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1 mars 2023 17:24
Il y a des couleurs mais aussi des effluves qui titillent les narines. Devant son carpaccio d’ourite, eau de tomates parfumée à la coriandre et chutney d’aubergines, les yeux s’émerveillent. Puis, il y a tout ce qu’il y a autour. Un cadre magique, situé dans l’enceinte d’un bâtiment historique au cœur d’Avallon, en France. Là, se trouve Les Cordois Autrement, un lieu qui invite tout de suite à l’évasion.
Devant cela... Devant son plat signature et le lieu où, tous les jours, il ravit les palais, Reetesh Persand ne peut pas ne pas se rappeler d’où il vient et tout le chemin parcouru pour en arriver là où il est aujourd’hui, lui qui dirige maintenant le «Meilleur restaurant» à Avallon ; une distinction qui signifie beaucoup pour le jeune Mauricien qui a grandi à la Résidence Barkly, à Beau-Bassin. «Dans l’univers de la cuisine, chaque jour est une remise en question et nous avons une lourde responsabilité envers les producteurs, les fournisseurs, les salariés et nos clients. Je ne vous cache pas que c’est une immense fierté d’avoir eu ce titre mais on ne peut jamais se reposer sur de tels acquis. Cette décoration n’est qu’un encouragement à aller encore plus loin et à constamment offrir un voyage gustatif à nos clients», confie le jeune homme qui, influencé et guidé par sa mère, également cuisinière, a fait ses études à l’école hôtelière Sir Gaëtan Duval et a poursuivi sa formation auprès du chef Nizam Peeroo notamment, entre autres stages, avant de continuer son chemin tout en se perfectionnant en France où il a posé ses valises et où il est désormais chef de cuisine en Bourgogne.
Avant de continuer à nous conter son histoire, Reetesh revient sur son plat signature qui fait naître bien des étoiles dans les yeux de ceux qui s’invitent à sa table dans son pays d’adoption. «Ce plat a tellement fait le quotidien de mon enfance pendant mes vacances scolaires à Pointe-aux-Sables, là où j’ai vécu toute mon adolescence. Et un beau jour, j’ai décidé de revisiter ce plat : rougail ourite sec. La version revisitée plaît énormément ici au mois d’été, surtout pour les amateurs d’épices et de poulpe», confie le jeune homme. Sa passion est palpable. Sa motivation aussi. Impossible de ne pas se laisser transporter dans son univers quand il parle du restaurant Les Cordois Autrement, là où il brille de mille feux grâce à son talent ; un établissement dirigé par Sylvain Gauthier avec lui en cuisine : «Nous favorisons les circuits courts et les produits de saison afin de garantir la fraîcheur dans l’assiette de nos clients. Nous avons une capacité de 60 couverts et ouvrons 10 fois par semaine et depuis mon arrivée, la partie “autrement” du restaurant prend tout son sens, étant donné que je cherche à toujours apporter une touche mauricienne à mes plats.»
Celui qui, plus que jamais, cultive aujourd’hui le sens du partage et de la découverte, et qui savoure avec sa brigade le fait d’avoir reçu la reconnaissance du «Meilleur restaurant» d’Avallon, en Bourgogne, continue à mettre les bouchées doubles pour continuer à surprendre. Est-ce que cela a été facile pour arriver jusque-là ? «“Ils ne savaient pas que c’était impossible, donc ils l’ont fait…” C’est la première phrase qui me vient à l’esprit face à cette question. Faire le choix de s’expatrier n’est jamais une chose facile ; le détachement familial, nos habitudes à Maurice et, par-dessus tout, le rythme ! Nos journées de travail s’étalent sur plus de 15 heures et actuellement, la France connaît une crise de recrutement dans le secteur de l’hôtellerie/la restauration. J’ai beaucoup de chance d’avoir la confiance de mon patron et le soutien de mon épouse, sans oublier les clients ; le plus gros défi, c’est de les faire revenir», répond le jeune chef qui a construit sa carrière en faisant un pas après l’autre, en ne brûlant pas les étapes.
«Je suis de nature généreuse et la cuisine, c’est avant tout le partage. L’opportunité de venir en France s’est présentée en avril 2013. J’ai beaucoup appris sur les produits et j’ai commencé à créer mon identité culinaire avant de prendre les commandes du restaurant Les Cordois Autrement. 2023 est une belle année qui débute sur le plan professionnel, une porte qui nous permet de voir et donc de viser de nouveaux sommets. L’avenir nous le dira et je tiendrai 5-Plus dimanche au courant des évolutions», poursuit celui qui parle de l’univers de la cuisine avec beaucoup de tendresse. «La cuisine, c’est l’amour rendu visible, voire comestible. Le partage, le respect, tant de valeurs qui dirigent notre univers et j’ai toujours voulu en explorer davantage. C’est aussi un métier universel qui permet de s’exporter facilement. Nous le voyons à Maurice, tous ces jeunes qui découvrent le monde sur les bateaux de croisière ou qui travaillent dans d’autres pays. La cuisine est un passeport ouvrant les portes du monde entier. Et puis, il y a une grande part de noblesse à être l’artisan du bonheur des autres.»
Si Reetesh continue à se construire sous d’autres cieux, ses racines mauriciennes, dit-il, sont bien ancrées en lui et l’aident à toujours se surpasser : «To bizin kone kot to sorti pou to kone kot to pe ale. Ayant vécu déjà 10 ans en France, je peux dire que l’île Maurice, c’est une attitude, un mode de vie et dans cet univers de pression constante où j’évolue, il m’est très important d’avoir un bon recul...» Et, bien évidemment, dans sa cuisine, il n’hésite pas à faire des expériences... qu’il réadapte à la sauce mauricienne : «J’essaie d’apporter une touche mauricienne à chacun de mes plats, cet élément surprenant qui séduit cette clientèle déjà habituée aux grands classiques, sans trop brusquer les traditions. Par exemple, ma dernière création, c’est d’associer de la poudre de curry noir à un velouté de courges. En été, l’achard de pommes de ma maman avait fait un ravage sur un filet de bar, des inspirations spontanées que j’applique avec justesse afin de toujours maintenir l’équilibre entre tradition et modernité.»
La rigueur et un niveau d’exigence hors pair pour satisfaire une clientèle bourguignonne sont indiscutables pour lui. «C’est une clientèle de connaisseurs. C’est donc un honneur pour moi mais je n’ai pas droit à l’erreur. Chaque jour est un défi pour sublimer les produits d’une autre façon que la norme. Toujours aller dans plus de détails. Et heureusement que j’ai le soutien de ma brigade qui partage la même vision que moi. En été, c’est un peu différent. Nous avons une clientèle plus internationale, étant donné que la route d’Avallon mène à plusieurs sites classés patrimoine. Donc, chaque saison, il y a un type de clients à satisfaire», poursuit notre interlocuteur qui répond tout de go à notre prochaine question : quelles sont, selon vous, les techniques et le savoir-faire que doit avoir un bon chef de nos jours ? «C’est quand tu crois tout savoir que tu réalises avoir tout loupé. Cette phrase est de Paul Bocuse et elle résume notre profession où l’humilité est au coeur de tout. Il y a le phénomène des réseaux, qui nous aide beaucoup, mais le travail reste derrière les fourneaux et en face des clients. Il n’y a qu’eux qui jugent à la fin et puis, le métier s’apprend toujours. Il requiert une application sans relâche, toujours ponctuel et être gourmand de connaissances», nous répond le chef passionné.
Il n’hésite pas non plus à nous répondre sur la question de savoir si son restaurant offre des possibilités de stage pour les Mauriciens ? «Je suis d’avis que la connaissance n’est rien si elle n’est pas partagée. Ce serait un honneur d’accueillir des Mauriciens et de leur offrir une expérience internationale dans un dépaysement complet car nous avons déjà cinq Mauriciens dans notre équipe, parfois on parle plus le créole que le français. Pour cela, il suffit de nous contacter sur notre page Facebook Les Cordois Autrement», ajoute Reetesh qui n’oublie pas sa petite île.
Avez-vous le rêve d’ouvrir un jour un restaurant dans votre île ? «Le rêve rend toujours possibles les ambitions... Alors oui, je veux déjà me faire un nom ici, en Bourgogne, puis lancer un projet de restaurant avec une touche française, sans oublier notre culture mauricienne qui fait notre force à l’international», conclut-il en pesant chacun de ses mots, toujours empreints d’amour quand il parle de sa cuisine...
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