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Par Yvonne Stephen
21 août 2018 16:54
Humez l’air. Il y a un rien d’ambiance pré-électorale qui s’accroche au nez. Un parfum de meetings, de Budget fer la bous dou, de discours populaires et d’opposition mobilisée. Mais dans la note de fond, l’essence qui s’évapore plus lentement, des tractations, des rapprochements. On joue ses pièces, on avance ses pions. Et on frôle parfois la ligne d’une limite imposée à son poste : «Rien de plus normal. C’est un moment assez particulier. Qu’on le veuille ou non, les élections approchent», confie un membre du MSM qui ne comprend pas tout le tôlé suscité par la présence de deux personnes proches des Jugnauth, lors de la réunion du comité central du MSM au Sun Trust, il y a quelques jours. Il s’agit de l’ASP Manoj Luchan et de Gilles L’Entêté, Managing Director de la NHDC. Leur participation à cette réunion politique n’a rien de bizarre ? Oui, en apparence : c’est de notoriété publique qu’ils sont proches du MSM.
Mais selon l’article 6 du Human Resource Management Manual, qui contient les règlements destinés aux fonctionnaires, les public officers ne devraient pas «hold office in any political organisation or take any active or prominent part in any political organisation» (voir hors-texte). Le syndicaliste Rashid Imrith précise, néanmoins, que cela ne concerne pas directement Gilles L’Entêté (voir hors-texte). Les consignes sont donc claires. Mais peut-être qu’elles n’ont pas été clairement énoncées : «Ce n’est pas un drame ! Ça n’a rien d’anormal, ça se passe toujours ainsi. Mais bon, maintenant, ça prend une autre ampleur parce que ça fait polémique», poursuit notre interlocuteur.
Un proche de Pravind Jugnauth explique, lui, que ce ne sera que le premier épisode d’une série. C’est l’ambiance du moment : «Il faut se faire voir par Pravind Jugnauth. Là, c’est un peu la jungle. Ki ou le ? Lavi politik sa.» En période de précampagne électorale, il est difficile de ne pas vouloir avancer ses pions, en affichant son soutien, ses préférences politiques, dans le but d’obtenir le fameux ticket, l’ultime Graal pour une place au pouvoir (en cas de victoire). Ou encore une petite promotion avant que le vent ne tourne (s’il tourne, bien sûr !).
Gilles L’Entêté n’a pas senti de brise. Pas de front froid pour l’instant, pour l’homme fort de la NHDC qui s’est, néanmoins, refusé à tout commentaire. Contacté au téléphone, il a lancé un excédé et lapidaire : «Je n’ai rien à dire. Aucune déclaration.» Mais il n’aurait pas à s’inquiéter, affirme-t-on du côté de la bande à Pravind Jugnauth : «Il communique bien. Il gère ses dossiers difficiles avec un certain succès. Tout ça joue en sa faveur. Il est considéré comme un atout», explique un membre du parti qui est, également, un de ses proches. Par contre, pour l’ASP Manoj Luchan, ancien garde du corps de SAJ, les rafales ont été vite ressenties. Après plusieurs jours de demande, de part et d’autre, d’une réaction du commissaire de police, Mario Nobin, sur la question de sa présence, l’homme a été transféré à la Special Support Unit (SSU).
Si au niveau de la police, on refuse de parler de sanction, ceux qui connaissent le fonctionnement des différentes unités savent qu’il ne s’agit pas là d’une promotion : le Passport and Immigration Office et ses horaires fixes ont l’air d’une sinécure face au fonctionnement de la SSU. Si la pratique est habituelle comme le sous-entendait plus haut notre interlocuteur, pourquoi ce transfert punitif ? Selon certains membres du MSM, Pravind Jugnauth ne serait pas dans le meilleur des mood : «Avec les conclusions du rapport Lam Shan Leen, c’est normal qu’il soit un peu tendu. Alors, il vaut donner l’image d’un gouvernement propre et droit. Ce qu’est l’équipe dirigeante. Mais les erreurs, ça arrive», explique un député orange. Cette semaine, d’autres tels que Bashir Jahangeer et Ravi Rutnah se sont exprimés ouvertement sur la question… et ils n’ont pas approuvé la présence de l’ASP.
La solidarité au sein de la même alliance connaît donc des ratés. «On ne va pas défendre l’indéfendable, non plus», ose notre interlocuteur. Ce n’est pas non plus le moment de se serrer les coudes, n’est-ce-pas ? «Ce n’est pas ça ! Il est simplement temps de valoriser ceux qui font du bon travail et de sanctionner ceux qui ternissent l’image du gouvernement. C’est aussi simple que ça.» Du côté de l’opposition, ce genre d’événement, c’est du gato moutay gratuit, du baja pour alimenter les conférences de presse. De l’hypocrisie, surtout, explique le député : «Ils font croire que ça n’existait pas avant. C’est un big joke.» Mais en période de précampagne électorale, tout est bon à prendre. Vous ne le sentez pas ? C’est dans l’air….
Voici un extrait du Human Resource Management Manual : «Section 6: Civic Rights of Public Officers 2.6.1 An officer – (a) has the right of freedom of thought and opinion; (b) has the right to his own political views and to vote; (c) shall not hold office in any political organisation or take any active or prominent part in any political organisation; (d) shall show reserve and discretion in political controversies; (e) shall bear in mind that he is expected to give loyal and disinterested service to the Government; and (f) shall not write letters to the press, publish books or articles or circulate leaflets or pamphlets on political matters. 2.6.2 An officer who participates in any illegal public meeting or procession may, in addition to the penalties prescribed by law, be liable to disciplinary action.»
C’est quoi ce «Management Manual» ?
C’est un document qui régit la vie des fonctionnaires. Et nous nous devons de le suivre à la lettre. L’article 6 est bien claire : le fonctionnaire n’a pas le droit de montrer sa couleur politique. Oui, nous avons le droit d’avoir notre opinion et d’aller voter mais nous devons faire preuve de discrétion. Et c’est tout à fait normal, nous avons signé pour ça.
Comment ça ?
Quand nous intégrons la fonction publique, nous devons faire preuve de discrétion, c’est comme ça. Notre package prend en compte ce que nous perdons : notre liberté de montrer notre couleur politique, par exemple. C’est clairement stipulé dans l’offer of appointment que nous signons. En contrepartie, nous obtenons un package salarial. On ne peut pas changer d’avis en cours de route. Si ou pa dakor, ou ale.
Pourquoi est-ce un problème qu’un fonctionnaire affiche ses couleurs politiques ?
Parce que les fonctionnaires sont impliqués directement dans l’organisation d’élections, qu’elles soient générales, municipales ou partielles. Les policiers, par exemple, s’occupent de la sécurité des bulletins de vote dès la sortie de l’imprimerie du gouvernement. Ils sont responsables de ces documents qui restent au poste de police, avant le jour des élections, et dans les écoles en attendant le counting exercise. Et on ne devrait avoir aucun doute sur ces personnes-là. Un fonctionnaire qui montre sa couleur politique perd de sa crédibilité et mine la confiance de la population en la consultation populaire. Mais pas que : l’île Maurice a un goodwill et est appelée à superviser des élections à l’étranger, s’il y a des soupçons sur nos propres exercices électoraux, nous perdrons cette crédibilité.
Et dans le cas de Gilles L’Entêté ?
C’est différent. Il s’agit d’un corps paraétatique. Il est un political nominee. Mais son staff doit suivre les règles du Management Manual car l’organisme tombe sous un parent ministry. Mais il aurait dû donner l’exemple pour les employés qu’il gère. Quand il a accepté ce poste, il aurait dû accepter tout ce qui vient avec.
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