Publicité
Par Elodie Dalloo
26 septembre 2023 03:18
Dans sa tête, des milliers de questions se bousculent. À ses interrogations s’ajoutent la tristesse et le désespoir. Lorsque nous avons parlé à Kamini le samedi 23 septembre, elle avait du mal à s’exprimer, tant sa gorge était nouée par l’émotion. Difficile pour elle de contenir ses larmes depuis qu’elle a appris la mort cruelle et tragique de ses parents Presram et Indira Sookur, âgés de 77 et 67 ans respectivement. Elle est d’ailleurs celle qui a fait la découverte macabre à leur domicile à Clairfonds no. 3, Vacoas, dans la soirée du jeudi 21 septembre. Elle est d’autant plus bouleversée qu’elle ne sait pas comment et pourquoi la vie leur a été ôtée de manière aussi épouvantable. «Mo pa kone kinn arive, mo pa kone ki ena ki pena, mo pena okenn lide ki kapav inn arive», lâche-t-elle, bouleversée.
La dernière fois que cette habitante de Stanley, Rose-Hill, a rendu visite à ses parents remonte au 2 septembre dernier. «Monn pass enn bon moman laba. Pa ti ena okenn problem.» Par la suite, dit-elle, «c’est surtout ma fille qui les appelait assez régulièrement pour prendre de leurs nouvelles». Jusqu’au jeudi 21 septembre, où sa fille «a tenté de les joindre au téléphone à plusieurs reprises, sans succès. Ce n’était pas dans leurs habitudes de ne pas répondre». Kamini a, à son tour, tenté de les contacter mais n’a eu personne au bout du fil. «Monn koumans gagn traka. Mo ti pe trouve ki ena enn zafer pa normal.» Pour en avoir le coeur net, elle a demandé à son neveu de la conduire chez eux aux alentours de 21h30.
Une fois sur place, dit Kamini, elle n’a eu aucun mal à accéder à la cour mais n’a pu entrer dans la maison car la porte était verrouillée de l’intérieur. «Monn kriye, kriye, me personn pa ti pe reponn. J’ai demandé à mon neveu de me ramener chez moi, me disant que mes parents était sûrement déjà au lit.» Néanmoins, celui-ci lui a fait remarquer que toutes les pièces étaient plongées dans l’obscurité, sauf la salle à manger, qui était éclairée par un téléviseur allumé. Après avoir poussé une fenêtre, c’est avec effroi qu’elle a réalisé que sa mère Indira était allongée sur le canapé ; elle était sur le ventre et paraissait inconsciente. Tremblante de peur, elle a composé le numéro de son ex-époux Afzal pour lui demander de les retrouver sur place. À son arrivée, Afzal a dû briser un carreau de vitre pour pouvoir déverrouiller la porte et entrer dans la maison. Il ne se remet toujours pas de la vision d’horreur qui s’est offerte à ses yeux. «Monn trouv le pir. Nounn trouv so mama lor sofa, pa pe bouze. Li ti ena blesir lor so figir. Ler nounn al lao pou rod so papa, li ousi li pa ti pe bouze», lâche Afzal, encore sous le choc. Sans perdre de temps, ils ont alerté la police.
Lorsque les forces régulières de Vacoas et les membres du Scene of Crime Office (SOCO) sont arrivés sur les lieux, le périmètre a été bouclé pour ne pas compromettre l’enquête qui s’oriente vers la piste d’un cambriolage ayant mal tourné. Pour cause, l’armoire du couple a été endommagé, leur coffre-fort vidé et leur voiture, une Suzuki Celerio bleue immatriculée 5555 JL 15, emportée. Parmi les autres objets ayant disparu figurent aussi un fusil de chasse et des munitions. À ce stade, les enquêteurs n’ont pas encore pu établir combien d’argent a disparu du coffre-fort car les proches du couple n’ont pas de renseignements à ce sujet. Les deux corps sans vie ont été transférés à la morgue de l’hôpital Victoria pour une autopsie. Celle-ci, pratiquée par le Dr Jankee-Parsad, médecin légiste de la police, a attribué le décès d’Indira Sookur à une smothering asphyxia. Toutefois, la cause de la mort de Presram Sookur n’a pu être déterminée en raison de l’état de décomposition avancé de son corps. Les deux décès remonteraient à plusieurs jours.
La police n’écarte pas non plus la possibilité qu’il s’agisse d’un règlement de comptes car Presram Sookur, qui était un prêteur sur gage, s’était fait beaucoup d’ennemis. Considéré comme l’un des plus gros usuriers de Maurice, il avait déjà été condamné à six mois de prison par le tribunal de Curepipe en 2013 pour escroquerie et détournement de fonds. Il avait mis en vente le véhicule de l’un de ses clients alors que celui-ci payait toujours ses mensualités. Cependant, la juge Shaheeda Peeroo avait cassé ce jugement en Cour suprême deux ans plus tard, ayant noté des incohérences entre l’acte d’accusation et le délit commis. En 2017, il avait également été arrêté par l’Independent Commission Against Corruption (ICAC) pour blanchiment d’argent. Il lui était reproché de s’être approprié des biens immobiliers, bijoux et véhicules laissés en garantie par des personnes à qui il avait prêté illégalement de l’argent et ce, sans respecter l’accord passé avec elles, et il avait été inculpé devant le tribunal de Port-Louis pour avoir enfreint l’article 3(1)(a) de la Financial and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA). Plusieurs propriétés et véhicules enregistrés au nom de ses proches avaient été saisis. Deux notaires s’étaient également retrouvés dans de beaux draps dans le cadre de cette affaire, soupçonnés d’avoir incité les «victimes» du prêteur sur gage à signer des feuilles blanches transformées par la suite en actes de vente.
Si Kamini affirme que ses parents «étaient des gens respectés dans leur localité», les témoignages recueillis auprès de certains habitants du quartier tendent à faire penser le contraire. L’un d’eux décrit Premraj Sookur comme «enn gran voler» et «enn vre escro». Il poursuit : «Linn bien fer malonet ar dimoun, pran zot kas, zot lakaz, apre deklar proprieter.» Il raconte que le septuagénaire avait même été agressé à la gare de Vacoas il y a quelques années en lien avec l’une de ses transactions. «Dimounn ti pran li ti bate, ti kas so lame. Li ti tro fer dominer.» Selon notre interlocuteur, «li ti ena avoka, lapolis, avoue, noter ek mazistra dan lame. Akoz samem linn resi kokin tou sa dimoun-la. Kan dimoun ti pe pran kas ek li, li ti pe fer an sort ki li pa la plizier zour kan bann-la bizin vinn ranbours li pou ki lintere-la monte. Se pou sa ki dimoun pa ti pe resi pey li». Un autre voisin avance, également, que «misie la pa ti enn dimoun serye». Il se remémore un épisode en particulier : «Un jour, j’avais dû remettre un peu d’argent à un jeune homme pour qu’il puisse rentrer chez lui ; sa voiture avait été saisie par M. Sookur parce qu’il ne pouvait pas le rembourser. Il n’a eu aucune pitié pour ce jeune homme.»
Lorsque nous avons demandé à Kamini si son père avait des ennemis ou s’il avait déjà eu des différends avec des tierces personnes par le passé, elle n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Ce vendredi 22 septembre, les limiers de la SOCO se sont à nouveau rendus sur la scène de crime pour recueillir des indices. Les images des caméras Safe City situées dans les alentours devront aussi être visionnées. Les enquêteurs continuent d’explorer toutes les pistes envisageables afin de mettre la main sur le.s meurtrier.s des deux victimes. Leurs funérailles auront lieu ultérieurement, le temps que leur autre fille rentre de l’Australie où elle habite.
Publicité