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2 janvier 2021 14:26
Jean-Luc Emile, Managing Editor au Defi Media Group : «La réussite de 5-Plus a été de s’adapter avec son temps»
«Pour moi cela veut dire que le journal a su exister dans une période où on annonce, depuis une dizaine d’années, la mort de la presse papier. Si un journal arrive à exister dans ce contexte-là, c’est qu’il y a eu quand même une réinvention quelque part, même s’il est resté papier. Il y a eu certainement une évolution avec son temps. On a vu ce qui se passe à l’étranger : aux États-Unis, par exemple, avec des journaux qui sont passés uniquement en ligne et qui ont continué à exister. Malheureusement, à Maurice, on n’a pas encore le modèle économique viable pour que d’autres journaux puissent emboîter le pas. Du coup, beaucoup d’hebdos du dimanche, dont 5-Plus, qui sont restés là, qui ont toujours un lectorat, certes en diminution, mais qui ont toujours un lectorat, se vendent toujours. Sinon, un groupe de presse n’aura pas fait paraître un journal juste pour faire paraître un journal. Ceux qui arrivent à perdurer dans ce contexte ont fait quand même l’effort d’exister dans un climat qui n’est pas facile certes parce qu’il y a maintenant un lectorat qui a tendance à se rajeunir et le rajeunissement ne fait pas que des heureux. Les jeunes ne lisent pas les journaux. Ils sont sur Internet, ils sont sur les réseaux sociaux, du coup, la réussite de 5-Plus a été de s’adapter avec son temps et d’être présent sur les plateformes. Je pense que ça a beaucoup aidé. Les journaux qui n’ont pas d’autres supports n’arriveront pas à rester en vie dans cet environnement de concurrence. Je pense donc que 5-Plus a su se réinventer en quelque sorte, proposer d’autres choses et rester en contact avec son public. Je pense aussi que la réussite du journal vient beaucoup du fait que son lectorat a grandi avec lui. Il y a une certaine habitude qui s’est créée. La formule qui fait recette et je pense que c’était le bon filon à trouver, c’est le filon People. Tout en faisant pleurer dans les chaumières, 5-Plus fait aussi s’extasier sur le bonheur des gens avec les success stories. C’est un peu ça que les gens recherchent et 5-Plus a trouvé la bonne recette depuis 30 ans. Vos lecteurs sont restés, il y a une fidélisation du lecteur qui s’est imposée au fil des années mais aujourd’hui, le défi est conséquent.»
Danielle Babooram, rédactrice en chef de La Vie Catholique : «Si de manière générale, la tendance est à l’info rapide et instantanée – fournie parfois très et trop généreusement par les réseaux sociaux –, le lecteur recherche aussi une information plus posée»
«Un enracinement. Un lectorat qui a traversé les années avec "son" journal. Que le papier, dont on prédisait la mort depuis des lustres, a encore un public. Et que même si de manière générale, la tendance est à l’info rapide et instantanée – fournie parfois très et trop généreusement par les réseaux sociaux –, le lecteur recherche aussi une information plus posée, plus recherchée, mieux articulée et poussant à la réflexion.»
Jean-Luc Emile : «Aujourd’hui, il y a beaucoup de possibilités avec les réseaux sociaux et les différentes plateformes»
«Il faut parler le même langage que son public. Il faudra aussi voir l’autre côté de la pièce. Il y a la question de la publicité sans laquelle on n'existe plus. Les annonceurs décident aujourd’hui où se trouvent son audience, son marché, pour mettre les publicités. Aujourd’hui, il y a une grande tendance vers les réseaux. Chacun essaye à sa manière d’emmener de la publicité. Par exemple, pour nous à Info Soirée, avec une moyenne de 80 000 views par jour (à mars dernier), l’annonceur est friand de ça. Il se dit que si une vidéo est vue par autant de viewers, sa pub pourrait potentiellement être visionnée par ce public-là. Notre priorité aujourd’hui serait de voir quel est le modèle économique le plus viable pour la presse et, en même temps, parler le langage des jeunes, être présents et utiliser les réseaux sociaux comme une caisse de résonance pour emmener vers son journal. 5-Plus, je sais, fait des teasers sur des sujets qu’un lecteur peut retrouver dimanche dans son journal. C’est une très bonne méthode. Car là il va trouver le public où il est et l’emmener vers le journal. Aujourd’hui, il y a beaucoup de possibilités avec les réseaux sociaux et les différentes plateformes. Je n’étais pas accro à TikTok mais je réalise qu’il y a un très grand potentiel. On ne peut certes pas traiter l’actu pure et dure sur TikTok mais il y a d’autres choses qu’on pourrait traiter sur cette plateforme. Qu’on l’aime ou pas, c’est une plateforme où les jeunes se retrouvent. Les journaux qui continuent à exister dans un climat de grosses concurrences – 5-Plus et les autres presses papiers – gagneront à utiliser ces moyens pour pouvoir se vendre. Si dans le passé, il y avait les crieurs, aujourd’hui, on pourrait utiliser les réseaux sociaux comme crieurs pour faire vendre son produit. Un modèle idéal pour une nouvelle version du journal serait Mediapart mais je ne pense pas que les Mauriciens payeront autant pour aller lire un journal parce qu’ils sont habitués au gratuit. Ceux qui dirigent un journal et qui ont un site web réalisent que le gratuit prend tout le dessus. On a donné une mauvaise habitude du gratuit au public. Comment s’en défaire aujourd’hui ? C’est quasiment impossible. Mais il faudrait voir quel type d’information on publie dans le journal papier et quel type d’information on met en ligne. Je pense moi que le journalisme s’adapte et propose un produit différent pour chaque plateforme. Un produit pour le journal papier, un produit pour les réseaux, un produit pour le site web. C’est peut-être cela l’avenir.»
Danielle Babooram : «Le bouleversement amené surtout par les multimédias s’accompagne de questionnements éthiques, déontologiques»
«Le plus grand défi à mon avis est justement la pression des réseaux sociaux et leur capacité à balancer l’info dans la minute qui suit... Les réseaux sociaux ont démocratisé l’information qui se donne aujourd’hui en live. Ainsi, tout le monde devient journaliste, acteur de l’information, a droit à la parole, donne la parole à qui il/elle veut... Il est bien difficile aujourd’hui, dans cet état de choses, de discerner le crédible du faux. De plus, dans cette course effrénée à l’info, qui se répercute sur l’audimat, comment résister à la tentation de donner au public ce qu’il demande : infos brutes, croustillantes... Comment aussi respecter certaines bases du métier, dont la vérification des faits, le respect de l’autre... Tout ça pour dire que le bouleversement amené surtout par les multimédias s’accompagne de questionnements éthiques, déontologiques.»
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