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Prison à vie pour les trois suspects dans l’explosion de Leicester | Mauricette Sers : «Cela ne me ramènera pas ma fille et mes petits-fils»

28 janvier 2019

Le verdict rendu par la cour n’a pas amoindri la douleur de Mauricette Sers.

Le temps passe mais il ne guérit pas toutes les blessures. En tout cas, pas celles de Mauricette Sers. Cela fait près d’un an qu’elle a perdu sa fille Mary Ragoobar, 46 ans, plus connue comme Stéphanie, et deux des fils de cette dernière, Shane et Sean, âgés de 18 ans et 17 ans, dans une explosion criminelle survenue dans un immeuble à Leicester, en Angleterre. Et s’il y a quelques jours, les trois accusés dans cette affaire, Aram Kurd, 33 ans, Arkan Ali, 37 ans, et Hawkar Hassan, 32 ans, ont été condamnés à la prison à perpétuité, ayant été jugés coupables de cinq charges de meurtre mais aussi de conspiration pour commettre une fraude devant la Leicester Crown Court, Mauricette, elle, est toujours aussi anéantie. «Cela ne me ramènera pas ma fille et mes deux petits-fils», confie-t-elle, lorsque nous la rencontrons chez elle, cette semaine.

 

Dimanche 25 février 2018. Une spectaculaire explosion survient au Zabka, supermarché polonais dont le propriétaire est Aram Kurd, un des accusés. Celui-ci se trouve au rez-de-chaussée d’un immeuble de trois étages, à Hinckley Road. Le bilan : cinq morts. Il s’agit des Mauriciens Stéphanie, Shane et Sean Ragoobar, qui vivaient dans un appartement au premier étage ; de Leah Beth Reek, 18 ans, la petite amie de Shane Ragoobar ; et de Viktorija Ijevleva, 22 ans, une employée du supermarché et petite amie d’Aram Kurd. Suivant une enquête approfondie ayant orienté les services de police vers la thèse d’un acte criminel, les trois hommes ont été arrêtés et condamnés à la prison à vie.

 

Si la sentence a été prononcée, il est toujours difficile pour Mauricette de faire son deuil. «Cela ne me soulage aucunement. Je me dis tout de même qu’il existe un Dieu et qu’il jugera les coupables comme il se doit.» Lorsque nous l’avions rencontrée, une première fois, durant les jours ayant suivi la tragédie en février 2018, elle venait d’apprendre que deux de ses petits-fils avaient été formellement identifiés parmi les victimes de l’explosion, dont l’origine était encore inconnue à l’époque, et que sa fille manquait toujours à l’appel. Ce n’est que quelques jours plus tard que des analyses plus poussées avaient permis aux enquêteurs de confirmer que cette dernière est également décédée dans l’explosion qui avait entraîné un gigantesque incendie.

 

Près d’un an après les faits, Mauricette a changé. Elle a perdu du poids, beaucoup de poids, depuis la tragédie qui a frappé sa famille. C’est que ces derniers mois ont été difficiles pour elle, pour ses proches. «Même si le temps passe, je n’ai toujours pas l’esprit tranquille. Je me pose tellement de questions. Par exemple, ma fille a-t-elle beaucoup souffert avant sa mort ? Des questions qui restent sans réponse. J’espère que, de là où elle est, Stéphanie me donnera du courage», confie-t-elle, assise dans la salle à manger, où, sur la façade d’un mur, se trouve une grande photo de Stéphanie Ragoobar et de ses fils Shane et Sean.

 

Coeur brisé

 

Les événements qui ont suivi l’explosion de Leicester sont ancrés dans sa mémoire. Elle s’en souvient encore comme si c’était hier. Ce sont des proches, en larmes, qui lui ont annoncé qu’une explosion est survenue dans le bâtiment où vivaient ses proches. «Sur le coup, il était difficile pour moi d’assimiler cette nouvelle. Je n’ai pas versé une larme.» Quelques jours plus tard, elle s’envole pour l’Angleterre avec son époux Serge et un proche afin d’assister aux obsèques. Et c’est une fois sur place qu’elle finit par craquer. «Voir le cercueil de ma fille suivi de celui de mes petits-enfants nous a brisé le cœur. Nous étions tellement bouleversés que tous ceux qui souhaitaient dire un mot durant la cérémonie n’ont pas été en mesure de compléter leur témoignage. Mais nous sommes reconnaissants d’avoir eu du soutien. Plusieurs Mauriciens établis en Angleterre ont fait le déplacement pour assister aux funérailles qui étaient grandioses.»

 

Pendant les jours qui ont suivi, Mauricette et ses proches se sont également rendus sur les lieux du drame. Et là, l’émotion était à son comble. «Nous n’avons malheureusement pas pu y déposer des fleurs mais il était prévu qu’un mémorial y soit construit pour rendre hommage aux victimes.» Des victimes d’un acte criminel qui aurait été commis volontairement pour toucher de l’argent, selon les services de police anglais.

 

En effet, durant les semaines qui ont suivi l’explosion, une enquête approfondie avait orienté les autorités vers la thèse d’un acte criminel. Il s’est alors avéré qu’une grande quantité de pétrole avait été préalablement déversée dans le petit supermarché polonais où est survenue l’explosion. Même si les trois accusés ne sont jamais passés aux aveux, les enquêteurs ont déduit, preuves à l’appui, qu’ils avaient comploté afin de toucher l’argent de l’assurance, qui s’élevait à £ 300 000 (plus de Rs 13 millions), et qu’ils étaient conscients qu’ils allaient toucher une plus grosse somme si l’explosion faisait des morts. Selon la police britannique, les meurtriers savaient également que la victime Viktorija Ijevleva, la petite amie d’Aram Kurd, se trouvait à l’intérieur et qu’ils se seraient intentionnellement débarrassés d’elle parce qu’elle en savait trop. C’est, du moins, ce que rapporte le journal en ligne The Independent.

 

N’ayant montré aucun signe de remords lors de leur comparution au tribunal, le juge Justice Holgate a conclu que les accusés «sont des menteurs. Ils se sont montrés sans pitié […] Il est clair, de par la manière qu’ils se sont comportés en Cour et à l’extérieur, qu’ils sont rusés et manipulateurs». Après le drame, le suspect Aram Kurd s’était confié à un journaliste britannique. C’est «un miracle que j’aie survécu. Je n’ai aucune idée de ce qui a pu provoquer cette explosion», avait-il déclaré.

 

Une explosion de laquelle Scotty, 15 ans, le benjamin de Stéphanie Ragoobar, s’en est sorti avec des blessures superficielles après avoir été secouru et conduit à l’hôpital le plus proche. Récemment en vacances à Maurice, il a pris l’avion pour l’Angleterre le vendredi 18 janvier. Quant à José Ragoobar, son père, il se trouvait sur son lieu de travail au moment des faits.

 

José Ragoobar est un homme meurtri depuis qu’il a perdu sa femme et deux de ses trois fils.

 

Contactés pour un témoignage, tous deux sont restés injoignables. Mais dans une entrevue accordée à Leicestershire Live quelques jours après que le verdict est tombé, c’est d’une voix tremblante, essayant de retenir ses larmes, que José Ragoobar confiait : «C’est pour moi un soulagement que les accusés aient été condamnés à vie mais cela ne me ramènera jamais ceux que j’ai perdus. Ce n’est pas facile d’aller de l’avant. Lorsqu’on a une femme à la maison, tout est différent. Mon épouse était une bonne vivante. Ses rires et ses blagues me manqueront toujours. Tout ce que je fais me rappelle ceux que j’ai perdus.»

 

À sa tristesse se mêle de la colère : «C’est la première fois que je ressens autant de haine à l’égard de quelqu’un (Ndlr : les meurtriers). Ce qu’ils ont fait est inadmissible. Cela m’a brisé le cœur qu’ils n’aient eu aucun remords. Ce qui me met le plus en colère, c’est que lorsque mon épouse et moi sommes arrivés en Angleterre, nous avons toujours cumulé deux emplois pour subvenir aux besoins de nos enfants. Mais eux, ils ont voulu gagner de l’argent facilement et ont ôté la vie à des innocents en le faisant.»

 

 

Aujourd’hui, il n’a qu’une chose en tête : s’occuper du petit dernier de la famille, de son avenir. «Aujourd’hui encore, Scotty parle à peine de ce qui s’est passé. Il devra vivre avec ce fardeau toute sa vie. Avant cela, j’avais trois fils et je m’étais toujours dit que lorsque je vieillirai, mes aînés s’occuperaient du plus jeune. Maintenant, ils ne sont plus là et je ne sais pas comment cela se passera pour lui.»

 

Que ce soit pour José, Scotty ou Mauricette, le deuil semble impossible…

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