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4 avril 2023 00:12
Atteinte à l’artiste, à la femme. C’est le sentiment qui anime beaucoup de Mauriciens depuis mardi. Ce jour-là, le Premier ministre a brandi une photo de la chanteuse Jasmine Toulouse au Parlement, où on la voit avec le présumé caïd Franklin, alléguant du coup une connexion entre les deux. C’était lors d’une séance parlementaire où plusieurs députés ont brandi des photos de politiciens avec des personnes suspectées de délits liés à la drogue.
Lorsqu’elle a appris tout ce qui se passait au Parlement, Jasmine Toulouse a posté une vidéo dans laquelle elle fustige Pravind Jugnauth et Alan Ganoo, annonçant également avoir perdu un contrat pour un prochain concert suite à toute cette histoire. Bien sûr, les réactions ne se sont pas fait attendre. Des artistes, politiciens et autres citoyens lambda se sont dit indignés.
Au Parlement, ceux qui siègent ont l’immunité parlementaire, ce qui limite les poursuites légales. Si Pravind Jugnauth n’avait toujours rien dit à l’heure où nous mettions sous presse, le ministre Alan Ganoo, qu’on a vu tendre la photo à Pravind Jugnauth dans l’hémicycle, s’est expliqué vaguement dans une vidéo de Radio One, disant que c’est le PM qui lui avait demandé ce cliché et que celui-ci date…
Jasmine Toulouse, pour sa part, nous a confié : «Je suis sereine et heureuse de tout ce soutien. Et ce move d’une grande bassesse me donne presque envie de revenir faire de la politique active. Quant à Franklin, oui, c’est quelqu’un que je connais depuis tout petit puisque nous sommes de la même localité. Ce n’est pas un ami pour autant et je ne suis pas complice de quelqu’un juste parce que j’ai fait une photo avec lui. D’ailleurs, les artistes font des centaines de photos avec d’autres personnes tout le temps. Quant à l’organisateur du concert, il m’a dit que nous allons travailler dans le futur, même si je trouve qu’il a manqué de courage.» Toutefois, la chanteuse n’a pas voulu nous en dire plus sur ce prochain concert ou au sujet de l’organisateur.
Le samedi 1er avril, les membres du collectif Fam Ape Zwenn (FAZ) se sont mobilisés pour une rencontre très conviviale avec Jasmine Toulouse à Rivière-Noire. Dans un communiqué, le collectif a notamment dit : «Les photos ne sont pas des preuves de culpabilité par association dans aucune instance publique (…) Nous condamnons sévèrement que le Premier ministre ait brandi une photo de Jasmine Toulouse ; la nommant, parlant d’elle en tant que candidate MMM avec quelqu’un qu’il… ne nomme pas (…) On est sidérés par cette IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE sélective. Nommer une personne non membre de l’Assemblé nationale enfreint les pratiques d’usage de bonne gouvernance (…) On constate avec indignation et effroi l’effet collatéral immédiat : l’annulation du contrat de l’artiste Jasmine Toulouse. Nous, membres de FAZ, nous lui apportons notre soutien indéfectible.»
Les politiciens ne se sont pas fait prier non plus. Lors de la conférence de presse du MMM le samedi 1er avril, Paul Bérenger a parlé de la «lâcheté dégoûtante» de Pravind Jugnauth et d’Alan Ganoo. La veille, Arvin Boolell, lors de la conférence de presse du PTr, a aussi déploré un «acte lâche envers une artiste et une femme. La vie d’un artiste est difficile et on lui arrache enn bouse manze». Jeudi, l’ancienne ministre Sheila Bapoo s’est aussi exprimée : «Ce que le Premier ministre a fait à une femme, une artiste, est très condamnable, d’autant que l’artiste a perdu des contrats. J’espère qu’il viendra présenter ses excuses.» Par ailleurs, Patrick Assirvaden du PTr a écrit une lettre mercredi, demandant des explications au Speaker – qui devrait donner un ruling ce mardi sur les photos brandies dans l’hémicycle – et réclamant des excuses à Pravind Jugnauth.
Et bien sûr, il y a eu la levée de boucliers de toute la communauté des artistes qui ont affiché leur soutien intense à Jasmine Toulouse sur les réseaux sociaux et ailleurs. Bruno Raya, qui s’y connaît en organisation de concerts, nous proposant deux dates cette année pour le Festival Reggae Donn Sa, tout en étant membre de l’Association des Auteurs Compositeurs Mauriciens, déclare : «On ne peut pas venir brandir des photos comme ça à tout va au Parlement. Donc, demain, on pourrait brandir une photo de moi ou d’un autre artiste au Parlement, avec les conséquences de perdre des contrats pour des concerts ? Et puis, un artiste fait des photos avec tout le monde, ça fait partie du job. Justement, l’organisateur du concert semble subir des pressions pour avoir annulé Jasmine, ce qui est très grave aussi.»
Jean-Jaques Arjoon, autre membre de l’association, parle d’une dérive vers la dictature : «Ce move au Parlement, brandir une photo, citer le nom de l’artiste, est pour moi une atteinte à la liberté de travail d’un artiste. C’est une démarche infecte, qui fait de Jasmine Toulouse un dommage collatéral dans une plus grosse affaire. On touche ici à la liberté fondamentale d’une personne, qu’un gouvernement est supposé promouvoir. Et si l’organisateur de l’event en question a écarté Jasmine Toulouse pour des raisons politiques, ce serait une confirmation que nous prenons une direction encore plus dictatoriale, où nous touchons ici au droit fondamental des artistes, à leur liberté d’expression.»
Ludovic Lamarque, notre Mr Love national et bon ami de Jasmine Toulouse, revient lui aussi sur cette affaire : «Être artiste comme Jasmine, ou moi-même, ou comme tellement d’autres, est un métier public, où l’on est souvent amenés à faire des photos avec tout le monde. Je comprends la colère de Jasmine qui, à cause d’une photo brandie, perd visiblement un contrat, une rentrée d’argent. On parle ici de gagne-pain d’un artiste et, en plus, d’une femme qui est en train d’essayer de joindre les deux bouts, comme tellement d’autres. Si je devais choisir maintenant entre Jasmine et l’organisateur, c’est clair que je choisis Jasmine car j’accorde plus de soutien à l’artiste qu’à l’organisateur. Cela me pousse à penser qu’il faut encore professionnaliser le métier, avec des contrats encore plus solides pour les artistes qui se produisent sur scène.»
Finalement, Sarah Leboeuf, plus connue comme Saaya, qui a partagé la scène avec Jasmine Toulouse vendredi lors de l’événement Grl Pwr au Safari Night Club de Grand-Baie, signé Trace Nights, avec une affiche uniquement féminine, a aussi son mot à dire : «C’est clair que cette histoire de contrat perdu auprès d’un organisateur énerve et me pousse à dire qu’il faudrait boycotter l’événement s’il se concrétise. Il y a de la colère aussi en tant que femme vivant de la musique comme Jasmine. Cette photo fait partie de la vie personnelle de l’artiste, elle ne veut rien dire.»
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