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Quand le confinement se transforme en cauchemar

13 avril 2021

Sébastien Frappier, dont la famille est scindée en deux  : «Ma fille souffre beaucoup, elle a besoin de sa maman…»

 

Sébastien Frappier, habitant de Curepipe, s’est vu séparé de sa famille par les soudaines règles du confinement. Après que les premières zones rouges ont été décrétées, ce jeune papa de trois enfants, s’est vu contraint de rester chez son oncle à Riambel avec Janélia, sa fille de 5 ans. «Nous nous sommes tous rendus aux funérailles de ma grand-mère à Surinam, trois jours avant l’annonce du confinement national. Par la suite, mon épouse Jessica est allée aider sa grand-mère malade à Vacoas, accompagnée de notre fille Jamélie, 8 ans, et notre fils Tyron, 1 an. Puis, ça a été le drame, le pays est entré en lockdown ! Je n’ai malheureusement pas pu rentrer chez moi à temps. Avec les consignes strictes, puis la classification, très vite,  de Curepipe et Vacoas comme zones rouges, nous avons été pris au piège ! Et voilà que maintenant le Sud aussi est devenu zone rouge !»

 

Cette séparation est très difficile à vivre pour toute la famille. «Même si les échanges de vidéos et d’appels sont rassurants, ma petite fille souffre beaucoup. Nous vivons dans une constante inquiétude», explique ce père de famille inquiet. Pour ne rien arranger, la situation professionnelle et financière de la famille n’est pas au top : «Je suis soudeur et mon épouse coiffeuse à domicile. Nous travaillons à notre compte et n’avons plus de revenu depuis le début du lockdown. Pas de WAP, séparés et précarité ; la situation est douloureuse et je me sens impuissant. J’ai fait de nombreuses demandes au poste de police de Souillac pour pouvoir rentrer chez moi et reprendre un peu les choses en main mais cela se conclut toujours par un “misie ou dan zonn rouz, pa pou kapav fer nanye.”»

 

Christine Roche Bois de Karo Kaliptis, maman de cinq enfants : «Chaque soir, je me demande ce que demain nous réserve»

 

Lutter. Constamment se battre pour avoir quelque chose à mettre sur la table, pour pouvoir payer les factures. C’est le quotidien de Christine Roche Bois depuis que le second confinement est venu frapper de plein fouet les familles qui, comme la sienne, vivent dans des conditions difficiles. Maman de cinq enfants, âgés entre 7 et 21 ans, elle est la seule à faire rouler la cuisine. Et cela fait un mois maintenant qu’il n’y a plus de salaire, aucune entrée d’argent. Pour nourrir la famille, elle compte sur les donations qu’elle reçoit de temps en temps. «Mon mari est sorti de prison en novembre dernier et ne travaille pas depuis. Mon fils aîné touche une pension d’invalidité et les quatre autres sont encore à l’école. Je suis aide-maçon mais impossible d’avoir le WAP.»

 

Christine dit avoir multiplié les applications sans succès. «J’ai reçu celui d’une autre personne. Quand j’appelle, je n’ai jamais la réponse à ma question.» Si elle est aussi désespérée, c’est parce que la situation devient de plus en plus invivable. «Chaque soir, je me demande ce que demain nous réserve. J’en perds le sommeil. Cette situation me stresse énormément.» Face aux dettes qui s’accumulent et aux factures impayées, elle ne sait plus quoi faire. Tout ce qu’elle espère, c’est de voir enfin la lumière au bout du tunnel.

 

Vedhanand Gokool, cancéreux qui a dû se rendre en Inde en plein lockdown : «La seule issue, c’est de fight !»

 

Loin des siens. Vedhanand Gokool, Shailand pour les intimes, est actuellement en Inde avec son épouse et implore les Mauriciens de l’aider dans sa lutte contre un sale cancer, avec des traitements qui coûtent Rs 2,5 millions. Malgré tout, Vedhanand ne perd pas le nord : «La seule issue, c’est de fight ! Mais on est stressés avec la famille qui est si loin, avec Maurice qui est confinée. Dans ces moments-là, on veut être avec les proches, les aider, les protéger autant qu’on peut… Mais bon, je pense qu’avec du soutien, je m’en sortirai. J’ai pu prendre l’avion en plein confinement le 27 mars grâce à l’aide de plusieurs personnes ; c’est déjà beaucoup malgré le stress à l’annonce du nouveau lockdown…»

 

En 2020, on lui a diagnostiqué une tumeur cancéreuse au foie. Après une chirurgie en Inde et un retour tranquille à Maurice, il se croyait sorti d’affaire, les tests étant encourageants. Sauf qu’en mars, la maladie était de retour, s’étant même propagé jusqu’aux poumons. Nouvelle démarche auprès du ministère de la Santé pour avoir de l’aide, nouveau départ pour l’Inde. Là-bas, on lui propose le traitement de l’immuno-thérapie, avec des injections qui coûtent… Rs 400 000. Il devra en faire au minimum six.

 

La famille de Vedhanand fait toujours des démarches auprès des autorités pour pouvoir organiser une quête nationale. Entre-temps, son bon ami a commencé une campagne de crowdfunding : si vous voulez aider, allez sur le site www.crowdfund.mu et tapez Help Shailand for his medical treatment.

 

Rose Lecordier, 82 ans, habitant seule dans sa maison à Chamarel : «J’ai des problèmes cardiaques et j’ai peur de sortir mais…»

 

Les temps sont durs pour les retraités, surtout quand ils habitent dans des endroits retirés et qui, de plus, sont placés en zone rouge. À l’instar de Rose Lecordier, 82 ans, veuve et qui a perdu son fils unique il y a longtemps, alors qu’il était âgé de 14 ans, d’une maladie. En ce mercredi 7 avril, elle fait les cent pas devant sa modeste maison où elle vit seule, à la route Sainte-Anne, à Chamarel, avec son chien Rex à ses côtés. Mais que fait la vieille dame ainsi dans la rue appuyée sur sa canne, son masque bien mis en place et l’air impatiente ? «Oui, il vaut mieux bien mettre le masque et prendre toutes les précautions car moi, personnellement, j’ai des problèmes cardiaques et je ne voudrais pas, en plus, attraper le cononavirus. C’est la première fois d’ailleurs que je sors de ma maison depuis le début du confinement, j’ai peur de sortir. Mo pe atann mo neve pou li al aste mo komision.» Son neveu ayant un WAP spécial, il peut entrer et sortir de Chamarel.

 

Rose, tout comme les autres habitants du village, vit un véritable calvaire depuis le début du confinement, encore plus depuis que la région est passée en zone rouge. «Chamarel est un village loin de tout et les restrictions ne nous facilitent pas la vie. Des boutiques fermées, un marchand de légumes sans Special WAP, donc pas de légumes, des provisions qui n’arrivent pas et l’absence de guichet automatique. C’est tout un village qui semble être mis en pause. Une vraie zone rouge ! Notre seule aide reste les voisins et les proches qui ont leur WAP. Ils nous dépannent en allant au supermarché le plus proche, qui est à Rivière-Noire. Ce virus nous a compliqué la vie. Je ne peux même plus me rendre à l’église, mo nek get li de lwin», confie la retraitée qui attend impatiemment la fin du lockdown pour retrouver sa vie d’avant.

 

Le Dr Ambissal Mohanpersad, vétérinaire : «Les gens ne savent plus quoi faire avec leurs animaux malades»

 

«Nous sommes aussi des Frontliners !» Le Dr Ambissal Mohanpersad, un vétérinaire remonté, lance un appel désespéré aux autorités : en ces temps de lockdown, il faut aussi penser au bien-être des animaux. «C’est une situation qui me stresse beaucoup, d’autant qu’il y a eu un premier lockdown et que je pensais que les autorités en avaient tiré des leçons. J’ai dû attendre beaucoup de temps pour avoir un WAP, ainsi que mes assistants, dont certains sont en zones rouges et attendent toujours. Entre-temps, on fait quoi ?» lâche le directeur de la Vet Clinic Whoof’N’Whiskers, à Beau-Vallon.

 

On devine bien qu’il n’a pu s’occuper de tous les animaux fidèles qui viennent à sa clinique. «Heureusement, je ne garde pas d’animaux à la clinique, si ce n’est deux chiens que j’ai recueillis et que j’ai pu nourrir. Mais d’autres vétérinaires vous le diront aussi, tous les jours, il y a des animaux malades et souvent, il faut les traiter vite, sinon ils meurent. Et avoir une Vet Clinic fermée dans la localité apporte aussi des frustrations ; les clients ne savent plus quoi faire avec leurs animaux malades. Comment voulez-vous qu’on soit serein concernant le bien-être des animaux alors qu’on se stresse avec des histoires de WAP. Au final, nous sommes là aussi pour sauver des vies non ?»

 

Mélodie, squatter à Cité Tôle, Malherbes : «La situation est vraiment éprouvante»

 

Le premier confinement les a marqués à vie. Les squatters de Cité Tôle, Malherbes, se souviennent encore des pelleteuses qui étaient venues détruire leurs maisons en plein lockdown. Un véritable cauchemar ! «La frayeur de revivre ce même épisode nous hante mais notre priorité est le bien-être de nos familles en ces temps difficiles», confie Mélodie. Être confinés dans une pièce ou deux n’est pas évident mais les squatters font avec. «Nous faisons au mieux pour distraire les enfants. Surtout qu’ici, il n’y a ni électricité ni eau courante. Heureusement que nous avons l’aide de certaines personnes pour la nourriture car beaucoup d’entre nous ne travaillent pas avec la situation actuelle. La plupart font des petits boulots. Ce n’est déjà pas évident d’être confinés mais de plus se retrouver dans la zone rouge et squatters, c’est encore plus éprouvant.»

 

Sundaram Valayden, directeur d’une entreprise d’informatique : «Nous, les PME, sommes les oubliées du gouvernement…»

 

Pour elles, la Covid-19 est une pilule très amère à avaler. À peine ont-elles pu tirer la tête hors de l’eau après le confinement de mars 2020 qu’elles se voient de nouveau submergées par la deuxième vague de la pandémie. Elles, ce sont les petites et moyennes entreprises (PME). «La situation est très difficile pour les PME. Le gouvernement dit prôner l’entrepreneuriat mais ses actions sont contradictoires envers nous. Nous, PME, sommes les oubliées du gouvernement alors que nous voulons simplement travailler», confie Sundaram Valayden, Managing Director d’une entreprise d’informatique. Même préoccupations de la part d’Erwin Valer de Valer Undertaker : «Les prix du freight ont triplé et nous devons importer les matériaux bruts pour pouvoir travailler. Nous aurions préféré que le gouvernement nous propose des substituts sur ces frais-là ; nous ne pouvons pas augmenter nos tarifs à l’aveuglette car nous devons prendre en compte la clientèle et les compétiteurs.»

 

Yousoff Bodhoo, CEO d’une entreprise dans le domaine de l’import et la distribution des équipements médicaux, souligne qu’il attend toujours son WAP pour pouvoir reprendre du service : «On a déjà fait trois demandes mais on attend toujours. J’ai perdu un an avec des projets validés qui sont restés en suspens depuis l’année dernière à cause du premier confinement et cela, même s’il y a eu la reprise. Et le gouvernement ose dire qu’il aide tout le monde. La plupart des employés des PME sont coincés chez eux alors que nous voulons simplement travailler pour subvenir à nos besoins.» Manoj Badal, CEO d’une compagnie dans le Real Estate, avance, lui, que «toutes les entreprises souffrent de cette pandémie mais les PME ne pourront pas soutenir le rythme. Beaucoup ont déjà mis la clé sous la porte et il y en aura d’autres».

 

Textes : Valérie Dorasawmy, Stephanie Domingue, Stephane Chinnapen et Amy Kamanah-Murday

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