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11 février 2019 15:17
L’heure est grave… Chargée d’angoisse, de chagrin, d’attente anxieuse. Il est 15h40, le mercredi 6 février, quand Rudy Allas descend les marches menant du premier étage de sa maison au rez-de-chaussée avec sa valise. Plusieurs proches sont présents chez lui, à Allée Camphre, Curepipe, pour lui apporter leur soutien et lui souhaiter bon courage pour le douloureux voyage qu’il va faire. Il s’apprête à partir pour l’aéroport d’où il doit s’envoler pour Paris à 18 heures. Des larmes lui perlent aux yeux, il trouve difficilement les mots pour répondre aux paroles de consolation et d’encouragement de ses proches. Son cœur est emprisonné par un terrible chagrin.
À ce moment-là, il est toujours sans nouvelle de son fils Adel et de son ex-épouse, Revena Hollandais, portés manquants après un incendie meurtrier dans le 16e arrondissement de Paris, où ils habitent, dans la nuit du lundi 4 au mardi 5 février. «Mo pena mo pou dir ou», nous dit-il avec émotion, avant de prendre place dans le minibus qui le conduit à Plaisance. Il veut garder espoir malgré tout, tout comme le reste de sa famille. «Ma belle-sœur et mon neveu sont des battants. Ils sont des exemples pour nous tous», nous confie Jenna, la sœur de Rudy, qui tient à parler d’eux au présent tant que leur décès n’est pas confirmé. Mais le lendemain, tous sont obligés de se rendre à l’évidence quand la police judiciaire de Paris confirme la mort de Revena Hollandais, 37 ans, et son fils Adel Allas, 16 ans.
Un coup dur, très dur pour les proches des deux victimes. Que ce soit du côté des Allas à Curepipe ou des Hollandais à Rivière-des-Galets. En apprenant la nouvelle, Sylvie Hollandais, la mère de Revena, a fait un malaise et a passé la nuit à l’hôpital avant d’être autorisée à rentrer chez elle. Il faut dire qu’en l’espace d’une année, cette dame de 60 ans a vécu tragédie sur tragédie. En mars 2018, elle a perdu ses deux petites-filles et son arrière-petit-enfant dans un accident de voiture à La Prairie. Clarissa, 20 ans et enceinte, et son fils de 3 ans sont morts sur le coup alors que sa sœur Theresa, 19 ans et enceinte elle aussi, avait pu accoucher prématurément avant de décéder après plusieurs jours à l’hôpital.
Si la grand-mère des filles est trop affligée pour parler, son fils Mario, qui est aussi le papa de ces dernières et le frère de Revena, consent à témoigner de la terrible épreuve que vit encore une fois sa famille. «Nous subissons un autre grand coup du sort», lâche cet habitant de Baie-du-Cap, la voix complètement cassée par l’émotion. Il lui semble que le destin s’acharne sur les siens. «Nous sommes complètement abasourdis. Je ne sais pas si nous allons pouvoir nous relever après ce nouveau coup dur. L’année dernière, j’ai perdu un petit-fils et deux filles dont l’une est morte avec un bébé dans le ventre. Et maintenant ça ! Nous avions gardé l’espoir fou que ma sœur et son fils seraient retrouvés sains et saufs mais celui-ci s’est envolé lorsqu’une autre sœur, qui vit en France, nous a annoncé l’horrible nouvelle.»
Mario raconte que sa petite sœur s’était installée en France avec son fils il y a quatre ans. Avant de s’envoler pour l’hexagone, Revena travaillait comme couturière. Son époux Rudy travaillait, lui, dans une usine. La jeune femme est partie en premier et quelque temps après, son mari et leur fils l’ont rejointe là-bas. «Zot ti al viv la France pou tant zot sans. Nou ena plizir fami laba. Mwena osi enn lot ser ki res Paris. Revena ti avan dernie zanfan dan fami. Nou a trwa ser ek trwa frer.»
Rudy Allas est rentré à Maurice après le divorce du couple, en 2018. Revena, elle, a préféré rester là-bas avec son fils. Elle travaillait comme employé de maison chez un couple qui louait un appartement pour elle et son fils dans le 16e arrondissement de Paris, là où a eu lieu le terrible drame. Selon Mario, sa sœur, qui allait fêter ses 38 ans le 29 avril, avait aussi refait sa vie avec Stevie, un jeune homme né de père mauricien et dont la famille vit en France.
Revena, poursuit son frère, avait une forte personnalité : «Elle a toujours été une battante. Elle était la petite cheftaine de la famille. Elle organisait toujours les fêtes familiales lorsqu’elle habitait à Rivière-des-Galets chez ma mère. Elle aimait surtout faire la cuisine. Elle adorait confectionner les gâteaux d’anniversaires. Ma sœur avait un cœur en or. Mon neveu était également un jeune homme très jovial et amical. Il aimait beaucoup rigoler. Li ti enn extra bon zanfan. Li ti bien popiler ek amikal. Li ti koz ek tou dimounn kan li vinn kot mwa. Li ti extra kontan manz mang mir.» Comme les garçons de son âge, Adel adorait aussi les jeux vidéo, souligne son oncle.
Jenna Allas, qui a rencontré son neveu Adel pour la dernière fois en septembre 2017 en France, garde aussi de lui un souvenir impérissable. «Adel aimait les taquineries. C’était contagieux chez lui. Li ti enn zanfan ki ti touzour de bonn imer. Tou mwayen ti bon pou li fer ou pik enn kriz zis pou li kapav riy ou. Li tiena enn sourir takin. Linn kit nou alor ki li ti pe koumans sanze pou vinn enn zom», regrette-t-elle.
Que de regrets pour tous les proches de Revena et du jeune Adel, que de chagrin face à cette tragédie qui a les subitement emportés. Une douleur dont ils ne sont pas sûrs que le temps pourra la soulager tant elle est intense. Pour eux, un long chemin de deuil vient de commencer.
Jean Marie Gangaram
C’est dans la nuit du lundi 4 au mardi 5 février qu’un violent incendie a éclaté dans un immeuble du 16e arrondissement de Paris. Le bilan est de dix morts, y compris nos compatriotes Revena Hollandais et son fils Adel Allas, et une trentaine de blessés. Et selon les premiers éléments de l’enquête, il s’agirait d’un acte criminel. Une habitante de l’immeuble, qui se trouve dans un quartier chic de l’ouest de la capitale française, a été interpellée, selon le procureur de la République de Paris. Celle-ci, qui aurait des «antécédents psychiatriques», a été «arrêtée en état d’alcoolémie alors qu’elle tentait de mettre le feu à une voiture», a indiqué une source policière à l’Agence France Presse (AFP). Une autre source, elle, avance que la suspecte n’était pas en bons termes avec un de ses voisins, un pompier. Elle aurait d’ailleurs eu une altercation avec ce dernier dans la soirée précédent l’incendie et la police s’était même rendue sur place. «Elle a dû mettre le feu chez moi pour se venger (…) Quand je l’ai croisée, elle m’a souhaité bon courage en me disant que j’étais pompier et que j’aimais bien les flammes», a confié ledit pompier au Parisien.
Selon la presse française, la police a déjà ouvert une enquête pour «destruction volontaire par incendie ayant entraîné la mort». Ladite enquête sera confiée à des juges d’instruction en début de semaine prochaine avec l’ouverture d’une information judiciaire. En attendant, la suspecte est sous surveillance à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris. La presse française nous apprend qu’elle a fait, au total, 13 séjours en hôpital psychiatrique en cinq ans. Paris, elle, est en état de choc.
L’Assemblée nationale a même observé une minute de silence en hommage aux victimes de cette tragédie. Outre nos deux compatriotes, il y a parmi celles-ci, Francisco Abalos et son épouse Cresencia, originaires des Philippines et parents de trois enfants, Jonathan Jouclas, 26 ans, Radia Benaziez, 39 ans, Myriam Irainat, 23 ans, une dénommée Adèle, 32 ans, et Pascale Coget, âgée d’une cinquantaine d’années. L’identité de la dixième victime n’était toujours pas connue à l’heure où nous mettions sous presse. D’autres personnes présentes dans l’immeuble ce soir-là et qui ont pu s’en sortir se remettent difficilement. À l’instar d’Adam. Les images de l’incendie ne cessent de défiler dans sa tête. «J’ai vu un jeune homme, il a sauté. Il n’avait aucune chance, son appartement était en feu. J’ai vu une femme aussi, elle criait, elle brûlait vive (…) Je me suis dit, c’est bientôt mon heure, je ne vais pas vivre», a-t-il confié à l’AFP.
La scène était, en effet, d’une incroyable violence, selon les témoignages et les images. «Je voyais les pompiers qui montaient, qui descendaient et l’enfer de ce feu qui ne se calmait pas, jamais. Ils éteignaient, ça se rallumait (…) Des gens criaient : ‘‘Sauvez-moi, aidez-moi !’’» raconte une voisine. Cet incendie est le plus meurtrier à Paris depuis le 26 août 2005. À cette date, un feu d’origine criminelle avait fait 17 morts, dont 14 enfants, dans un immeuble dégradé dans le sud de la capitale française. Quatorze ans plus tard, une autre tragédie frappe Paris et plonge des dizaines de familles dans une profonde tristesse…
Francesca Sookahet et Jean Marie Gangaram
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