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16 février 2015 15:54
Ce qu’on a vu jusqu’ici ne serait qu’un bout du sommet de l’iceberg. Car si l’on efface difficilement de nos têtes l’image des coffres-forts remplis de billets (le décompte final s’élève à Rs 220 millions), il semble que nous ne soyons pas au bout de nos surprises dans l’affaire Ramgoolam et que d’autres magots pourraient être planqués dans des coffres à la banque ou sur des comptes ici et ailleurs. C’est du moins ce qu’on semble penser aux Casernes centrales. Dès que cette étape sera terminée, les hommes du Central Criminal Investigation Department (CCID) passeront à une autre étape importante. Et c’est là, disent-ils, impatients de se mettre à l’œuvre, que les choses sérieuses vont commencer.
Le «lion», qui semble s’être transformé en brebis depuis son arrestation et ses inculpations pour complot dans l’affaire Roches-Noires et pour blanchiment d’argent après la saisie chez lui de valises et de coffres-forts remplis d’argent, a eu une folle semaine avec de multiples convocations aux Casernes centrales dans le cadre du comptage des billets et en cour pour les deux inculpations. Mais il est loin d’être sorti de l’auberge. La semaine prochaine, les enquêteurs s’attèleront au décompte des travellers cheques présents dans les coffres et les valises et étudieront les cartes de crédit au plafond illimité qui s’y trouvaient également.
Ensuite, le volet interrogatoire va commencer. Lors de cet exercice, l’ancien Premier ministre devra évidemment répondre aux questions des enquêteurs sur l’affaire Roches-Noires. Il devra dire si oui ou non c’est lui qui a été victime du cambriolage à son bungalow en 2011 comme l’ont attesté plusieurs témoins. Il sera aussi et surtout interrogé sur l’énorme quantité d’argent retrouvée chez lui, à Riverwalk le vendredi 6 février, lors d’une perquisition de la police. Navin Ramgoolam va devoir s’expliquer sur la provenance de tous ces millions, en roupie mauricienne et en devises étrangères, qui intriguent toute la population. Il ne s’est pas encore prononcé à ce sujet jusqu’ici.
Soupçons de corruption
Si certains, dans l’entourage de l’ancien PM, veulent faire accroire que cet argent provient du financement du Parti travailliste (PTr), les enquêteurs avancent que cette explication ne tient pas la route car la somme est trop élevée. Aux Casernes centrales, on affirme que les arguments ne manquent pas pour démolir cette éventuelle justification. Les limiers sont d’avis que seul l’argent contenu dans des enveloppes retrouvées dans l’un des coffres, avec des cartes de visite à l’intérieur, proviendrait des dons pour financer le PTr. Les autres fortes sommes pourraient être des commissions qu’aurait empochées par Navin Ramgoolam dans le cadre de plusieurs gros projets qui se sont concrétisés (ou pas) sous ses différents mandats de Premier ministre et pour lesquels beaucoup d’argent était en jeu.
Il y a, par exemple, les projets ERS à travers lesquels plusieurs étrangers, dont un Français proche de Ramgoolam, ont obtenu la nationalité mauricienne et des terrains conséquents dans plusieurs localités, notamment Balaclava, Belle-Mare, Bel-Ombre et Trou-aux-Biches. Il y a aussi plusieurs gros contrats que ses différents gouvernements ont signés, entre 2005 et 2014, concernant Jinfei, Neotown, Betamax, la Ring Road, la route Terre-Rouge/Verdun ou encore la construction de la nouvelle aérogare à Plaisance, entre plusieurs autres.
Les limiers du CCID n’écartent pas la possibilité que l’ancien PM ait pu aussi toucher des commissions payées par des groupes étrangers pour obtenir d’autres contrats, à l’époque où il tenait les rênes du pays. Ce qui expliquerait pourquoi il y avait de fortes sommes d’argent en devises étrangères, à savoir en dollar et en livre sterling.
Les enquêteurs envisagent d’ailleurs de passer à la loupe les comptes bancaires de Navin Ramgoolam, à Maurice comme à l’étranger. Ils devraient bientôt solliciter un judge’s order pour demander le gel des avoirs de l’ex-PM auprès de l’Asset Recovery Unit, placée sous la responsabilité du directeur des poursuites publiques.
Si pour l’heure, il est poursuivi pour blanchiment d’argent en vertu de l’article 6 du Money Laundering Act (il risque au maximum une amende de
Rs 2 millions et dix ans de prison s’il est reconnu coupable), cette accusation provisoire pourrait évoluer à la lumière des conclusions de l’enquête. Avec les millions de roupies retrouvés dans ses coffres et ses valises, l’ancien PM pourrait être poursuivi cette fois en vertu du Prevention of Corruption Act. La peine, dans ce cas, est à la discrétion du magistrat qui préside l’affaire.
Après son interrogatoire sur le volet du blanchiment d’argent présumé, le CCID compte également interroger le leader du PTr sur l’affaire de la bande sonore diffusée lors de la campagne en vue des dernières élections générales comportant des propos diffamatoires à l’encontre de Kobita Jugnauth. Après cela, les limiers du CCID vont enchaîner avec le contrat Betamax où il y a des soupçons de malversations. Le nouveau gouvernement a d’ailleurs résilié le contrat de Maurice avec cette compagnie il y a quelques jours. Un autre ministre du gouvernement sortant risque gros dans cette affaire, à en croire les limiers des Casernes centrales. Tout laisse croire qu’il sera très prochainement interrogé under warning.
Surcoûts et favoritisme
Navin Ramgoolam va aussi devoir s’expliquer sur la construction de la nouvelle aérogare. Au départ, le projet devait coûter Rs 11 milliards mais, au final, l’État a dû débourser 3 milliards de roupies de plus. Pourquoi ? L’ex-homme fort du pays devra donner des réponses. Il va aussi devoir rendre des comptes sur les contrats alloués aux gérants des magasins et autres restaurants aménagés à l’intérieur de la nouvelle aérogare, dont le fameux Airway Coffee géré par Nandani Soornack.
Et ce n’est pas tout. L’ancien PM sera aussi interrogé concernant l’autoroute Terre-Rouge/Verdun dont la construction a coûté environ Rs 4 milliards. Alors que quand le contrat a été alloué à Collas, il était prévu que les travaux coûtent Rs 2,16 milliards. À l’époque, Anil Bachoo, ministre des Infrastructures publiques, avait justifié cette somme supplémentaire en invoquant la topographie du terrain. Le constructeur avait, lui, parlé des «unforseen circumstances» pour expliquer cette dépense additionnelle. S’il s’avère qu’il y a eu maldonne, Anil Bachoo risque également gros dans cette affaire.
Les jours à venir devraient donc encore plus durs pour Navin Ramgoolam. Il doit être disponible pour les enquêteurs de 9 heures à 18 heures en semaine et de 9 heures à 13 heures le samedi, suite à un décision du tribunal de Curepipe. Celui qui était encore à la tête du pays en décembre dernier se retrouve aujourd’hui dans le box des accusés après son amère et cuisante défaite aux législatives. Et à en croire différentes sources aux Casernes centrales, ses ennuis ne font que commencer.
La folle semaine de Ramgoolam
●Dimanche 8 février
Le décompte des billets contenus dans les coffres-forts et les valises saisis chez l’ancien chef du gouvernement commence, en présence du principal concerné et de ses hommes de loi. À la fin de la journée, la somme comptabilisée s’élève à Rs 15 millions mais on est encore loin du compte. Les Mauriciens sont choqués de voir, lors du journal télévisé de la MBC, la quantité de billets qu’il y a dans les coffres à leur ouverture.
●Lundi 9 février
Navin Ramgoolam se rend en cour de Curepipe où il s’acquitte d’une caution de Rs 200 000 et signe une reconnaissance de dette de Rs 1 million pour l’accusation provisoire de blanchiment d’argent qui pèse sur lui. Ensuite, il met le cap sur le tribunal de Mapou où il règle une deuxième caution de Rs 200 000 et signe une autre reconnaissance de dette de Rs 1 millions pour la charge de complot dans l’affaire Roche-Noires. Il se rend ensuite aux Casernes centrales, vers 15h30, pour assister à la suite du décompte de l’argent retrouvé chez lui le vendredi 6 février.
●Mardi 10 février
Les avocats de l’ex-PM présentent un certificat médical émis par un médecin de la clinique Apollo Bramwell aux enquêteurs du CCDI, en expliquant que leur client souffre d’une pneumonie. Mais dans la soirée, aux alentours de 21 heures, Navin Ramgoolam se présente aux Casernes centrales, à la demande des enquêteurs. Le décompte se poursuit.
●Mercredi 11 février
Les coffres-forts de Navin Ramgoolam livrent peu à peu leurs secrets en présence de l’accusé et de ses hommes de loi. À la fin de la journée, la somme totale qui a été comptée depuis le début de la semaine s’élève à Rs 140 millions.
●Jeudi 12 février
L’ex-Premier ministre est de nouveau dans les locaux du CCID pour l’exercice de comptage. A la fin de la journée, le montant total est de Rs 210 millions.
●Vendredi 13 février
En cour de Curepipe, Navin Ramgoolam obtient gain de cause suite à une motion de la défense qui conteste une des conditions de sa remise en liberté, soit qu’il doit être disponible pour la police 24h/24. Désormais, il devra être disponible entre 9 heures et 18 heures du lundi au vendredi, et de 9 heures à 13 heures le samedi. Il se rend ensuite aux Casernes centrales pour la fin du décompte. La somme définitive est de 220 millions.
Veena Ramgoolam face aux enquêteurs
Elle n’a pas échappé à un interrogatoire dans le cadre de l’enquête sur son époux. Veena Ramgoolam a été longuement interrogée under warning le lundi 9 février. Pendant environ six heures, elle répondu aux questions des enquêteurs du CCID concernant l’argent retrouvé à Riverwalk et sa propre situation financière. Elle a ainsi déclaré qu’elle ne possède pas de compte bancaire à Maurice ou à l’étranger.
Veena Ramgoolam a cependant expliqué qu’elle a un coffre-fort où elle conserve son argent, ses bijoux et autres choses de valeur. Selon elle, le coffre-fort se trouve à son domicile, à Riverwalk. Lors de la fouille du vendredi 6 février, le CCID était effectivement tombé sur ce coffre contenant environ Rs 220 000 en liquide dans une pièce de la maison.
Dans sa déposition, Veena Ramgoolam a souligné que sa principale source de revenus est l’argent que lui remet son époux. Ce dernier lui donnerait entre Rs 100 000 et Rs 150 000 chaque fin de mois pour les dépenses courantes. Et quand il y a des dépenses supplémentaires, la somme peut aller jusqu’à Rs 200 000. L’épouse de l’ancien PM a également été interrogée sur le contenu des coffres et valises bourrés d’argent retrouvés à son domicile. Elle a répondu qu’elle ignorait ce qu’ils contenaient ainsi que leur provenance car seul son mari y avait accès.
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