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10 octobre 2022 19:50
Un bébé n’est pas qu’un tube digestif. Il a besoin d’amour et d’attention. Il a surtout besoin d’être valorisé, d’être accompagné comme il se doit dans son développement, pour l’aider à révéler, en grandissant, son potentiel et ainsi aspirer à un avenir dans les meilleures conditions. Au fil du temps, un enfant doit également acquérir une bonne estime de lui-même, être bien dans sa tête et dans son corps pour pouvoir faire les bons choix plus tard en matière de besoins, d’envies, de sentiments, d’idées et de préférences, surtout lorsqu’il vient d’une famille rongée par des fléaux de société. Donc, l’endroit où il vit est d’une extrême importance et les Residential Care Institutions (RCI), plus connues comme des shelters, ne font pas exception. Elles doivent répondre à tous les critères pour qu’un enfant y grandisse bien.
Dans son rapport 2021-2022, rendu public le jeudi 6 octobre, le bureau de l’Ombudsperson pour les enfants s’intéresse ainsi de près à ces endroits spécifiques. 500 pages sont consacrées au sujet, dont certaines concernent uniquement les bébés. D’abord, Rita Venkatasawmy et ses proches collaborateurs prônent une «désinstitutionalisation» de ces maisons. «Un must», une «priorité» même, pour un meilleur encadrement de l’enfant. «Quand vous mettez un enfant dans un grand groupe et une grande structure avec d’autres, il est à risque de ne pas progresser à son rythme. Il faut mettre en place une stratégie de désinstitutionalisation. Les bébés surtout ont besoin de secure attachment. L’encadrement est difficile lorsqu’il n’y a pas d’attachement entre le Carer et le bébé. Les tout-petits ont aussi besoin de stimulation qui favorise le développement de leur cerveau», martèle Rita Venkatasawmy après avoir effectué plusieurs visites surprises dans les shelters en compagnie des enquêteurs de son bureau.
Selon elle, certains enfants déplorent que des RCI ressemblent à des prisons avec la présence du fil barbelé sur les murs et la présence d’un gardien. L’Ombudsperson pour les enfants a aussi pris note du nombre d’enfants présents dans ces lieux. Elle recommande ainsi, dans son rapport, que les foyers d’accueil accommodent jusqu’à 12 résidents. Rita Venkatasawmy estime également que ces endroits doivent être adaptés aux enfants. «Les enfants ont le droit de jouer. C’est à travers les jeux que se fait le développement cognitif, physique et émotionnel. J’ai eu un gros chagrin au cœur lors d’une de mes visites. Il n’y avait aucune balançoire, pas de toboggan, de cordes à sauter, de tricycles et d’espaces verts dans ce shelter qui accueille des bébés et des enfants en bas âge. Je me souviens de la détresse d’un garçon de 5 ans qui m’avait demandé une balançoire en cadeau pour Noël. J’en ai parlé au responsable du shelter mais rien n’a été fait jusqu’ici.»
Or, souligne l’Ombudsperson pour les enfants, le balancement permet aux enfants de développer une motricité globale et d’améliorer leur conscience corporelle. Cette activité peut aussi les calmer et atténuer leur détresse et leur anxiété. «Le balancement est également une grande source de plaisir pour les enfants de tous âges, leur permettant d’exercer leur corps naturellement. Lorsque les enfants ont la possibilité de jouer, de grimper, de glisser et de s’accrocher à la barre de singe, ils deviennent plus sains et plus heureux.» Rita Venkatasawmy ajoute que le jeu développe et stimule la créativité, le cerveau et le développement social des enfants.
De plus, dit-elle, il est très important que les bébés et les jeunes enfants interagissent avec les gens qui se trouvent dans leur environnement. «Fer zot get televizion, pa enn aktivite sa», s’indigne Rita Venkatasawmy. Lors de ses visites, elle a été choquée d’apprendre que les nourrissons et les jeunes enfants regardaient la télévision régulièrement. «Ils avaient de la peine à avoir des interactions significatives avec les Caregivers, alors que c’est un processus si essentiel à leur développement sain.» Des recherches, indique-t-elle, montrent que les bébés de moins de 18 mois ne devraient pas passer du temps devant les écrans. La seule exception à cette règle est le clavardage (chat) vidéo avec les grands-parents ou d’autres membres de la famille ou des amis, ce qui est considéré comme du temps de qualité pour interagir avec les autres. Rita Venkatasawmy précise que les petits de 18 à 24 mois peuvent commencer à profiter d’un peu de temps d’écran avec un parent ou un Caregiver, notamment pour apprendre des leçons avec l’aide d’un adulte.
Toutefois, insiste l’Ombudsperson pour les enfants, la recommandation la plus importante demeure la désinstitutionalisation des soins alternatifs dans l’intérêt supérieur des enfants. «Je crois fermement que ce processus de transformation de notre pays peut avoir un effet positif sur la vie, la réadaptation et la réinsertion sociale des enfants qui n’ont pas de soins parentaux et sur la société dans son ensemble», dit-elle. Cette désinstitutionalisation peut être rendue possible grâce aux Rs 200 millions proposées par le ministre des Finances dans le Budget 2022 pour soutenir le soin des enfants dans les RCI.
Cet argent peut aussi être utilisé pour convertir les shelters en foyers avec des petits groupes de 12 enfants. «Je salue cette proposition du Dr Padayachy pour soutenir les groupes d’enfants les plus vulnérables de la société. Il appartient maintenant à la National Social Inclusion Foundation de veiller à ce que ce fonds soit bien alloué et géré par toutes les ONG dans le cadre du processus de désinstitutionalisation», indique l’Ombudsperson pour les enfants, qui préconise aussi la mise sur pied d’une unité spécialisée dont le rôle sera de consolider les foyers. Elle souhaite également une vaste campagne de sensibilisation pour augmenter le nombre de familles d’accueil, qui s’élève actuellement à 76. Et regrette que les Caregivers des shelters soient très mal payés pour les lourdes tâches qu’elles accomplissent, estimant qu’il faut revoir les conditions de travail pour éviter la fatigue et le burn out.
Rita Venkatasawmy déplore, par ailleurs, qu’aucun Ancillary Order destiné à améliorer les compétences parentales n’ait été émis, ni de Contact Order pour permettre aux parents de rendre visite à leur enfant placé dans une maison d’accueil, malgré le vote du Children’s Act en 2020. «J’invite les intervenants à lire mon rapport avec une ouverture d’esprit. Je n’ai qu’un seul agenda en tant que médiatrice pour les enfants : c’est la protection et la promotion des droits des enfants, à Maurice et à Rodrigues, y compris ceux qui bénéficient des soins alternatifs. Nous devons tous unir nos efforts dans l’intérêt supérieur des enfants. Vive les droits des enfants !» clame l’Ombudsperson pour les enfants.
◗ 27. C’est le nombre d’anciens résidents des shelters qui ont été interrogés par Rita Venkatasawmy et ses collaborateurs. «Nou finn gagn boukou linformasion ek zot. Zot inn bien kontan ki nou finn koz ar zot. Se enn inovasion ki finn ena dan sa nouvo rapor-la», précise l’Ombudsperson pour les enfants.
◗ 55. C’est le nombre d’activités auxquelles le bureau de l’Ombudsperson a participé.
◗ 91. C’est le nombre d’activités organisées par le bureau de l’Ombudsperson.
◗ 100. C’est le nombre de visites surprises effectuées dans les RCI, qui ont permis au bureau de l’Ombudsperson de comprendre le vrai problème des enfants résidents.
◗ 200. C’est le nombre de «field visits» effectuées par Rita Venkatasawmy et les membres de son bureau.
◗ 468. C’est le nombre de plaintes traitées par le bureau de l’Ombudsperson durant l’année écoulée.
◗ 550 à 600. C’est le nombre d’enfants qui se retrouvent dans les shelters chaque année.
La direction de SOS Children’s Village de Maurice a déjà pris les taureaux par les cornes en matière de désinstitutionalisation des shelters. Christiano Arlanda, membre de cette organisation, nous confie que celle-ci a déjà commencé avec ce processus en plaçant des bébés et des enfants en bas âge dans un foyer qui se trouve non loin du collège BPS, à Beau-Bassin. Le jeune homme fait d’ailleurs partie des happy fews qui ont reçu en primeur le dernier rapport du bureau de l’Ombudsperson des mains de Rita Venkatasawmy elle-même.
Le ton est monté d’un cran avec la responsable de la Child Development Unit à l’heure des questions de la presse. Karuna Chooramun, la Head de cette unité, n’a pas digéré une question de 5-Plus dimanche, en particulier concernant un cas où la CDU n’aurait pas joué son rôle : celui où une adolescente de 17 ans, en situation de handicap, aurait été agressée sexuellement par un Maintenance Officer dans un shelter des Plaines-Wilhems. Une affaire qui a révélé plusieurs manquements. Ce n’est pas seulement la police qui a mené une enquête sur cette agression sexuelle mais aussi les officiers du ministère de l’Égalité du genre et du bien-être de la famille et le personnel du bureau de l’Ombudsperson pour les enfants. Plusieurs faits troublants ont été relevés dans un rapport soumis aux autorités concernant ce shelter qui est le seul à accueillir des enfants en situation de handicap envoyés là-bas par la CDU. L’un des faits troublants est le surnombre de résidents. L’une des enquêtes relève également un manque de sécurité et d’encadrement pour les résidents. L’association qui dirige le shelter aurait déjà tiré la sonnette d’alarme mais la CDU n’aurait rien fait jusqu’ici pour y remédier. Karuna Chooramun ne semble pas avoir apprécié que la presse pose une question sur toute cette situation et s’est sentie directement visée. Elle a haussé le ton, accusant les journalistes de mal rapporter les faits en omettant la vérité. Une journaliste de l’express lui a dit, par la suite, qu’elle devait avoir «l’humilité de se remettre en question». À un certain moment, Karuna Chooramun a même demandé à l’Ombudsperson pour les enfants d’inviter des journalistes sachant faire preuve de respect. 5-Plus dimanche lui a alors rappelé que le rôle des journalistes était justement de poser des questions dans ce type de fonctions et ce, dans l’intérêt public, d’autant que la CDU ne répond jamais aux questions des journalistes quand elle est sollicitée dans des cas précis qui font l’actualité.
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