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21 janvier 2024 17:16
Dans leurs voix, la même urgence... Comme pour dire qu’ils savent qu’ils reviennent de loin, qu’ils ont été chanceux. Car ce lundi 15 janvier, alors que le cyclone Belal rôdait dans nos parages, que des pluies diluviennes s’abattaient sur le pays, provoquant des accumulations et montées d’eau, de même que des inondations dans plusieurs endroits de l’île, ils auraient pu, eux aussi, perdre leur vie dans ces flash floods dévastatrices dont les images ont choqué les Mauriciens et d’autres parties du monde, et qui ont fait deux morts.
Car ce 15 janvier noir restera un jour inoubliable en raison du chaos provoqué par les fortes averses qui ont arrosé l’ensemble de l’île alors que le pays était en alerte cyclonique. Et entre la polémique autour de ce que beaucoup considèrent comme «une mauvaise gestion des autorités», estimant que le pays aurait dû déjà être en classe 3 et les Mauriciens confinés chez eux, et le cafouillage que cela a provoqué quand la décision de permettre aux travailleurs de rentrer chez eux, il y a ceux qui ont vécu le pire, qui ont vu la mort en face, ayant été prisonniers de l’eau dans leur véhicule lors des débordements. Ils ont alors dû se battre pour s’en sortir en vie.
Parmi les nombreuses victimes de ce lundi cauchemardesque sur les routes, il y a Alana Dina, une habitante de la Tour Koenig. C’est dans un récit ponctué de temps de silence et empreint d’émotion que la jeune femme revient sur ces moments pénibles qu’elle ne pourra, dit-elle, jamais oublier. «Je travaille dans une compagnie à Port-Louis et j’étais la passagère dans une voiture avec deux collègues, dont l’un était le conducteur. C’est à La rue La Poudrière, près du supermarché Winner’s qu’on a vécu un véritable cauchemar éveillé. Comme nous, plusieurs autres personnes s’étaient retrouvées prisonnières de la montée des eaux dans la capitale alors qu’elles se trouvaient dans leur voiture. Avec le cyclone qui approchait et la décision de laisser les travailleurs rentrer chez eux avec l’imminence d’une classe 3, on avait décidé de prendre la route à la mi-journée. Quand on est sortis, il pleuvait et on s’est vite rendu compte que la route était bloquée. À un moment, on a remarqué que l’eau montait et entrait dans la voiture», nous raconte Alana sur un ton grave.
Difficile pour elle de parler de ces heures pénibles qui la hantent encore : «Tout s’est joué en quelques minutes. Dans un réflexe, mon collègue m’a demandé de sécuriser nos affaires, c’est-à-dire, de mettre nos sacs avec les laptops en hauteur à l’arrière dans la voiture et de ne prendre avec nous que les portables, porte-monnaies et clés... Bref, que les choses essentielles. L’eau continuait de monter. Voyant que les choses n’allaient pas se décanter, mon collègue a dit qu’on devait vite évacuer la voiture. Sauf que les portes étaient bloquées. Mais heureusement que deux vitres étaient baissées. Comme je ne sais pas nager, j’ai commencé à paniquer. Mes deux collègues sont d’abord sortis et m’ont demandé de monter sur le dôme de la voiture mais j’ai été prise de vertige. La voiture flottait dans l’eau. À un moment, j’ai décidé d’appeler ma sœur parce que je voulais voir mes enfants. Devant ce qui se passait, j’étais effrayée et j’ai balancé à mes collègues : “Nou pou mor zordi !” Car autour de nous, c’était la désolation. Ne pouvant monter sur la voiture, j’ai décide de rentrer à l’intérieur. Mais les choses ont empiré, à tel point que mon collègue m’a lancé : “Alana, kit sak, kit tou, sorti dan loto.” Je pleurais. Les voitures devant dérivaient et se sont mises à se heurter les unes aux autres. C’était effrayant...»
Quand elle ferme les yeux, Alana se revoit revivre ce moment digne d’un film catastrophe : «Autour de nous, c’était la panique ! Plusieurs personnes étaient dans la même situation que nous et voulaient quitter leur voiture. Il y avait des cris, des gens qui avaient peur et qui appelaient à l’aide. C’était une scène de chaos. J’ai vu, par exemple, une dame dans sa voiture qui dérivait. C’était irréel. J’ai pu finalement, à force d’essayer et avec l’encouragement de mes collègues, sortir de la voiture et je peux vous dire, qu’à un moment, je n’avais pas pied. Mon collègue m’a aidée et on a pu se retrouver hors de l’eau après avoir pu éviter trois voitures à la dérive qui fonçaient sur nous.» Même si, avec ses collègues, elle a pu se sortir de cette horrible situation qui aurait pu très mal tourner, Alana a du mal à se réjouir : «On a perdu nos laptops et autres affaires du bureau. La voiture de mon collègue est endommagée. On est en vie mais je peux vous dire que ce qu’on a vécu est un traumatisme qui restera à vie. Dans ces moments-là, on a pensé à nos vies. Je me souviens de quelqu’un qui essayait de briser la vitre de sa voiture avec un parapluie pour s’échapper. Les voitures montaient les unes sur les autres. C’est du jamais-vu !
À aucun moment, quand c’était critique, on n’a pas vu les autorités concernées. Il y a eu morts d’hommes, et ce qui est arrivé aurait pu avoir des conséquences encore plus graves. On s’est tous sauvés nous-mêmes au final.» Alana, comme beaucoup de victimes de ces inondations dévastatrices, se remet difficilement des fortes émotions vécues : «C’est une très mauvaise expérience qui va me suivre à vie. Je crois que je vais revivre cette horrible scène à chaque mauvais temps, à chaque cyclone, surtout que je travaille dans les alentours. Je suis encore secouée et bouleversée plusieurs jours après.»
Jonathan, connu comme Kylyan Kenwel sur Facebook, sait aussi qu’il n’oubliera jamais ce qu’il a vécu à la hauteur de Bell-Village. «Je travaille à mon compte dans le domaine de la peinture. Je quittais Port-Louis pour rentrer chez moi à Palma. Je me hâtais à cause du mauvais temps et aussi pour pouvoir m’occuper de certaines choses comme mettre mon chien à l’abri. Sur la route, il pleuvait énormément et la visibilité était quasi nulle ; je sentais qu’il y avait quelque chose de pas normal. À un moment, je me suis retrouvé pris dans un embouteillage monstre. C’est resté bloqué longtemps. Dans la voiture avec moi, il y avait un petit cousin et mon jeune beau-frère. C’est ce dernier qui a constaté que l’eau sur la route descendait avec une pression. Et au fil des minutes, on a vu l’eau monter progressivement. À un moment, on a paniqué parce qu’on a réalisé que quelque chose de grave se passait. L’eau continuait à monter et à gagner mon véhicule. À un moment, j’ai vu les gens devant et derrière nous commencer à quitter leur voiture. Certains ont sauté. J’ai vu des véhicules partir à la dérive. C’est là que j’ai mesuré le danger qui nous menaçait. J’ai pensé à nos vies. On a eu peur et à un moment, je ne me suis pas tracassé pour mon véhicule, j’ai hissé mon frein à bras et j’ai demandé à mes passagers de sortir et de se mettre à l’abri sur le béton qui longe l’autoroute. L’eau, avec un certain courant, nous arrivait jusqu’aux reins. Il nous fallait sauver nos vies», nous raconte Kylyan.
Ces derniers jours, il n’arrête pas de se repasser en boucle le film des événements. «On a vu une femme qui, en voulant sortir de sa voiture, s’est fait happer par le courant, mais heureusement que des gens ont pu la rattraper. Quand on a vu cela, on a eu vraiment peur. L’atmosphère était lourde. Certaines personnes criaient. C’était une scène inimaginable qu’on voit généralement à la télévision, dans d’autres pays. Ces images sont gravées dans ma tête. Ti ena lamor ladan. On a vu la mort en face. Lame Bondie inn protez nou. On a aussi vu le corps d’une des deux victimes des ces intempéries flotter devant nous. C’est une image qui marque à vie. Je ne pense pas que je pourrai oublier ce cauchemar. Il ne faudrait pas que ce genre de chose se reproduise.»
Ceux qui ont dû rentrer chez eux dans les transports en commun ont aussi eu des sueurs froides. Ce n’est pas Ansley Atchiameth, employé dans un magasin, qui dira le contraire. «Dès l’annonce que les employés pouvaient rentrer chez eux plus tôt, j’ai décidé d’aller prendre le métro car j’avais constaté que les routes étaient déjà bloquées. Mais une fois là-bas, on nous a informés qu’il n’y avait pas de métro. J’étais avec un ami et on a alors été prendre le bus L'express Vacoas pour rallier Quatre-Bornes. Le bus est resté bloqué pendant plus d’une heure et je suis arrivé à Quatre-Bornes à 14h50. Une fois là-bas, j’ai appris que les bus pour Palma, où j’habite, avaient déjà arrêté de circuler. J’ai donc dû marcher de Quatre-Bornes à Palma sous une pluie battante car mon parapluie avait rendu l’âme à cause du vent. Il y avait beaucoup d’accumulations d’eau. La Louise, par exemple, était inondée et la visibilité était difficile», lâche Ansley, en revenant sur ce lundi cauchemardesque pour lui et pour de nombreux autres Mauriciens...
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