’il est important de faire attention au mot «négociation» et à ce que cela implique vraiment. Comme les autres, elle souhaite la présence des Chagossiens sur la table des négociations. «Je crois que c’est définitivement un pas en avant pour la communauté dans son ensemble. Malgré nos différences, nous menons cette guerre pour les mêmes raisons, c’est-à-dire le droit de retour sur notre île. Mais, pour cela, il faut que nous fassions partie des discussions. Je demande donc au gouvernement britannique et mauricien de respecter cela et d’inclure les Chagossiens de Maurice, d’Angleterre et des Seychelles.»

 

C’est, lance Sabrina Jean, un élément essentiel si la communauté veut faire entendre sa voix. «L’histoire ne doit pas se répéter. Nous savons tous que Maurice a toujours lutté pour la souveraineté sur les Chagos mais notre voix est primordiale dans cette bataille. Nous devons connaître la position des Chagossiens dans les marches à suivre et leur permettre de prendre leur propre décision.» C’est, confie Sabrina Jean, tout ce qu’elle espère.

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