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Projet-pilote autour du cannabis industriel : les atouts du «nouvel or» économique

19 août 2021

Le cannabis industriel n’a pas d’effet psychoactif, avance le psychologue-addictologue Kunal Naik.

Le gouvernement s’intéresse enfin au «nouvel or». Voilà comment on pourrait résumer la décision du Conseil des ministres qui vient de donner son aval pour la culture du cannabis industriel, aussi connu comme le chanvre, à Maurice. Cette plante diabolisée et criminalisée pendant trop longtemps pourrait aider à rebooster notre économie en déclin à cause de la Covid-19. Cinq kilos de trois variétés de chanvre seront bientôt importés et cultivés sur une base pilote par le ministère de l’Agro-industrie et de la sécurité alimentaire, en collaboration avec le Food and Agricultural Research and Extension Institute.

 

Ne vous méprenez pas : le chanvre et la marijuana appartiennent à la même famille de plantes, soit le cannabis sativa, mais ce sont des variétés différentes. La souche du chanvre a une faible teneur en tétrahydrocannabinol (THC), contrairement à sa cousine marijuana. «Il n’est pas psychoactif. Les gens qui essaient de le fumer ne vont pas planer. Ils auront juste la gorge très sèche. En revanche, il peut être utilisé de multiples façons», explique Kunal Naik, psychologue-addictologue.

 

Cette plante sert à la fabrication et la production de plusieurs produits. Allant de l’alimentation aux produits médicaux, en passant par le textile, la construction, entre autres. Elle possède aussi de nombreux avantages pour l’environnement. Ce ne sont pas les principaux producteurs du cannabis industriel, soit le Canada, la Chine, la France, les États-Unis, la Lituanie et l’Allemagne, qui diront le contraire.  Et d’autres pays, comme Maurice, veulent aussi se lancer dans ce marché afin d’exploiter à fond ce «nouvel or» qui possède plusieurs atouts, en plus d’ajouter à la richesse économique du pays. Aujourd’hui, l’industrie du chanvre brasse des milliards de dollars, selon Technavio, une société mondiale d’études de marché.

 

Tout est utilisé

 

Dans le cannabis industriel, tout est utilisé : les graines, les fleurs, les feuilles et même les racines. Parmi les produits à base de chanvre les plus prisés, il y a le lait, la farine, l’huile, le fromage, les céréales, les biscuits mais aussi les articles de beauté, de bien-être et de santé. Les végétaliens ont ainsi adopté la protéine de chanvre car elle est un complément alimentaire et une alternative aux œufs et le soja. Les produits issus du cannabis industriel sont ainsi consommés dans les salades, les céréales ou en smoothies. Le chanvre est également riche en acides gras essentiels. Selon une récente étude de l’Institute of Cardiovascular Sciences de Winnipeg, au Canada, les graines de chanvre sont riches en oméga-3 et oméga-6. Une autre étude du département américain de l’agriculture (USDA) a conclu qu’elles sont gorgées de magnésium, de calcium, de zinc et de fer.

 

Le chanvre est également utilisé dans la fabrication de matériaux de construction, d’isolants pour les véhicules et de câbles électriques. Il est aussi présent dans des biocarburants, les peintures anticorrosion et les panneaux solaires. De plus, on s’en sert également pour faire du tissu, que ce soit pour faire des vêtements, des voiles ou autres. C’est dire à quel point il est partout !

 

Bénéfique pour l’environnement

 

Pour ne rien gâcher, cette plante est gorgée de bienfaits pour l’environnement et est une alliée contre le changement climatique. Par exemple, les nutriments contenus dans ses feuilles aident à améliorer la santé du sol lorsqu’elles se décomposent. Le chanvre contribue aussi à la lutte contre l’érosion, souligne Amrish Lachooa, porte-parole du Cannabis Legalization And Informative Movement (CLAIM). Le jeune homme explique que les racines agissent comme un filtre et retiennent solidement la terre. Selon lui toujours, les racines opèrent également comme un aimant en aspirant ce qui pollue la terre. Un plus en matière de recyclage. Le CLAIM, une association créée en 2005, vulgarise toutes les potentialités du cannabis. Les membres de cet organisme accueillent ainsi favorablement la décision du gouvernement de cultiver le chanvre sur une base pilote. Amrish Lachooa est d’avis que la culture de cette plante a gagné en popularité avec le changement du cadre légal dans certains pays.

 

Il explique qu’aux États-Unis, cette industrie est reconnue comme légale depuis 2018. «La Covid-19 ne l’a pas affectée. Au contraire, la pandémie a permis à cette industrie de se relancer avec le retour à l’agriculture, étant une matière bio par excellence, qui ne nécessite aucun produit chimique et pas beaucoup d’eau», souligne Amrish Lachooa. Selon lui, la culture du cannabis industriel va également permettre la création de milliers d’emplois à Maurice. Kunal Naik est, lui aussi, d’avis que cette industrie profitera à l’ensemble de la population mauricienne : «La culture du chanvre ne doit pas être l’affaire d’une poignée de personnes seulement. Nous pouvons apprendre de différents modèles, comme l’Uruguay et la Jamaïque où des coopératives de petits planteurs en ont profité. Notre économie et notre pays en ont besoin.»

 

Le psychologue-addictologue précise qu’il fait partie des nombreux militants qui, depuis plusieurs années, plaident en faveur de la réglementation du cannabis à des fins médicales, industrielles et pour un usage récréatif adulte et responsable : «J’insiste sur le mot adulte.» Kunal Naik espère que ce projet-pilote concernant le cannabis industriel constitue un premier pas qui ouvrira la voie à des réformes plus importantes en matière de politique des drogues. Selon lui, la réforme doit commencer par le cannabis médical ainsi que la taxation du cannabis pour usage à l’âge adulte, qui est peut être le seul moyen d’éradiquer la consommation des drogues synthétiques. «Pendant trop longtemps, cette plante a été diabolisée et criminalisée alors qu’elle n’a jamais causé de décès. En revanche, elle peut contribuer à réduire la consommation d’héroïne et d’autres opioïdes», soutient-il.

 

Redynamiser l’économie

 

Pour Amrish Lachooa, le pays «est déjà en retard à ce sujet». Le porte-parole de CLAIM se dit toutefois très satisfait que sa proposition budgétaire personnelle en 2020 se concrétise après un an. Il espère en tout cas que ce projet-pilote n’est pas qu’un «effet annonce avant les prochaines élections législatives». «Li bon ki nou pei pe sorti depi diabolizasion kanabis ek al ver so normalizasion me nou anvi kone ki sannla pou gagn permi pou fer kiltir sanv a gran esel. Nou anvi ousi kone si bann nouvo planter pou gagn zot sans, miz apar bann proprieter gran terin kann. Lindistri kanabis indistriel pou ed pou redinamiz nou lekonomi ek motiv bann zenn antreprener. Nou komba pa aret la», martèle le jeune homme.

 

À ce jour, le Dangerous Drugs Act stipule que le cannabis, qu’il soit récréatif, médical ou industriel, est toujours classé comme une drogue à Maurice. Par contre, en plus du projet-pilote concernant le chanvre, le gouvernement a aussi mis sur pied une task force pour étudier la possibilité de l’utilisation du cannabis médical à Maurice suivant des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. Des petits pas dans la bonne direction. Sauf que la légalisation de cette plante est un autre débat dont l’issue se fait toujours attendre tandis que des nouvelles drogues de synthèse et le trafic d’héroïne gagnent davantage du terrain.

 


 

Ameenah Gurib-Fakim, scientifique : «Il faudra déclassifier le cannabis avant de commencer la production»

 

L’ancienne présidente de la République est catégorique : «Il faudra déclassifier le cannabis avant de commencer la production du chanvre.» Ameenah Gurib-Fakim, qui est également une scientifique mondialement connue, souligne qu’il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs car le cannabis est toujours classé comme une drogue à Maurice, comme le stipule le Dangerous Drugs Act. «La culture du cannabis industriel est vraiment une niche à développer mais il faudra revoir le Schedule 1 de cette loi avant d’aller de l’avant définitivement avec ce projet», souligne l’experte en biodiversité.

 

Si Ameenah Gurib-Fakim accueille favorablement la décision du gouvernement d’autoriser la culture du chanvre, elle s’interroge toutefois sur plusieurs aspects de ce projet-pilote. «J’aimerais savoir quels sont les produits qui seront exploités à partir du cannabis industriel. Et aussi si un business plan a déjà été fait concernant les produits en question. Y a-t-il eu une étude sur notre environnement ? Nous avons désormais un microclimat. Va-t-on cultiver le chanvre sur une zone aride ou sèche ? Il est important de le savoir car cela peut avoir des conséquences sur le taux de THC (Ndlr : le tétrahydrocannabinol est la principale molécule active du cannabis).»

 

La scientifique est également d’avis qu’il est très important d’avoir une bonne préparation en amont. «C’est une révolution à long terme. C’est pour cela qu’il faut un bon monitoring. Il faut aussi un bon support technique. Le marché du cannabis industriel est très compétitif. Il faut savoir ce que Maurice va proposer de nouveau. Il faudra définir une stratégie à moyen et court termes. J’encourage les jeunes à se lancer dans cette culture. Il leur faudra toutefois être très compétitifs face à la concurrence.»

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