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Raj Kumar Goondram tue son frère Dhiraj, un toxicomane : la souffrance de leur père Sanjiv

12 octobre 2020

Sanjiv raconte que les querelles entre ses fils ne datent pas d'hier.

Il n’a pas eu une vie facile. Issu d’une famille modeste, Hurrydev Goondram, plus connu dans son entourage sous le nom de Sanjiv, est un homme auquel la vie n’a pas fait de cadeaux. Marié depuis près d’une trentaine d’années, il a eu deux fils – Raj Kumar et Dhiraj – avant que son épouse ne rencontre, quelques années plus tard, des problèmes de santé. Résultat : elle a commencé à perdre peu à peu ses facultés mentales et a dû commencer à suivre un traitement à l’hôpital psychiatrique de Brown Sequard. C’est ainsi que, du jour au lendemain, c’est non pas avec deux mais trois personnes à sa charge que cet habitant de Bambous de 51 ans s’est retrouvé. Il ignorait alors qu’à ses difficultés s’ajouterait aussi, plus tard, la descente de son benjamin dans l’enfer de la drogue synthétique.

 

Le père de famille ne le cache pas : Dhiraj, 24 ans, faisait vivre un véritable cauchemar à son entourage depuis des années. Pour cause, il ne travaillait que très rarement et s’était mis à voler sa propre famille pour se procurer sa dose de drogue. D’ailleurs, il avait même fait main basse sur les fonds que ses proches avaient récoltés pour la reconstruction de leur maison après un incendie il y a quelques années. Lorsqu’il n’obtenait pas ce qu’il voulait, explique Sanjiv, il se montrait agressif et violent vis-à-vis de son entourage qui, peu à peu, a commencé à craindre ses excès de colère. Ce qui avait forcé son père à séparer sa chambre à coucher des autres pièces de la maison pour éviter, dans la mesure du possible, tout échange avec lui. Cela ne l’empêchait pas pour autant de rendre la vie dure aux autres membres de sa famille. «Souvan linn kas laport, kas lafnet, pou rantre ek kokin. Mo ti pe met la kle dan laport me li ti pe resi rantre kan mem. Kan li rant dan mo lakaz, li fouye, apre li pran tou zafer li al vande», raconte Sanjiv.

 

Bien qu’il ait longtemps prié pour que son fils s’éloigne de cet univers impitoyable, il n’aurait jamais imaginé dans quelles circonstances effroyables il quitterait définitivement cet enfer. Le dimanche 4 octobre, Raj Kumar, 26 ans, a agressé son petit frère Dhiraj à coups de bouteille, de barre de fer et de morceau de bois, avec l’aide de deux collègues et amis,  «pou donn li enn bon koreksion». Malheureusement, le pire est arrivé ; Dhiraj a succombé à ses blessures. L’alerte a été donnée au poste de police de Bambous par Sanjiv lui-même, alors que les trois suspects avaient déjà fui la scène de crime.

 

Dans un premier temps, le père de famille a prétendu qu’il ignorait dans quelles circonstances le jeune toxicomane avait trouvé la mort. Embarqué dans les locaux de la Criminal Investigation Division (CID) de la localité, il a été cuisiné par les enquêteurs et a fini par cracher le morceau après avoir été confronté à des preuves, notamment un ticket d’autobus datant du 4 octobre prouvant que Raj Kumar, qui n’habite plus la localité, avait fait le déplacement pour commettre son forfait. Le père des deux garçons, qui travaille comme gardien, nous fait le récit de cette scène effroyable qu’il n’effacera jamais de sa mémoire : «Je rentrais à la maison après avoir effectué le service de nuit lorsque j’ai entendu du bruit en provenance de la chambre à coucher de Dhiraj. D’habitude, j’évite de m’y rendre car il garde des armes sous son lit pour s’en prendre à tous ceux qui viennent l’embêter, mais cette fois, j’ai voulu savoir ce qui s’y passait.» C’est ainsi qu’il a surpris son aîné et deux de ses amis dans la pièce. «Ils avaient enveloppé Dhiraj dans un drap et le tabassaient. Monn rod defann li me bannla inn pous mwa deor. Kan zot finn ale, mo finn trouve ki bannla inn bien bat li. Dhiraj ne bougeait plus.» Alertées, les forces de l’ordre n’ont pu que constater son décès en arrivant sur les lieux. Une autopsie a attribué sa mort à une fracture du crâne.

 

Le père de famille explique que les querelles entre ses deux fils ne dataient pas d’hier. Loin de vouloir prendre la défense de son aîné, il reconnaît cependant que bien souvent c’est Dhiraj, lui-même, qui cherchait la bagarre. «Li ti deza donn so frer kout kouto lor so zepol ek li ti bizin al koud.» À chaque fois que Dhiraj était sous l’influence de la drogue, dit-il, il s’en prenait physiquement aux membres de sa famille et leur demandait de quitter les lieux. «Li ti pe dir nou kit lakaz ale. Li ti pe anvi vinn proprieter isi.» Il n’aurait jamais eu une once de pitié pour sa mère malade non plus. Cette dernière aurait, d’ailleurs, fait les frais de sa colère à chaque fois qu’il venait pour lui prendre sa pension. «La pauvre ne savait même pas pourquoi elle se faisait agresser.»

 

Donner une leçon

 

La situation, explique Sanjiv, était devenue infernale : «Et mon aîné arrivait de moins en moins à tolérer ce comportement.» C’est la raison pour laquelle il demandait régulièrement à son père de lui trouver une autre maison. «Mo ti pe dir li pa bizin ale, ki isi li ena lili, matla, ki monn mont enn lakaz pou li reste. Me li ti nepli kapav tini.» Il y a trois mois, Raj Kumar a fini par aller s’installer à Petit-Paquet, Montagne-Blanche, après que son supérieur lui a trouvé une maison là-bas. Il venait, toutefois, régulièrement rendre visite à sa famille qui ne manquait pas de lui raconter le cauchemar que lui faisait encore et toujours vivre son frère toxicomane au quotidien.

 

Bien qu’il ne tolère pas le fait que Raj Kumar ait ôté la vie à son petit frère, Sanjiv essaie de comprendre ce qui s’est passé : «Ce sont les disputes incessantes avec Dhiraj qui l’ont sûrement poussé à bout. Mon aîné ne boit pas et ne fume pas. Li enn dimoun korek. Mo krwar li pa ti dakor trouv mwa ek mo madam gagn bate ek Dhiraj, sirman akoz sa li finn pous enn vanzans.» Arrêté par les limiers de la Major Crime Investigation Team (MCIT) à Port-Louis le même jour, Raj Kumar est passé aux aveux. Il a déclaré aux enquêteurs qu’il ne supportait plus de voir son frère s’en prendre à ses parents ; en particulier sa mère, qui n’était pas en mesure de se défendre. Il a expliqué qu’il aurait, à plusieurs reprises, essayé de raisonner son frère mais que toutes ses tentatives se sont avérées vaines.

 

Après avoir appris que le toxicomane aurait à nouveau agressé ses parents la semaine dernière, il aurait élaboré un plan avec ses collègues – Louis Eric Furtau, 45 ans, et Jean Désiré Laval Jean, 46 ans, des habitants de Cité Chebel –, le samedi 3 octobre, pour donner une leçon à Dhiraj. Sachant que ce dernier passait la soirée de samedi avec des habitants de la localité avec lesquels il consommait de la drogue, les trois amis seraient donc passés à l’acte dans la matinée de dimanche, alors que la victime était endormie. Après l’arrestation de Raj Kumar, Louis Eric Furtau s’est livré à la police le lundi 5 octobre. Quelques heures plus tard, Jean Désiré Laval Jean a été appréhendé à son domicile. Les trois suspects ont ensuite comparu en cour de Bambous où une accusation provisoire de meurtre a été logée contre eux.

 

Aujourd’hui, Sanjiv regrette amèrement que les choses aient ainsi échappé à son contrôle du jour au lendemain. Car avant d’être prisonnier de la drogue synthétique, dit-il, Dhiraj était un jeune sans histoires, «enn garson trankil». Après avoir arrêté sa scolarité à un très jeune âge, il a suivi des cours dans une école technique, puis a commencé à cumuler des petits boulots à temps partiel. «Il avait obtenu du travail comme menuisier avec un voisin», dit-il. Mais vu que celui-ci n’avait pas besoin de lui tous les jours, Dhiraj passait ses journées libres à glander ou à traîner avec d’autres jeunes peu recommandables habitant la localité au lieu d’aller chercher du travail. «Bann zenes isi, ena boukou ki dan ladrog. Li ti pe frekant zot, lerla linn rant ladan.» Au fil du temps, la situation a empiré car Dhiraj arrivait de moins en moins à se contrôler. «Linn koumans perdi latet. Li ti pe koze, zoure tousel. Kan ou koz bien ar li, li menas ou. Des proches m’avaient demandé de l’envoyer suivre un traitement à l’hôpital psychiatrique ; me kan linn konsom sa zafer-la, difisil pou fer li kompran», se désole Sanjiv.

 

Au fil du temps, la relation de Dhiraj avec sa famille n’a cessé de se détériorer. «Li ti pe bat nou tou. Li ti pe bat so mama. Li ti pe bat mwa ousi, linn mem kas mo latet enn fwa. Depi sa mo ti pe per li. Se akoz sa ki mo ti evit gagn diskision ek li», avoue Sanjiv. Mais il n’aurait jamais imaginé que ces tensions auraient pris une tournure aussi dramatique tôt ou tard. «Mo ti kone ki so frer ek li ti pe gagn diskision me mo pa ti atann sa pou fini koumsa enn zour.» Désormais privé de ses deux enfants – l’un décédé, l’autre en prison –, c’est à contrecoeur que le père de famille accepte son triste sort. «Mo pa pou kapav fer nanie aster. Seki finn arive finn arive.»

 

Le lundi 5 octobre, Dhiraj a rejoint sa dernière demeure. Son père a été le seul de ses proches à pouvoir lui rendre un dernier hommage ; son frère s’étant retrouvé derrière les barreaux et sa mère, souffrant de troubles psychiatriques, ne réalisant toujours pas, à ce jour, que sa petite famille a été à jamais brisée.

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